C’est toujours difficile d’aborder la thématique de la première Guerre Mondiale, tant l’atmosphère économico-politique contemporaine peut-y faire référence sur plusieurs aspects. Encore plus, quand c’est du point de vue de l’un des principales pays protagoniste : l’Allemagne. Toutes les formes d’expressions artistiques ont traités ce sujet historique, pour en sortir des images, des gravures, des peintures, des textes, des pièces de théâtre et des films. Ces œuvres évoquent toutes la folie humaine.
Presque un siècle après, un groupe Allemand de Métal « Kanonenfieber » personnifié par « Noise » prends à bras le corps ce sujet pour en délivrer un superbe second concept-album : « Die Urkatastrophe ».
Im westen nichts neues ?
Je ne peux m’empêcher de reprendre le titre et la comparaison du roman de Erich Maria Remarque (1928). Ce roman décrit la Première Guerre mondiale vue par un jeune soldat volontaire allemand sur le front ouest. Qui reste le symbole du pacifisme allemand. Nous tenons ici son équivalent musical.
Kanonenfieber est donc un groupe de métal allemand originaire de Bamberg (Bavière). Ils jouent du Blackened death metal, (oui je sais les journalistes ont besoin de case pour ranger les styles musicaux, sinon ils sont perdus ! ). Les thématiques abordées sont exclusivement sur la Première Guerre mondiale, le quotidien des soldats sur le front.
Un peu d’histoire
Le groupe est fondé en 2020 en tant que projet solo par le musicien anonyme « Noise ». Ce dernier a passé de septembre à octobre 2020 à écrire et à enregistrer le premier album « Menschenmühle » Poubelle humaine, sorti en février 2021.
L’idée de Kanonenfieber est née d’une discussion avec un ami sur certains aspects de la scène métal et sur la manière dont les thèmes historiques sont mis en œuvre. Plus précisément, il s’agissait du thème de la Première Guerre mondiale. La conclusion était un projet musical sans glorification de la guerre, sans aspect gore, aussi précis que possible historiquement et largement vérifiable avec des faits. L’ami est un historien amateur possédant une grande collection de lettres et de documents originaux de la Première Guerre mondiale. Et ce sont précisément ces rapports et ces lettres qui ont servi de base aux textes.
La sortie du premier album « Menschenmühle » a été un succès total, ce qui a conduit à plusieurs demandes de concerts. Noise avait suffisamment de temps pour étendre le projet individuel en un groupe live pleinement fonctionnel. Pour cela, il recruta des amis musiciens nommés Kreuzer, Sickfried, Gunnar et Hans.
Dans cette constellation, le groupe a donné des performances énergiques dans le monde entier à partir d’avril 2022. Il s’agit notamment de spectacles légendaires dans des festivals tels que Summer Breeze, Partysan, Dong O.A., Hell and Heaven (Mexique) et Ragnarök Festival. Avec ses décors de théâtre, ses changements de costumes et son spectacle de feu extravagant, la formation se démarque de tous les festivals.
Die Urkatastrophe
Ce deuxième album est disponible depuis quelques semaines. C’est une réussite, tant dans la production que la réalisation. Bénéficiant d’une distribution par le label Century Média (Napalm Death, Arch Ennemy et d’autres groupes importants de la scène métal). Die Urkatastrophe se pose comme l’un des albums de l’année. Pourquoi ?
Parce que nous avons ici :
12 titres qui abordent encore une fois, la Première Guerre mondiale du côté du soldat. Sans volonté de glorification, ni de mise en avant d’une idéologie politique quelconque. Utilisant, les instruments de musique ( guitares, blast, growl) comme autant d’éléments pour faire le constat historique et du quotidien que la guerre : le bruit de la violence, les actes, l’horreur.
12 titres de black death métal qui traduisent : les tranchées, la violence, les combats, les histoires de vie, la merde, les rats, la maladie, l’autre qui est si prêt et pourtant si loin. L’amitié, la fin et le peu d’humanité qui reste dans les entrailles du front.
Des titres comme » Sturmtrupp », « Verdun » et « Der Maulwurf » ne font pas dans le détail. C’est direct, puissant et sans compromis pour l’auditeur. Résultat : 12 obus dans la tronche, une gueule cassée et musicalement j’en redemande.
