Artisan
Il y a des articles qui demandent du temps afin de les peaufiner, de les penser pour finir par les coucher sur le papier (ici c’est bien évidement le clavier azerty qui fait office de plume sergent major) afin d’esquisser le portrait d’un artisan du rap et de la prose sans équivalent en France. Un artisan qui croque nos quotidiens, nos vies et nos maux.
Le rap (ou le hip hop) fait partie intégrante de ma discothèque, au même titre que le grindcore de Napalm Death, la poésie musicale de Stephan Eicher ou d’autres musiciens qui arrivent encore à me donner la force d’avancer. Entre les albums de La Rumeur, la Gale, Vîrus, Casey, La Caution ( big up Noisy le sec), Eminem ou encore Aesop Rock pour ne citer qu’eux, la discographie de Lucio Bukowski possède une place toute particulière.
Et ceci à plusieurs égards : par la qualité de l’écriture dans un premier temps, des collaborations et featuring qui font sens (L’animalerie et bien évidement Anton Serra, Lionel Soulchildren Nestor Kea, Owster Lapwass et Tcheep) et, en second temps, une production aux petits oignons pour tels ou tels projets ( LP, Mix tape) que Lucio Bukowski balance depuis plus de 15 ans.
Pour cette fois, exit les chroniques sur les projets musicaux que j’ai pu rédiger auparavant. Je m’attarde sur son dernier récit : « Cartilages » (aux éditions Le Castor Astral) qu’il signe de son nom : Ludovic Villard.
Entre les cartons, les lignes
« Sans expérience, le narrateur est embauché comme intérimaire dans une entreprise de déménagement. Il doit alors apprendre les codes de ce nouveau milieu et faire face à une cadence de travail infernale.
– Très vite, les conséquences sur le corps, l’esprit et la vie sociale se font jour. « Le dos raide comme une planche, les cervicales grippées, les ligaments coupants, les muscles durcis par la fatigue et les mouvements répétitifs. Faire comme si de rien n’était. S’habiller et monter dans le bus, les cartilages qui hurlent à l’intérieur. » La lecture et l’écriture de poésie deviennent alors l’amie à laquelle se rattacher pour maintenir la tête hors de l’eau. »
Le Castor Astral.
Dès le début, le ton est donné. Ce récit sera direct et sans artifice. La pagination est inscrite de manière journalière sans être datée… et le ton et le format sont courts, avec pour seul but d’associer le fond et la forme d’une journée de taf (de merde).
La poésie, elle, est présente. Elle surgit au coin d’une rue, d’un café, entre les temps de manutention et du repos. Loin des normes de la poésie classique, (celle qui s’enseigne au lycée et qui se perd dans les box de nos déménagements), elle est vivante et tient le rôle de tampon (la fonction même du cartilage) entre une réalité difficile quotidienne et l’envie de trouver de belles choses.
« Cartilages », c’est une prise de conscience de son corps et de ses propres limites. Il est important de tout quitter (démissionner ? ) pour mieux se retrouver et rejoindre l’essentiel : l’art, un texte, une femme, un homme, l’être que nous aimons ou encore des ami-e-s autour d’un plat de grillades arrosés de vin. La vie, non ?
Là, la beauté est partout et n’entache en rien le recul des personnages vis-à-vis de leurs actions dans leurs tranches de vie. Personnellement je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec ces mois passé dans une grande enseigne culturelle de distribution comme stockiste. Ma pensée va vers mes camarades qui « turfent » dans les librairies, les bibliothèques et, plus largement, dans les usines semblables au protagoniste. Des corps courbés, des corps outils.
Comment ne pas penser à la condition des ouvriers et ouvrières ? Corps usés, santé en berne, afin de faire vivre leurs familles. De vrais héros pour certains, des notes d’intérim pour d’autres.
« Cartilages » est, à mon avis, un récit sociale doublé de la vision d’un artisan poète. Un livre qui à toute sa place à côté de Personne ne gagne de Jack Black et l’Apostat d’un autre Jack. Jack London.
« Lisez des livres et niquez vos mères ! »
L’automate a-t-il pensé être un homme libre ?
Hun, il rira bien devant ces quelques lignesExtrait de « Mer d’Aral ».
Pour aller plus loin
Je ne peux que vous encourager à vous pencher sur les différents projets de Ludovic Villard / Lucio Bukowski. Le bougre (c’est affectueux) a vraiment du talent : dessin, poésie, documentaire, rap et je suis sûr qu’il est aussi bibliothécaire.
Alors pour le prix d’une pinte à Paris, lisez Cartilages !
Je dédie cet article à Sylvain, Stéphane et tous les membres du webzine Lust 4 Life. Aux ami-e-s de Lyon – aux murs de la capitale des gaules, défoncés par mes soins. Aux potes bibliothécaires, qui peuvent se rassurer : les profils hybrides / contractuels sont bien dans la place et font le job ! Et enfin au Virgin Barbés 690 euros Crew !
Ultime dédicace à mon enfant : « Les mots doivent sortir. Qu’importe le prix de l’encre ».
Encore merci à Ludovic Villard pour son accord et l’utilisation de la photo.
Ekimr
Liens
Le Castor Astral : Site officiel.
Ludovic Villard : Site officiel
Lucio Bukowski : Bandcamp
Illustration de l’article : Mike Rouault