Petits luxes et coups de cœur domestiques !

Chères Amies, Chers Amis, je pose la question :

Faute de salles accessibles et du films programmés et projetés ( à juste titre!), dois-je me voir dans l’obligation de renoncer à une critique cinéma ? Dois-je oublier le plaisir de vous faire part de mon engouement ou de ma déception pour tel blockbuster ou tel film d’auteur actuel ? Le bon sens et la plus grande précaution nous intiment l’ordre de rester chez nous et d’éviter tout échange infectieux éventuel.

Toutefois, dois-je vous rayer de ma mémoire ? Tremper ma plume doucereuse ou acide dans des annotations personnelles et dénuées de tout charme ( « ne pas oublier d’acheter du P.Q. ») ? Vivre sans poésie ? Ne plus rien partager avec vous via les réseaux sociaux et ne plus croiser le fer avec Lolo Patchouli ? Bon sang que faire ? Tourner en rond dans mon salon ? Fustiger Godard pour le plaisir ? Réfléchir. Une idée va jaillir. Une alternative est possible. Se faire un café. Manger une madeleine. Nom d’un Proust !Fouiner dans sa vidéothèque, sa bibliothèque, sa discothèque et proposer une session de rattrapage ? Oui mille fois oui ! Amies ! Amis ! (deux flics et c’est reparti). Faisons fi des nouveautés ( Le dernier Wes Anderson étant annoncé pour la fin Août et James Bond, West Side Story, Black Widow et Top Gun Maverick reportés en Novembre-Décembre) et profitons de notre espace de confinement pour replonger, avec délice, dans nos propres classiques ! Avec modestie mais une passion sans borne, je vous propose, donc, une sélection « panic room » et in situ qui, je l’espère, vous remplira de joie durant cette période bien trouble.

Je commence par un chef-d’œuvre de Sidney Lumet datant de 1988 et que vous trouverez sans mal ici ou ailleurs : «A bout de course ». Un drame puissant porté par des acteurs en état de grâce et un scénario implacable. Une bombe (sans faux jeu de mot) émotionnelle qui vous cloue sur votre canapé, de longues minutes après le générique de fin. Le « pitch » ? Une couple d’activistes (interprétée brillamment par Christine Lahti et Judd Hirsch) farouchement militant dans les années 70 commet un acte de terrorisme au sein d’une fabrique de napalm et brise inopinément la vie d’un gardien. Poursuivie des années durant et sans relâche par le FBI, ce couple fantôme vivote de nos jours entre deux jobs, des déménagements ininterrompus et une scolarité sacrifiée pour leurs deux enfants. Le plus grand d’entre eux ( inoubliable River Phoenix), perdu entre aspiration passionnelle et un amour indéfectible pour ses parents fera un choix irrémédiable qui mettra à mal l’équilibre ténu de sa famille. Il est des réalisateurs qui ne nous déçoivent jamais. Le grand Lumet fut de la race des Seigneurs, de celle qui, quelque soit le genre envisagé, frôla l’excellence de manière constante. Avec ce film méconnu, il prouve qu’un sujet difficile n’est pas synonyme d’échec critique ( le scénario de Naomi Foner fut récompensé aux Golden Globes) et retrouve le désespoir flamboyant d’un « Serpico » ou d’un « 7h58 ce samedi-là ». Amies ! Amis ! Cette pépite inestimable dans la carrière d’un cinéaste inclassable et totalement culte est à (re)voir sans délai…séance tenante.

Sans transition, j’enchaîne avec un recueil de poèmes de l’immense Valérie Rouzeau « Sens Averse » datant de 2018 et publié aux éditions « La Table Ronde ». Chez Valérie Rouzeau, tout est affaire de malice. C’est avec une infinie délicatesse que cette poétesse croque notre quotidien, percutant habilement fantaisies phonétiques et évocations doucereuses. Ici, la violence est sous-jacente, la cruauté du Monde en filigrane et les touches impressionnistes permanentes. Mme Rouzeau procède par étapes, à tâtons et nous enchante autant qu’elle nous questionne. Pour preuve, cet extrait de toute beauté :

«  Tu dois te remettre à l’heure heureuse
La tendresse ne s’achète pas comme un chien
Et l’obsolescence de l’amour n’est pas encore programmé
Ne peux vraiment tu pas
Au lieu d’aller pleurer dans les toilettes pour dames. »

Ici, lire rime avec élixir. Alors, n’hésitez pas. Courez en « Sens Averse » et mettez du baume sur votre âme, sans réserve.

Pour terminer, c’est avec une infinie tristesse que j’évoquerai pour vous l’album d’un chanteur de charme, crooner expérimental et « beau bizarre » trop tôt disparu : Christophe et son « Comm’si la Terre penchait » datant de 2001.

Pour bon nombre d’entre nous, Christophe se résumait à une poignée de tubes yé-yé et quelques slows d’été. En ce début de millénaire, la donne change. Daniel Bevilacqua (de son vrai nom) dépoussière la variété française en un seul CD sans rien céder à la facilité. Oubliés, les « Aline » et autres succès fous. Christophe se pare de sa plus belle veste de gala et convoque dans un seul et même plan Massive Attack et Angelo Badalamenti. Sorcier du son, le flambeur nocturne, joue un coup de poker et, au final, rafle la mise. Des titres tels que « j’aime l’ennui », « ces petits luxes » ou « comme un interdit » prouvent que l’on peut être d’un romantisme désuet et d’un futurisme total. Coup d’œil dans le rétro ? Peu pour lui. Une santiag dans les décors de « Lost Highway », l’autre dans une bande-son de Moroder. Point de compromis. Point de tubes programmés sur les ondes hertziennes de l’époque. Et alors ? Demandait-on à Robert Wyatt de pondre un hit reggae ensoleillé ? Christophe est déjà loin. Loin du marketing. Loin des Enfoirés. Son album tutoie les cadors du Jazz. La BO idéale et imaginaire d’un Amour impossible. La tirade d’un franc-tireur. Un sommet. Un sonnet. Pour ma part, alors que je traversais une période très difficile, « Comm’si la Terre penchait » fit office de compagnon de route. Et me sauva au propre comme au figuré.

Je ne peux que remercier, par « voix » détournée, cet interprète fragile et sensible qui n’est plus.

Adieu, cher Monsieur.

Votre album tient du miracle. Vos chansons n’en sont que plus précieuses…

Enfin, Ami(e)s..

Je vous souhaite à toutes et à tous du courage,de futurs « fucking » longs-métrages à vous mettre sous les mirettes et, surtout, surtout, prenez soin de vous.

John Book.