Crossroads Festival #6 ! Six fois plus de raisons de ne pas le louper!

Crossroads Festival est un rendez-vous réunissant publics et professionnels autour des arts fédérateurs de la scène musicale vivante. Comme beaucoup, après avoir vécu une version numérique (streaming) en 2020, Crossroads reprend, cette année, la vie à bras-le-corps dans une version classique en public, qui aura lieu à Roubaix dans quelques jours. Le festival fait l’objet de notre attention toute particulière puisque nombre de ces artistes sont déjà présents dans nos pages web et nos playlists. Un entretien avec l’équipe organisatrice du festival s’impose à nous comme une évidence pour le mettre encore plus en lumière avec leurs propres mots.

Pourriez-vous nous expliquer brièvement l’origine du Crossroads Festival ?

Kenneth Quiguer (secrétaire général de la Brigade d’Intervention Culturelle) : La Brigade d’Intervention Culturelle, qui organise le festival, travaille depuis 20 ans à l’exportation de la scène musiques actuelles de notre région. À force de programmer des artistes de chez nous sur des événements professionnels, surtout des festivals de showcases, en Europe et ailleurs, nous avons eu envie d’en organiser un chez nous ! L’idée c’était bien de proposer une programmation axée sur l’émergence à un public avant tout professionnel (même si le grand public est bien évidemment le bienvenu !), dans un espace-temps restreint permettant de voir et d’écouter de nombreuses propositions dans des conditions confortables, de discuter entre professionnels et de s’informer sur des sujets d’actualité dans le cadre de rencontres dédiées. Ce projet conçu par la BIC et appuyé par les collègues de la filière régionale a convaincu en 2016 nos partenaires, au premier chef desquels la Région Hauts-de-France, notre partenaire historique, qui a décidé d’augmenter son soutien à notre structure de façon à développer le festival. Et la première édition a donc pu avoir lieu en septembre de cette même année !

Il s’agit d’une édition particulièrement importante puisqu’elle est avec un retour du public. Comment avez-vous vécu 2020 ?

Kenneth Quiguer : En 2020 nous sommes comme le monde entier passés par tous les états, au gré de l’évolution de la situation sanitaire : sidération, angoisse, résignation, incertitude, espoir, re-incertitude… Mais nous avons tout de même ressenti la satisfaction d’avoir réussi à faire quelque chose (i.e. une programmation artistique en livestream et des rencontres professionnelles en présentiel) ! Et ce pour la filière des musiques actuelles dans son ensemble, mais aussi pour le public qui a largement suivi les streams proposés. Avec un regret néanmoins, au-delà de l’absence de publics pour les lives : la difficulté de travailler avec nos partenaires étrangers, à l’exception de la Belgique, à cause des difficultés de déplacement à l’international.

Mais à partir du moment où nous avons décidé de ne pas annuler le festival et de le proposer sous une forme nouvelle (on était alors en mai), se sont mobilisés tout un ensemble d’acteurs qui ont rendu ce projet possible. Nos partenaires financiers habituels (Région Hauts-de-France, Métropole Européenne de Lille et SACEM) qui ont maintenu leurs aides, mais aussi le Ministère de la Culture, le Centre National de la Musique, la Ville de Roubaix qui les ont rejoints. La quinzaine de lieux dans toute la France et à Bruxelles qui a accueilli au début de l’été 2020 notre super équipe audiovisuelle Attic Addict pour les captations vidéo, en mettant gracieusement à notre disposition leurs équipements et leur personnel technique, tout cela dans des conditions de protocole sanitaire pas faciles. Les artistes évidemment qui ont accepté ce format de diffusion inhabituel. Nos équipes techniques que nous étions tellement heureux.ses de revoir ! Notre équipe de communication Daydream Music qui a effectué un énorme travail pour assurer la meilleure couverture possible de l’événement par les médias (presse, web, radios, France TV…) et la diffusion numérique de l’événement. La Cave aux Poètes, les agent.e.s de la Ville de Roubaix et toutes les structures (Haute Fidélité, TOTEM, l’AFDAS, la FEDELIMA, le Collectif Jeune Public HDF, l’ARA…) qui ont permis la réalisation en présentiel des différents temps de rencontres professionnelles. Nos bénévoles, nos prestataires… La liste est longue et j’en oublie certainement, mais c’est vraiment grâce à la forte mobilisation de ces acteurs, enthousiaste de surcroît, que cette édition 2020 très particulière a pu exister, et nous les en remercions ici encore très sincèrement.

