Yuzu! vous connaissez ? Les bienfaits de cet agrume prisé des grands chefs aux vertus multiples sont bien connus. Mais l’agrume nippon ne semble rien avoir en commun avec le duo niçois composé de Sarah Basso (chant, guitare) et Victor Martin (batterie). Yuzu! est un savant mélange entre des textes rageurs, des rythmes aux influences métal/grunge/punk et une voix d’ange. Cocktail détonnant et étonnant. Ils nous présentent aujourd’hui leur 1er EP « Radio Non-Sens ».
Commençons par le commencement : YUZU!, pourquoi ce nom ?
Sarah Basso : Pour le coup, la réponse est toute bête : j’aime juste beaucoup la sonorité du nom de ce citron japonais absolument délicieux, légèrement acidulé et sucré.
Sarah et Victor, pouvez-vous nous présenter votre groupe ?
Victor Martin : YUZU! est un projet relativement simple, créé en août 2018, dans lequel Sarah et moi essayons de faire de la musique qui nous plaît. Dans ce premier EP, on a produit du grunge un peu punky, un peu metal aussi parfois, le tout joué relativement vite. Le fait qu’on soit deux dans le groupe nous restreint inévitablement mais stimule notre créativité, nous poussant à faire le maximum avec ce que l’on a. S’agissant du visuel du groupe, on le prend tout aussi sérieusement que la musique. On recherche avant tout un univers sombre, glauque, avec une pointe d’humour si possible.
Votre EP « Radio Non-Sens » vient de sortir. Comment décrirais-tu cet EP ?
Victor Martin : Je le vois comme un bloc de rock’n’roll dense et oppressant parfois. Le visuel de cet EP représente assez bien l’atmosphère de la musique. Imaginez-vous dans cette pièce sombre et froide, la bave aux lèvres, en souffrance visiblement, avec comme seule ouverture vers l’extérieur, ces fines bandes de lumière qui émanent de la persienne. Les compositions se jouent relativement vite, sont très riffées et régulièrement parsemées de coupures comme pour laisser à l’auditeur un bref instant pour souffler.
Les thématiques que vous employez dans vos chansons sont plutôt sombres. Pourquoi cette noirceur ?
Sarah Basso : La musique et l’art en général sont d’excellents moyens d’exorciser ses démons intérieurs. Je m’en sers pour identifier et canaliser les miens. La nécessité d’une structure dans la composition musicale m’aide à mettre en perspective une situation floue qui m’oppresse. L’écriture des paroles doit respecter le cadre et l’atmosphère imposés par la mélodie, ce qui aide à mieux cerner le problème et moins s’éparpiller. Une fois cristallisée de la sorte, c’est comme si j’étais enfin armée pour affronter ce sentiment indicible qui m’accable et le transcender.
Quels musiques ou aspects vous ont inspiré au moment de composer cet EP ?
Sarah Basso : À mon sens, la composition est l’assimilation de tout un tas d’œuvres diverses et variées d’où l’on a distillé les nutriments nécessaires à un moment plus ou moins donné. Cet EP est le fruit de deux années de vie et d’expériences culturelles et personnelles. Sur cette période, j’ai écouté les Melvins, Queens Of The Stone Age, Fu Manchu en passant par Gesaffelstein ou Foals, sans oublier Björk. J’adore Björk, j’ai beaucoup d’admiration pour sa capacité à mettre une part d’elle-même dans ses compositions. Un pot pourri auquel on pourrait ajouter des films de Robert Rodriguez ou Lars Von Trier et des livres de Stanley Milgram ou Stephen King et même des artistes comme Kensuke Koike pour ne citer qu’eux. Globalement, j’ai passé toute cette période à composer ponctuellement et pleurer quand je n’y arrivais pas. C’est quelque chose qui me prend énormément de temps, je peux passer des mois sur un riff sans parvenir à en trouver la suite, je suis très lente. Mais je suis aussi persévérante.
Beaucoup pensent que le punk est mort, alors qu’il a comme une seconde vie partout en France et ailleurs depuis une dizaine d’années. Quel est votre point de vue sur cette nouvelle scène punk/rock ?
