Je le sais. Le dernier album des Smashing Pumnkins est disponible depuis cet été sur le web et je ne l’ai pas écouté. Frilosité ? Peur d’être déçu ?
Ou simplement la très vieille habitude de ne pas se pencher sur le web pour gaver ses esgourdes ? Vintage mais vingt ans d’âge. Et se rendre chez un disquaire, l’objet désiré entre les mains. Pour moi, vieux daron rouge, la musique s’écoute en plastique et paye ta chnek avec un chèque. Déballe le carré. Recto. Verso. Triture le livret pour mieux appréhender la nouvelle livraison de Billy Corgan et de ses sbires, place le CD dans la mini-chaîne et dissèque la bête même pas morte. Les citrouilles pointeraient chez Liebig ? But the Big Don’t lie & the Dead Don’t die. Chicago vent debout contre toute attente. Depuis quelques albums, il était de bon ton dans l’intelligentsia du rock (tu sais, le ROCK vu par les spécialistes de la profession ! Lourd et couillu, le rock quoi !) d’anoblir seulement des guitares saturées et de conchier voluptueusement tout chemin de traverse, tout écart électronique ou rétro futuriste. Ce fut donc le cas pour « ATUM » (dernier LP en date et plus easy pétales qu’Heavy Métal) que pléthore de critiques enterrèrent manu-militari sans prendre le soin de s’y lover longuement. Un opéra-rock en trois volets sur fond de nappes extatiques, qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Big William, plus « Black » que « Blake » ? Peu me chaut. Ainsi fut balayé, d’un revers de la main, l’un des chefs-d’œuvre du freak monomaniaque. Indigeste la trilogie loukoum ? Je le répète. Toute équation complexe ne se résolve pas en cinq minutes.
Tant pis pour les pisses-froids et Champagne pour les autres !
Novembre 2024. En attendant la réhabilitation, certainement tardive, de cet ATUM incompris, accueillons objectivement « Aghori Mhori Mei » et laissons venir l’imprudence.
Evidence.
Dès les premières mesures, les Smashing renouent avec le panache de « Machina ». Riffs tranchants, background lugubre et voix intemporelle, nos quatre fantastiques font voler en éclat le laboratoire sonore dans lequel ils évoluaient en amont. Donner une nouvelle fiancée au monstre « Mellon Collie & the Infinite Sadness » ? Et pourquoi pas ? Ici, le courant passe et les flux s’entrecroisent sans jamais s’éparpiller. Court et compact, l’album donne à croire une aventure inédite en Metal/orgie. Une sensation qui se vérifiera au gré de cette écoute gourmande.
Observation d’une mue, dans le détail.
Intro. Murmure. Tsunami. Ici, nos quinquas génèrent des torrents de flux sonores et de refrains qui cognent. De mes enceintes giclent des guitares /scies circulaires, boucles, soubresauts et autres tracks travestis sur fond de morceaux béliers et solos salauds. Edin, Pentagrams, Sighommi, Pentecosts, War Dreams of itself, Who goes there, 999, Goeth the Fall, Siracus et Murnau dans un étau. Dix titres abrasifs, dix titres qui réchauffent l’âme et le cœur de tous les teenagers depuis les fucking 90’s. Dans cette symphonie de poche digne d’une BO de jeu vidéo, Billy y chante comme un enfant apeuré et se heurte à des couloirs alambiqués, des forêts luxuriantes. Woodkid on the block. Album ramassé, hérissé de tessons et sophistiqué, « Aghori Mhori Mei » est tout sauf aseptisé. No hits. No Bullet. No bullshit. Une pose ? Le coup de rétro de trop ? Redonner un nouvel élan au groupe par l’entremise d’un rock pyromane et pompier, quitte à décevoir les amateurs de défrichage ? Aux critiques incendiaires, notre chauve sourit entre extase et transe (sylvanie). Oui, retrouver en studio le plaisir du voltage mais sans le cahier des charges. Chez notre Comte Orlock toute notion de singles se carapate, tant il semble avoir fait le tour de la composition synthétique (son escapade solo déconcertante mais aventureuse en atteste). Liberté artistique ? Coup de poker mesuré ? Moins vendre de galettes à la foire ? Le compte en banque de nos citrouilles fracassées se porte à merveille, merci pour elles. Non. A l’instar des Red Hot Chilli Peppers en quête d’une jouvence éternelle, le Boss de Chicago rappelle à l’ordre ses ouailles pour un sermon définitif sur le Rock. Certes, les traits sont un peu plus marqués et les rides un peu plus creusées. Mais, en 2024, parmi les jeunes pousses prêtes à en découdre avec les Anciens, qui peut réellement se targuer d’avoir ce son, ces paroles, cette attitude ? Qui peut se vanter de remplir des salles de taille respectable tout en alternant classiques intemporels et essais avant-gardistes ? Je fais mon vieux con ? Certainement. Mais le groupe bénéficie, encore, d’un statut culte indétrônable. Souvenir ému d’un Zénith de Paris où, en 2012, « Oceania » fut joué intégralement sur scène suivi d’un Best-Of ébouriffant. Entre les deux, une reprise stratosphérique de « Space Oddity » de Bowie. Toute la discographie de nos vampires se résume à cela. Une partie de funambule et de jambes en l’air, en équilibre instable. Seul point d’ancrage : un tube torturé et absolu. Et plus bas ? Les rejetons de Pearl Jam et Puddle of Mud.
Que la Génération Perdue choisisse un autre Peter Pan pour guide ! L’héritage grunge ? Il attendra. L’influence « noisy » ? Aussi. Laissons Maneskin et les petits avatars de Queen chouiner au fond de la classe. Notre formation protéiforme, en dépit de ses nombreuses mutations, a toujours su garder le cap en mer houleuse. Changer la carcasse. Booster le moteur. Renouveler l’équipage. Mais le Capitaine ? Il coulera avec le navire ou pourfendra tous les Icebergs. On the rocks.
A celles et ceux qui adressaient à notre auteur compositeur un dernier billet d’humeur en sa défaveur -« Nosferatu, somnifères as-tu ? Quid de ce LP soap-horrifique ? »- Billy Corgan empile/empale ses fulgurances et leur répond par un superbe doigt d’honneur. Qu’ils soient Heavy, Glam, Grunge, branchés sur les 80’s, contemplatifs ou d’une rage folle, les albums des Smashing Pumpkins se suivent et ne se ressemblent pas.
A chacun de trouver dans ce juke-box King-size de treize LP l’instant « T » qui lui sied.
Gish, Adore, Pisces Iscariot ou Zeigeist ?
Aghori Mhori Mei, Cyr ou Atum ?
A vos souhaits.
John Book.