GAMINE, CHAMPION DU MONDE DE LA POP FRANÇAISE

Ce fut certainement l’une des explosions les plus tristes qui soit dans le ciel étoilé de la pop française. Bien sûr, il y en a eu d’autres qui ont pris la relève : les Littles Rabbits avec leur premier album (produit par Paco Rodriguez) puis récemment Aline. Mais le groupe Gamine était l’alliance parfaite d’une voix unique et d’un sens mélodique inouï.

Tout a commencé dans les années 80, mais c’est le morceau Le voyage qui a tout déclenché.

En 1986, dans une émission sur France 3, Etienne Daho parrainait deux groupes, d’un côté Les Innocents et de l’autre Gamine. Bonne pioche. Apparaissait sur l’écran, un garçon juvénile Paul Félix Visconti, cheveux mi-longs complètement à l’aise au chant et dans ses gestuelles, Paco Rodriguez portant des lunettes de soudeurs avec une guitare douze cordes et Guillaume Bacou à la basse, plus discret.

Alors grosse émotion d’avoir au téléphone Paul Félix, chanteur du groupe Gamine après une absence de 27 ans… Let’s go !

Il y a de la musique chez le petit Paul Félix à la maison. Le père écoute et joue, la mère, elle, est plus dans le classique. Enfant, il fait des tours de chant sur son lit, peut-être pour faire comme son père et se mettra à 13 ans à la guitare en entrant à la maison des jeunes de son quartier, pour se rapprocher aussi un peu d’un père lointain. Il fait des reprises, notamment Neil Young avec Harvest Moon et Leonard Cohen. Sa sœur participe aussi à son éducation musicale, avec Bowie et son Ziggy Stardust.

Au lycée, il y a un garçon plus âgé que lui de 2 ans, pas mal punk, Paco Rodriguez, qui a un groupe. Il lui demande de rentrer dedans. Objection de Paco devant son côté baba cool : Reviens quand tu auras coupé les cheveuxPaul Félix part à Londres puis revient cheveux courts, chemise, cravate : t’es embauché !

Ils commencent par faire des reprises en anglais des Beatles.

Et puis après quelques 45 tours dont une reprise de GainsbourgHarley Davidson, ils sont remarqués avec le titre Le voyage. La maison de disques Barclay atterrit à Bordeaux et signe deux groupes : Noir Désir et Gamine.

Paul Félix se transforme en Paul Félix Visconti en référence au producteur Tony Visconti. Le premier album Voilà les Anges commence avec un décompte, un clin d’œil au morceau Ground Zero de Bowie.

Gamine-Voilà-les-Anges-1988

Il peaufine les paroles pendant les répètes. Si la musique est collective, pour les paroles c’est son territoire secret. Par réaction à ses parents, il ne lisait pas mais a été fortement impressionné par Léo Ferré chantant les poètes. Le premier morceau Être roi est inspiré par un poème de Verlaine Ô Triste était mon âme (qu’il connaît encore par cœur trente ans après !).

On pense aux Byrds, aux Kinks, car juste avant l’enregistrement, un copain leur avait fait écouter ce son des années 60, mais aussi à Tom Verlaine avec son groupe Television. Voix chaleureuse, émouvante, transcendée par les arpèges de guitare, défiant les lois naturelles de Paco Rodriguez, reconnaissables immédiatement comme celles de Robin Guthrie de Cocteau Twins. Et puis le tube incontournable Voilà les Anges qui passait aussi bien chez Jacques Martin que chez Michel Drucker.

Chez Gamine, c’est le romantisme qui domine, comme échappé d’un tableau de Caspar David Friedrich : Le voyageur contemplant une mer de nuage ou pour le cinéma Conte d’été de Rohmer : Les gens sont si bizarres ou Nos sentiments l’expriment parfaitement. Paul Félix peut passer du français à l’anglais : May I aux accents Gainsbouriens, Dress up ballade bouleversante, Koelkast réveillant l’auditeur, rappelant au passage les racines de Paco, le punk.

Ils seront même amenés à jouer en Angleterre pour une mini-tournée, organisée par un étudiant anglais qui avait flashé sur le groupe. Un soir dans le public, un certain Mick Jones des Clash, chapeau sur la tête, est dans la salle. Il est même possible de sortir le prochain album chez Decca (qui n’avait pas voulu signer les Beatles…) en Angleterre, avant la France, puisque tout va plus vite là-bas, mais pour une raison encore incompréhensible aujourd’hui, le contrat est refusé…

Après Voilà les Anges, le deuxième album Dream Boy sort deux ans plus tard, enregistré en Angleterre dans des conditions proches du live. Paul Félix Viscontiredevient Paul Félix. L’album est solaire, plus vivant, moins introverti que le précédent, quelque chose de jouissif annonce un été sans fin. Le morceau W.A.H., farandole joyeuse, invite à prendre la route, qu’importe la destination.

Sur deux titres, Paco ne se contente plus de faire les cœurs, mais chante sur Nos rêveset Confessions d’un jeune Vaurien, agrandissant encore plus la palette du renouvellement du groupe.

On peut aussi entendre le son rêche des Smiths pendant la période Meet is Murder sur Two people of a different kind. Tellement habité par Léo Ferré, il reprend Pauvre Rutebeuf. Point d’orgue de l’album, Cuisine contemplative, histoire d’amour à la dérive qui rêve pourtant de jours meilleurs…

Ils partiront en tournée, joueront à L’Elysée Montmartre et un peu partout en France. Accueil pas assez enthousiaste du public, pas de tube à passer sur les radios, onze ans déjà à porter ce projet, la fatigue, les substances, un ras-le-bol pour Paul Félix, qui au moment de resigner un nouveau contrat chez Barclay avec le PDG Pascal Nègre, s’obstine fièrement à dire et à redire qu’il ne veut plus chanter dans le groupe. Pascal Nègre lui fait comprendre qu’il n’y aura pas d’autre opportunité pour lui s’il veut continuer dans la grande famille de la musique mais il reste sur sa ligne de fuite…

S’ensuivront des années d’errance, une petite participation au nouveau projet de Paco Rodriguez : Mr Kuriakin, une tentative avec un nouveau groupe, Real Atletico, qui sortira un album, mais le groupe se séparera et n’assurera même pas sa promotion. Puis la rencontre avec le bouddhisme par l’intermédiaire d’une lecture du roman Herman Hesse Siddhartha, sur la vie de Bouddha et surtout un voyage en Inde où il découvre l’éveil et la connaissance de lui-même, effectuant par la suite de longues retraites dans un monastère.

Pendant ce temps, en 2006, sort une compilation de la période 1980-1986, Gamine revisité, puis en 2010, Nouvelle Vague reprend Voilà les Anges avec la voix de Cœur de Pirate.

« Que sont mes amis devenus que j’avais de si près tenus et tant aimés ». Malgré le temps passé, l’amitié a perduré, Guillaume Bacou, parti en Angleterre, Paco lui séjourne régulièrement en Crète et continue son projet Sitarsonic, mais l’occasion était trop belle de fêter la sortie il y a trente ans de Voilà les Anges.

Les deux albums réédités en automne, une tournée, on se prend à rêver à un nouvel album « Rêve garçon rêve »…

Szamanka


A venir : le 28 juillet à 21h à Port Ste Marie (47130). Et une tournée partout en France prochainement.

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