Le nouveau single « Der Maulwurf » – La Taupe, parle d’un pionnier de la Première Guerre mondiale. Il s’est porté volontaire pour travailler comme mineur parce qu’il pensait pouvoir se protéger des dangers du front souterrain. La vérité, cependant, était complètement différente. Historiquement l’exploitation minière a joué un rôle crucial pendant la Première Guerre mondiale, notamment sur le front occidental. Les soldats ont creusé des tunnels sous les lignes ennemies pour y poser des charges explosives, qui ont ensuite provoqué des destructions massives. Travailler dans les tunnels étroits était extrêmement dangereux et exigeait beaucoup d’habileté, car il y avait toujours un risque de contre-attaque ennemie. La guerre des mines a contribué à briser les fronts bloqués et a fourni une stratégie brutale mais efficace dans ce conflit. Ce point avait été traité dans la série Britanique « Peaky Blinders » lors des premiers épisodes, souvenez vous.
Alors oui, ce nouvel opus est sans doute l’un des albums de l’année 2024 pour moi et il s’inscrit aussi dans la continuité d’un autre groupe, Porta Nigra avec son « Weltende » sorti en 2023. Et comment ne pas penser à Johnny s’en va-t-en guerre (Johnny Got His Gun) réalisé par Dalton Trumbo, sorti en 1971, adaptation cinématographique du roman du même Dalton Trumbo, publié en 1939.
Der Maulwurf
Iconographie
Comme beaucoup de groupes de métal, Kanonenfieber bénéficie d’une iconographie et d’un choix esthétique qui respectent la thématique abordée. Nous retrouvons donc ce gigantesque soldat, personnifié par le crâne, vêtu des différents uniformes de l’armée Allemande lors du premier conflit. C’est d’ailleurs la seule représentation « humaine » des pochettes, les combattants, la populace, sont réduits ici à de la chair à canon (ce qu’ils étaient vraiment), ils sont tous morts ou le seront bientôt. Ils ne sont rien aux yeux des autres.
L’utilisation d’une typographie gothique marque encore plus l’imagerie militaire des textes et des albums.
Le trait de l’illustrateur Daniel Bechthold et la composition des pochettes sont inspirés par les images de propagande qui étaient présentes lors du conflit. D’ailleurs certaines images sont disponibles dans le livret de l’album. Mais une chose est plus importante, ce sont les références (sans équivoque) à des artistes qui étaient présents aux combats. C’est le cas pour Otto Dix. L’influence est évidente et l’illustrateur Daniel Bechtold rend sûrement hommage aux travaux de son compatriote.
Les pertes humaines de la Première Guerre mondiale s’élèvent à environ 18,6 millions de morts. Ce nombre inclut 9,7 millions de morts pour les militaires et 8,9 millions pour les civils. Une jeunesse sacrifié.
Les arts ont traduit ses 4 années de guerre, les millions de morts. Combien d’artistes (Auguste Macke), de musiciens, de poètes et écrivains (Charles Peguy) ont été fauchés sur les champs de bataille, combien de survivants ( Kokoschka mais aussi les Français Félix Valloton, Georges Braque ou Fernand Léger, Paul Klee et l’Autrichien Egon Schiele) ont essayés de retranscrire via leurs œuvres ce que l’espèce humaine est capable de faire de pire à ses semblables. Un siècle après, l’Histoire inspire les musiciens comme « Noise », mais honnêtement nous restons sourds aux témoignages même avec des guitares saturés.
La guerre c’est de la merde.
Il tomba en octobre mil neuf cent dix-huit, par une journée qui fut si tranquille sur tout le front que le communiqué se borna à signaler qu’à l’ouest il n’y avait rien de nouveau.
A l’Ouest, rien de nouveau (1928) de Erich Maria Remarque
Cet article est dédié aux gens de bonne volonté, à la paix et les musiciens y participent grandement. A « Opa » et ses frères, qui n’avaient rien demandé eux aussi.
Ekimr
Liens
Site officiel : Kanonenfieber
Illustration : Mike Rouault
- Ruhe in frieden : Repose en paix.