L’ultime volet de la trilogie américaine, d’Arman Méliès, « Laurel Canyon » est un album à la volonté plus « ontologique » que « spirituelle », prenant pour compagne les routes de Californie et l’introspection d’un désordre entre unions mortels et êtres surnaturels. Il parviennent à combiner idéalement cette profondeur sombre avec l’accroche-cœur d’un folk-rock moderne.
D’un socle musical d’assimilation réciproque toujours bien étendu, mais parfois inattendu, le rock (progressif) a là encore une classe folle, sur lequel il va ajouter des éléments plus sombres et accrocheurs (ce qui était déjà un peu le cas auparavant même s’il pousse les choses un peu plus loin cette fois).
Fondation et empire, fondement et empathie. Arman Méliès fait apparaître le reflet quasi lucide d’un questionnement courtisan, paix, joie et amour. Mais dans cette soif insatiable, règne le goût du doute. Musicalement il fait preuve d’une intelligence et d’une audace dans l’ensemble de ses compositions, ajoutant ainsi à cette narration homérique la fidélité et l’exigence des mots.
Pas de grand virage et tant mieux, l’artiste touche a tout ce qui brille, poursuit l’élaboration d’une œuvre en multipliant les exercices de styles. Arman Méliès confit la production à Antoine Gaillet et le mixage à Florian Monchatre, trio tailleur d’ambiance sur mesure pour des mélodies cinématographiques grand angle.
« Avalon » qui ouvre la danse est l’exemple parfait de cette touche puissante au refrain noir et aux effets vaporeux, sur lequel le piano fait la différence dans les graves. Métronome qui convoque Jim Morrison, Jack London, à un duel de valeurs allégoriques. Effacer les traits de monstres sacrés n’est pas réalistes, mais démasque la merveilleuse mise en forme d’une synthèse qui donne corps aux travers d’images mornes aux fantasmes féeriques d’Avalon. Par cette écriture qui pourrait être celle de la vérité, le récit devient irrésistible au final.
Enchaînement direct, « Météores » voit Hubert Félix Thiéfaine s’associer avec cette voix superbe (témoignage de 40 ans de chansons) qui s’accorde parfaitement à celle de Méliès, pour un duo à la sensibilité toute latitude. Ce titre monte crescendo, le saxo d’Adrien Soleiman en haut, avant de s’achever sur un final au spleen puissant.
On retrouve un peu plus loin sur « La soif » les notes folks d' »Échappées Belles Vol. 1 » (2018) qui fait ici office de ritournelle purgatoire, mais qui met en évidence ses qualités indéniables d’écriture tout en s’habillant d’une harmonie remarquable. Arman se livre, se délivre.
Evidemment le titre qui représente le mieux cette orientation colorée est bien « Laurel Canyon« , déjà diffusé comme single annonçant l’album. Son ton dramatique, son rythme crépusculaire et son cachet faussement sobre, représentent sûrement la quintessence de la musique d’Arman Méliès.
Techniquement, les arrangements sont toujours au niveau le plus élevé auquel il nous a habitué depuis son premier album « Le Long Train Lent et les Beaux Imbéciles » (2003).
Langoureux et aussi dramatique que mélancolique, le maestro, à bientôt 50 ans, n’hésite pas à recourir à quelques menues touches d’électro jazzy pour rehausser sa musique comme il se doit, notamment sur « La Mêlée« , « Une Promesse » ou encore » Vise Le Cœur » qui ferme cet opus. Nous y retrouvons bien sûr les sonorités similaires au 2ème volet « Basquiat’s Black Kingdom » et l’envergure du 1er volet « Roden Crater« .
Métamorphe où neufs titres hypnotisant à l’orchestration redoutable, avec de somptueuses mélodies insidieuses, magiquement renforcées par des textes qui se partagent la part du lion. A travers le plaisir tangible de l’auteur à nous faire vibrer à hauteur de ses rêves, il en fait un jeu par l’assemblage de métaphores riches de sens… Cette poésie musicale, que la fiction mènera de l’enfer au paradis humain au milieu de héros arthuriens, sert délibérément l’artifice fantasmé d’un éloge funèbre. Les fantômes de Bashung, Ferré et Ferrat ne sont pas loin.
« Laurel Canyon » est tout simplement un chef d’œuvre de plus à ajouter dans notre discothèque idéale. L’un des albums de l’année, évidemment il est difficile de ne pas le mettre en boucle.
Arman Méliès « LAUREL CANYON » nouvel album disponible ici : https://modulor.lnk.to/LaurelCanyonAlbum
Artwork et Photos : Yann Orhan
Stef’Arzak