Nous sommes fin 2007 et je suis installé dans une très belle salle de cinéma. Beaux quartiers huppés de Paris. Je ne suis pas un habitué des lieux mais me suis précipité dans cette structure pour une raison précise : la projection d’une version « final cut » de « Blade Runner ». Certes, je connais ce long-métrage mais ne l’ai, malheureusement, découvert (sur un écran de télévision, en VHS et recadré en Pan/scan, merci Warner !) que dans un montage imposé par les producteurs. Voix-off proéminente, plein écran et fin radieuse. Ridley Scott n’approuve pas ces choix trop explicatifs et nous convie à une tout autre expérience : son regard unique de cinéaste. Quelques personnes, plus âgées, autour de moi se positionnent. Extinction des feux. Musique.
Dès les premières minutes, « Blade Runner » nous dévoile une dimension parallèle où la partition hypnotique de Vangelis prend véritablement sens.
Vision hypnotique. Transe.
Des explosions dominent une ville high-tech et délabrée. Une pupille s’ouvre sur le Monde et c’est mon regard de cinéphile qui s’éveille.
Mieux, le « Main Titles » m’irradie dès ses premières mesures et m’impacte comme jamais.
On connait la chanson, certes, mais l’environnement est propice à la sidération.
Un nouveau long-métrage voit le jour dans cette salle obscure.
Plaisirs parallèles et réminiscences d’un dimanche après-midi morne sur un lit où, lycéen, je laissais mon esprit vagabonder à l’écoute d’une cassette audio. Le son n’était pas fabuleux mais m’enveloppait d’une douce torpeur et je me « refaisais le film »…en lévitation.
Ici ?
Saxo mouillée pour romance noire, polar usé jusqu’à l’accord, gouttelettes de notes qui dégringolent sur des androïdes amants/aimantés.
Flambants neufs.
Alors que le compositeur grec s’en est allé rejoindre les réplicants, je ne peux dissocier son mythique « score » de son nom.
Vangelis reste, pour moi, l’architecte émotionnel d’un film de S.F. majeur dans l’Histoire du Cinéma.
C’est un peu court, jeune homme ?
Je ne veux point être réducteur.
On ne peut faire l’impasse sur ses débuts avec Aphrodite Child’s (comment oublier leur suprême : « It’s five o’clock » et leur leader Demis Roussos, ogre à la voix éraillée et haut perchée, guitariste et bassiste dont la carrière se résume dans l’inconscient collectif, et bien maladroitement, à un slow français des 80’s?).
Ma mère me raconte, souvent, cette anecdote : en 1968, elle déjeune en face du Bon Marché dans un petit restaurant et se retrouve voisine de table avec le quatuor hellénique. Hippies sympathiques. Simplicité. Accessibilité. Zéro égo… et, au compteur, un hit : « Rain & Tears », classé numéro 1 en France durant treize semaines !
De même, à l’instar de Gainsbourg, on ne peut écarter ses autres faits d’armes pour le 7ème Art. Les bandes-originales de « L’Apocalypse des Animaux », « Chariots de feu », « The Bounty » et de « 1492: Christophe Colomb » sont des chefs-d’œuvre intemporels et des sources inépuisables d’inspiration pour bon nombre d’arrangeurs actuels.
Adepte du grand écart dans la culture populaire, Evangelos Odysséas Papathanassiou fut, toute sa vie, un autodidacte gourmand qui embrassa le Monde derrière un clavier.
Jazz, rock progressif, pop psychédélique, vignettes électroniques et musiques de films, il empoigna les harmonies avec candeur et curiosité.
Sans se soucier des catégories et des genres et sans savoir appris le solfège.
A l’instinct. Au feeling.
Dreamcatcher.
Au final, ses envolées au piano/ synthétiseur furent la bande-son rêvée de nos existences.
« Blade Runner ». Forever.
A présent que cet artiste n’est plus, je ne peux m’empêcher de me remémorer le monologue final « Tears in Rain » prononcé par Rutger Hauer:
« J’ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion…J’ai vu des rayons C briller dans l’obscurité, près de la porte de Tannhäuser…Tous ses moments se perdront dans le temps…comme…les larmes dans la pluie…Il est temps de mourir. »
Alchimie entre le fond et la forme. Pur moment de cinéma sublimé par un musicien de génie.
Vangelis portait la marque des plus grands car porteur d’une œuvre plurielle, universelle et transgénérationnelle.
Sa disparition, dans notre paysage mental, laisse un vide abyssal.
John Book.
Crédit photo : ©Nemo Studios