Plan d’ouverture. Une jeune femme se tient devant une porte. Attitude volontaire. Attente. Elle nous tourne le dos mais nous sentons poindre une certaine fébrilité. Une impatience. Plan final. Cette même femme a passé le seuil d’une autre porte (bien similaire) et fixe un objet qui cristallise toutes ses attentes, ses envies, son avenir. Entre ces deux plans? Certainement l’un des premiers grands films de 2020.
Comme bon nombre de spectateurs, je fis la découverte de la délicieuse Greta Gerwig dans « Greenberg » de Noah Baumbach. Son précédent long-métrage « Les Berkman se séparent » m’ayant électrisé -sans compter sa patte de scénariste sur les différents chefs-d’œuvre de Wes Anderson- je dois avouer que « Greenberg » me laissa… circonspect. Peu de choses à dire sur ce film si ce n’est la qualité d’interprétation, une bande-son orgasmique (LCD Sounsystem Forever!) et une scène de sexe bancale et pathétique entre Ben Stiller et la future Mme Baumbach .
Serait-ce le premier faux pas? Une erreur de jeunesse? Un manque d’arc(he) narratif pour Noah? La suite me donna raison.
Car vint « Frances Ha » et son apologie du quotidien. Beaucoup de « Hype » pour rien (Frederic « Coke en Stock » Beigbeder est fan), de pose artistique sans grand intérêt mais, incontestablement, la confirmation d’une actrice « au naturel » et débordant d’énergie. Frances court beaucoup mais nous laisse essoufflés. Bonne actrice. Mauvais film? Quitte à choisir une déambulation existentielle, je lui préfère « Recherche Susan désespérément » de Susan Seidelman, parfait reflet d’une époque indolente et d’une jeune femme d’aujourd’hui. Du moins des années 80. Je me comprends.
Allions-nous perdre notre californienne dans un fatras de pellicules froissés du cinéma indépendant?
La même redite ad vitam? Égérie érigée en rigide favorite dans la sphère « mumblecore »?
Nous l’attendions au tournant de l’acting mais l’oiseau s’était fait la belle depuis bien longtemps pour un nid moins confortable. Celui de la réalisation et, in fine, de l’éclosion d’une petite merveille: »Lady Bird ».
Teen Movie maitrisé, original et interprété brillamment par deux actrices au firmament de leur art. Un sommet dans le film indépendant américain doublé d’un portrait sans cliché d’une adolescente rebelle. Beau? Non. Fucking beau!
Adieu le Glamour suburbain. Une réalisatrice était née.
A l’annonce de cette nouvelle adaptation des « 4 filles du Docteur March » par notre native de Sacramento, mon sang ne fit qu’un tour!
J’avais, encore, en tête, la version doucereuse de Gillian Armstrong et son casting en béton armé (Wynona Rider, Kirsten Dunst, Claire Danes, Christian Bale et Susan Sarandon, excusez du peu…). 25 ans plus tard, quel enjeu et quelle relecture pour ce classique de la littérature?
N’en déplaise aux critiques acerbes (et plus particulièrement celles du « Masque et La Plume », nous allons dans les mêmes salles mais ne « voyons » définitivement pas les mêmes films, sorry, la compagnie!), Greta puise dans ses expériences passées dans les productions à budgets moyens pour nous offrir la quintessence du film romantique et intelligent.
Là où nous attendions un fil narratif propret et académique, la scénariste de « Lady Bird » secoue ses scènes et insère des flashbacks émotionnels afin de mieux soutenir notre attention. Un évènement en appelant un autre, cette matriochka ascensionnelle nous ravit l’âme et nous emballe par la grâce d’une réalisation enjouée (les corps sont perpétuellement en mouvement, tels des satellites, et la caméra ne perd rien de leurs soubresauts), d’une photographie aux couleurs chatoyantes – en interaction avec l’humeur des protagonistes et des saisons- et d’une partition musicale absolument sublime (Alexandre Desplat, encore lui!).
La direction d’acteur n’est pas en reste et ce quatuor du Diable se donne à corps (et cœurs) perdus dans l’incarnation de sœurs sensibles et volontaires. Leurs facettes psychologiques résonnent immédiatement en nous et les valeurs de solidarité et de liberté qu’elles véhiculent ne peuvent qu’emporter notre adhésion.
Chris Cooper émeut dans le rôle d’un riche propriétaire inconsolable, Thimothée Chalamet confirme tout le bien que l’on pensait de lui et les impériales Laura Dern et Meryl Streep complètent, avec classe, ce casting jubilatoire.
Enfin, si il ne fallait retenir qu’une (belle) figure emblématique, ce serait le visage de la soyeuse Saoirse Ronan, indomptable Jo, confrontée au machisme ambiant et perdue dans des sentiments contradictoires face au Monde qui l’absorbe.
Revêche, frondeuse et d’un charme renversant, cette actrice habite littéralement cette figure de proue, féministe avant l’heure, et enterre toutes les lolitas chics d’un revers de la main (ou du poing, c’est selon).
Sublime de bout en bout, je vous mets au défi de ne pas pleurer un torrent de larmes à la vision de ces contemporaines « Little Women ».
Ainsi, faites fi des mauvaises langues! Courez voir ce long-métrage qui annonce une Année 2020 sous les meilleurs auspices… et autorisez-vous à le crier sur les toits.
Pour ces filles là, moi, à fond je « March »!
John Book.