Victor Martin : Je ne me considère pas comme un spécialiste du punk, ni même un connaisseur d’ailleurs, me sentant plutôt affilié au metal. Ce que je peux dire de mes observations, c’est que l’esprit punk des années 80 en Angleterre – la rébellion, les bastons, le style de vie jusqu’au boutiste -, a quand même beaucoup évolué. En France, je trouve que les groupes de punk sont plutôt orientés vers un registre humoristique, prenant l’attitude détachée et nonchalante chère au mouvement punk, sans aller plus loin dans les revendications politiques ou sociales. La provocation aussi s’est diluée en France, alors que les groupes de punk de l’époque n’hésitaient pas à prendre des postures scandaleuses pour choquer l’opinion publique.
Le titre protestataire « Suck it Up », qui ouvre votre album, est sans doute le plus puissant. Quelle est l’origine de cette révolte que vous exprimez ?
Sarah Basso : J’ai été soumise à une grande pression lors d’un projet avec une équipe qui ne m’était d’aucun soutien, bien au contraire. Il m’était absolument impossible de faire un coup d’éclat pour manifester ma détresse et ma frustration quant à leurs mauvais comportements car cela n’aurait fait qu’empirer ma situation déjà précaire. Je n’avais pas le choix, je devais me la fermer, point barre. Du coup, j’ai composé Suck It Up, assez spontanément d’ailleurs, ce qui est rare. J’y ai mis tout ce que j’aurai aimé pouvoir leur dire et leur faire de condamnable par la bienséance et peut-être même aussi la loi.
Dans votre chanson « Rott-Käppchen » avec cette métaphore du grand méchant loup, qui est le chaperon rouge ?
Sarah Basso : Pour Rott-Käppchen, je voulais parler de la place de la femme dans la société et des discriminations qui l’accablent aujourd’hui encore, d’une manière générale. Je butais, je ne savais pas par quel angle attaquer. Puis il y a eu l’affaire Weinstein et le mouvement #Metoo. J’ai trouvé ça fou, la parole qui se déliait enfin sur un sujet tabou et pourtant omniprésent. Tout le monde savait mais personne n’osait affronter le loup. J’aime beaucoup les contes de fées car ils ont beaucoup de sens plus ou moins cachés. Le Petit Chaperon Rouge était parfait pour la situation, la morale de cette histoire étant clairement une mise en garde pour les petites filles contre les loups qu’elles croiseront dans la vraie vie et qui chercheraient à abuser d’elles. Rott-Käppchen serait la suite, arrivée à l’âge adulte, elle a les armes pour pouvoir se défendre contre lui et lui rendre la monnaie de sa pièce, ne plus se laisser avoir.
Sur votre EP, le titre éponyme « Radio Non-Sens » donne le sentiment de dénoncer l’impact des médias sur l’opinion publique. Chanson contre l’ info qui nous intox ?
Sarah Basso : Je cherche toujours une métaphore pour traiter mon sujet avec humour et dérision. Je suis très fan d’absurde pour mettre en avant les défauts ou ridicules d’une situation. Ce n’est donc pas sans raison que Radio Non-Sens se déroule au Pays des Merveilles d’Alice. J’essaie toujours d’intégrer plusieurs degrés de lecture aux textes, non seulement parce que ça m’amuse, ça reste un exercice de style, mais aussi pour mieux cerner toutes les dimensions propres à un sujet. Cela peut passer par les fake news ou les informations en général. En effet, la déformation du regard public sous l’assaut des informations qui nous parviennent de toutes parts, qu’on le veuille ou non. Cela peut passer par la dysmorphie dont souffrent les addicts aux réseaux sociaux, qui ne parviennent plus à se reconnaître dans le miroir sans leurs filtres, anxieux de ne pas se laisser dépasser par les tendances et rejetés par leurs abonnés qui peuvent également les lapider au moindre faux pas. Impitoyable. Cela pourrait être le réveil matin qui sonne sans pouvoir nous arracher d’un rêve étrange et dont la mélodie fusionne avec une histoire construite sur des symboles inconscients.
Quels sont vos futurs projets ?
Victor Martin : On travaille actuellement sur la composition de notre premier album. Nous prévoyons également du contenu vidéo de qualité professionnelle, ce qui nous a pas mal manqué pour cette première année d’existence.
Avez-vous des dates à venir ?
Victor Martin : On sera en tournée fin septembre dans la moitié sud de la France, on annoncera les villes à la fin de l’été.
Stef’Arzak