Les enseignements tirés de l’édition 2020 du festival sont nombreux, notamment quant à la dimension numérique de l’événement qui nous a amené.e.s à explorer les méandres techniques et juridiques du streaming, mais aussi à prendre la mesure des possibilités offertes par le numérique pour notre mission de promotion de la création artistique émergente. Cela se traduira par de nouvelles propositions d’intervention qui se mettront en place progressivement à partir de la fin de cette année.

Pendant cette période propice à la réflexion, avez-vous déjà travaillé sur la prochaine session ?

Anne Burlot-Thomas (coordinatrice du Crossroads Festival) : Oui, l’édition 2020 nous a permis de produire 27 sessions live qui ont continué à avoir une vie après le festival, auprès du public bien sûr, mais également pour les groupes pour faire connaître leurs créations auprès des professionnel·les. On s’est rendu compte que c’était aussi un super outil pour valoriser cette scène émergente que nous défendons et leur permettre de disposer d’une session de très bonne qualité pour rechercher de nouveaux partenaires, trouver de nouvelles dates, mais aussi les accompagner vers l’export. Le contexte sanitaire a généré de nouvelles façons de travailler côté pros pour détecter les talents. Nous avons participé à des vitrines/show cases à distance avec le Canada par exemple et eu des coups de cœur pour des projets là-bas que nous serons heureux d’accueillir lorsque les déplacements transatlantiques seront de nouveau possibles. Nous réfléchissons aussi à de nouveaux partenariats et des échanges internationaux. Cette année, nous avons développé une coopération avec deux régions allemande et polonaise et nous allons accueillir quatre groupes de là-bas. Nous commençons également un échange avec la Suisse qui va nous permettre d’accueillir Louis Jucker, un des très beaux projets de cette nouvelle édition. Le digital et poursuivre le développement à l’international vont être de nouvelles priorités pour 2022 et c’est assez enthousiasmant de rouvrir des portes sur le monde après ces périodes de restriction.

Quelles actions avez-vous dû mettre en place pour rendre cette édition possible ?

Anne Burlot-Thomas : De la souplesse, de l’agilité et de la patience (rires). On a travaillé sur plusieurs hypothèses de manière à pouvoir jouer quoiqu’il arrive ou presque. Cela demande pas mal de créativité de la part des équipes et de ne pas avoir peur de réviser sa copie autant de fois que nécessaire. On a vécu comme beaucoup d’acteurs culturels, l’expérience de faire, défaire pour refaire à nouveau. Chaque nouvelle mesure qui nous permet de faire exister cette édition comme le passe sanitaire par exemple demande des discussions et des échanges de manière à ce que cela soit le plus fluide possible pour nos publics, mais aussi les artistes que nous accueillons. On a la chance de bosser avec une équipe « tout terrain » qui a à cœur de faire vivre le festival « no matter what » comme on dit de l’autre côté de la Manche. Et nous gardons un œil en permanence sur les infos pour anticiper autant que possible des problématiques de déplacements qui ne permettraient pas la présence de certains de nos groupes internationaux. Pour l’instant, nos groupes européens devraient pouvoir nous rejoindre et on a renoncé (provisoirement) au Canada. Mais ce n’est que partie remise. On doit aussi saluer la souplesse de nos partenaires comme la Ville de Roubaix qui nous accueille cette année à l’espace Watremez et à la médiathèque pour nos rencontres professionnelles. Ils accompagnent chacun des changements avec beaucoup de bienveillance. Et cette situation un peu exceptionnelle nous a aussi permis de mettre en place un nouveau partenariat avec les Archives Nationales du Monde du Travail à Roubaix, un lieu qui n’est pas encore très connu du grand public, mais où nous aurons la chance de pouvoir accueillir le Tour de France AGI-SON – en partenariat avec le pôle régional Haute-Fidélité – qui est un rendez-vous important pour nos lieux et festivals avec les nouvelles mesures qui vont être bientôt mises en place côté réglementation sonore. Malgré la crise, notre secteur reste mobilisé, engagé et prépare la rentrée et les concerts à venir.

