Rencontrer l’écrivain Dominique Fabre, c’est la promesse d’une étreinte. Le souvenir chaleureux et mélancolique de bras posés autour de vous et d’une voix douce qui vous préserve pendant un court instant de la vie qui tangue. L’ébauche d’un voyage immobile, d’un monde à portée de vous, fait de délicatesse et de mouvements lents. Un peu comme dans un film de Wong Kar-wai : la vie que l’on pourrait saisir au ralenti pour observer, ne rien oublier, creuser un sillon, l’élargir et y revenir encore et encore.
La grande affaire de Dominique Fabre, c’est la machine à écrire. Il faut avoir eu la chance de l’entendre retentir au petit matin. Echange physique et mécanique, les doigts qui frappent les lettres et ça fait du vacarme.
« La machine à écrire, ça m’a toujours plu; et comme je suis gaucher contrarié, mon écriture est assez illisible. Je me suis acheté des machines assez jeune, pour me permettre de me relire. Depuis l’enfance, j’en ai toujours vues autour de moi. Ma mère était sténo-dactylo, tout comme ma grand-mère et ma marraine ».
Il en trouve dans les brocantes, en a 4 et est toujours à la recherche de rubans.
L’écriture est arrivée un peu tard dans sa vie. Il a essayé la photo mais ça n’allait pas. « Je tournais autour du truc, et je me suis retrouvé à 20 ans très très seul; j’avais besoin d’avoir une sorte d’exécutoire à cette solitude. C’était une raison de vivre; ça m’a duré pendant longtemps, on m’a refusé beaucoup de manuscrits; ça m’a déprimé pendant longtemps, et à 33 ans, le coup de fil qui change tout ». C’est l’éditeur Maurice Nadeauqui lui ouvre la porte du monde de l’édition avec un premier roman Un jour j’irais loin.
« Ecrire, c’est toute ma vie. Mais si personne ne prend ce que tu écris, c’est vraiment terrible, tu es un raté, tu as raté ta vocation. Donc mon bouquin est publié, et ensuite, j’ai continué à faire la même chose qu’avant mais en étant publié cette fois ».
Dans la vie de Dominique Fabre, l’amitié prévaut. Les révélations littéraires, ce sont les copains qui disaient « ça c’est génial », et lire devient une révélation. Etre absorbé, englouti tout entier par un roman : « J’avais l’impression que j’étais plus vivant en lisant des livres que dans la vie. Je me sentais plus intensément vivant en écrivant. Dans les livres, la vie est plus parlante, plus intense que lorsque tu regardes par la fenêtre. J’avais peur d’écrire mais j’ai eu de la chance… la chance d’être publié et traduit en anglais et espagnol ».
« Raconter des histoires. Mes personnages sont un peu éloignés de moi. Je suis une sorte d’historien qui ferait l’historien mais qui n’y connaîtrait absolument rien, ne ferait aucune recherche et qui raconterait quand même ».
Lorsque l’on rencontre Dominique Fabre, on découvre sa discrétion involontaire. Il faut parfois tendre l’oreille pour entendre sa voix, douce et fragile. « C’est mon enfance qui a beaucoup déterminé qui je suis et je ne m’en suis jamais tiré; en même temps, je ne suis plus du tout là-dedans ».
Parmi tous ses romans, il y en a deux en particulier – Ma vie d’Edgar et Fantômes -, où le personnage d’Edgar lui ressemble : « J’étais un petit garçon un peu traumatisé, j’avais besoin de me raconter. Je n’étais pas un enfant aimé. J’ai été placé puis j’ai été en internat. J’ai toujours ça dans ma tête. A Saint Nectaire, j’avais un copain prénommé Edgar, qui était sourd et muet. Ces deux romans sont nés d’un désir autobiographique. On est tous dans notre enfance, on se connaît tous par notre enfance ».
En 6ème, sa mère le reprend à Paris, mais lui entretemps a pris l’accent savoyard, ce qui lui vaudra moqueries…
« L’écriture, c’est tôt le matin quand tout le monde dort encore.
Dans le silence.
Ecrire c’est tout un monde. C’est un lieu de plaisir, de peine, de douleur mais une jouissance que les mots soient plus intenses que la vie.
Je brouillonne beaucoup le matin, et à un moment donné, je sais qu’il faut que j’y aille. Je sais vaguement ce que je vais écrire, c’est un besoin physique, un appel régulier de me mettre à la table.
Parfois, j’ai de la difficulté à quitter un personnage. Je les retrouve alors d’un livre à l’autre et je me demande ce qu’ils sont devenus ».
Pour son dernier roman Je veux rentrer chez moi, il a voulu raconter l’histoire de son ami Richard, qu’il a connu à l’âge de 13 ans et qu’il aura fréquenté jusqu’à la fin de sa vie, vissé à son lit d’hôpital. Tous ces souvenirs d’adolescents où ils ont grandi dans la périphérie ouest de Paris et puis le reste, l’étendue, les gouffres et les addictions. « En mémoire de toi, mon petit frère, notre ami ».
Un roman sur l’amitié, sur ce que c’est que d’avoir un ami, une bande de copains et des liens invisibles qui vous unissent. Créer des liens, ces lianes gigantesques et rassurantes qui vous accompagnent toute une vie, dans les endroits les plus sombres, les plus fous, quand ça vrille et qu’une main est toujours là pour vous y accrocher.
« Pour moi, de plus en plus, la chose la plus belle, simple et difficile à exprimer, c’est le temps qui passe. Je trouve ça déchirant la vie qui passe… »
« Le titre Je veux rentrer chez moi ? C’est ce que voulait pour Richard, pour son exigence. C’était retourner dans la vie, ne pas être mis de côté. Mais c’est quoi rentrer chez nous ? Pour nous tous ? Je veux rentrer chez moi, je trouvais que ce titre était joli… »
« C’est une sorte d’obligation que je me suis faite, un truc que je sais faire, pour le graver dans notre vie, cette volonté de se battre contre la mort jusqu’au dernier moment ».
C’est aussi Richard et sa bande de copains qui l’ont initié à la musique : Magma, Pink Floyd, le souvenir de son premier concert de Jacques Higelin avec Richard. Plus tard, ce sera le jazz avec Keith Jarrett.
Il arrive qu’on l’arrête dans la rue et par mégarde ou étourderie, qu’on le prenne pour Philippe Geluck, le créateur du Chat. Une autre fois, alors qu’il est le talent du mois à la Fnac Bastille, un certain Dominique A vient lui témoigner son admiration. C’est la naissance d’une belle et fidèle amitié qui dure toujours.
Il participera ensuite à l’écriture d’une nouvelle, lors du projet Tout sera comme avant (une chanson de l’album, une nouvelle d’un écrivain). Et sur ses deux derniers albums, deux chansons après la lecture de son roman Les soirées chez Mathilde : Aujourd’hui n’existe plus et Le temps qui passe sans moi, prennent vie. « C’est un grand cadeau qu’il m’a fait ».
Quand on lui demande ce que sera son prochain projet, il sourit comme un enfant. Ce sera le retour d’Edgar, ses 18 ans, en faire une trilogie, un tryptique à la manière de Francis Bacon. « Ton enfance est finie maintenant, tu prends ton baluchon et tu pars; ça s’appellera : L’anniversaire« .
Au moment de se quitter, dans la pénombre, il confesse : « Tu sais, j’ai déjà vu mes personnages dans les rues ».
« Dernièrement dans le métro, j’ai croisé un jeune homme du même âge que Richard; dès que je l’ai vu, j’ai été assommé d’émotions; ça m’a tellement bouleversé et ému que j’ai changé de wagon. Puis je me suis dit qu’il y avait quelques exemplaires de lui à travers le monde, et ça m’a fait du bien ».
Une bise en partant, avant de vous retrouver dans la rue, avec l’émotion qui s’abat sur vous. Vous repensez à cette phrase de son dernier roman : « J’ai voulu raconter ça pour nous, parce qu’il ne sert à rien de vivre si on a pas d’amis ».
Vous avez les larmes aux yeux, vous regardez votre répertoire dans votre téléphone. Un prénom vous revient en mémoire, il est peut-être encore temps de le joindre… Le pouvoir de la littérature.
Dominique Fabre
Je veux rentrer chez moi
Edition Stock
SZAMANKA