Pour la construction de votre programmation, avec cette masse importante de nouveaux projets (due aux nombreux reports en 2020), comment avez-vous réussi à faire votre sélection ?

Benjamin Mialot (programmateur) : D’abord, il faut savoir que Crossroads est un festival qui a vocation à travailler main dans la main avec les acteurs de la filière musicale, et cette volonté s’exprime donc aussi à travers la programmation. Elle se découpe en trois sections qui impliquent chacune divers échelons. Ainsi, les groupes régionaux sont sélectionnés par un jury de professionnel.le.s des Hauts-de-France (programmateurs.trices, chargé.e.s d’accompagnement, journalistes…) sur la base de propositions émanant des structures de développement du cru (labels, studios, salles de concert…). De même, les projets hors Hauts-de-France sont promus par des diffuseurs, producteurs, éditeurs, etc. de tout le pays, et c’est ensuite le conseil d’administration de l’association qui porte le festival, lui-même composé de professionnel.le.s, qui travaille sur la sélection. Enfin, pour ce qui concerne les artistes internationaux, ce sont des bureaux export ou des festivals partageant notre attention à l’émergence et à la circulation qui nous transmettent des shortlists. Dans tous les cas, de nombreux critères entrent en considération : une recherche de complémentarité esthétique, de parité scénique, de diversité géographique, la structuration des projets (il est important que les musicien.ne.s soient encadrés par des personnes sérieuses et motivées pour les aider dans leur promotion et leur recherche de partenaires), leur place dans la chaîne alimentaire si je puis dire, c’est-à-dire que nous devons nous assurer que les groupes sont à un stade de leur carrière où le festival leur sera bénéfique… Après, choisir, c’est renoncer. Même si nous sommes pleinement satisfaits de la sélection, nombre de projets recalés ont suscité l’intérêt des différents comités. Ce n’est pas tant à cause de la situation sanitaire, puisqu’un festival de showcases, destiné à lever les tendances de demain à un instant T, ne peut pas vraiment, par définition, reconduire une programmation, mais parce que, avec l’abaissement des coûts d’enregistrement et de distribution ainsi que l’émulation permanente provoqués par l’essor du numérique, la production musicale n’a jamais été aussi vaste et excitante.

Dans vos découvertes artistiques, quels sont vos coups de cœur ?

Benjamin Mialot : Comme je le disais, choisir, c’est renoncer. Mais puisqu’il le faut… Du côté des locaux de l’étape, j’attends impatiemment les prestations de Eesah Yasuke, une rappeuse d’une intensité et d’un charisme assez époustouflants, de Junon, nouvelle incarnation d’un monument régional du post-hardcore, et de La Houle, un projet aux confins du shoegaze, du krautrock et de la pop francophone aussi massif qu’élégant. Mais aussi de Breakfast Club, duo dream pop d’une infinie délicatesse, et enfin de Richard Allen, un songwriter anglais installé en Picardie qui a sorti récemment l’un de plus beaux albums de folk de ces dernières années. Côté sélection nationale, j’attends beaucoup de Nerlov, émule francophone de James Blake (voix fluette, productions expérimentales, textes qui prennent aux tripes), de Niteroy, projet de samba pop qui capture à merveille la saudade, ce sentiment typiquement lusophone à mi-chemin de la joie et de la mélancolie, ou encore de Louisadonna, qui verse dans la pop à danser féministe et flashy. Et puis l’OVNI Annael, danseur, beatmaker et chanteur d’origine congolaise dont l’improbable diction à la Dick Annegarn rehausse de beaux petits tubes d’électro pop urbaine, ou le non moins singulier Murman Tsuladze, qui revisite à grand renfort de synthétiseurs et de coupes mulet la musique des Balkans. Enfin, pour le volet international, il me tarde de découvrir Sparkling, un trio de post-punk allemand à l’énergie délicieusement juvénile, Francis of Delirium, une toute jeune héroïne grunge venue du Luxembourg, et de revoir Louis Jucker, figure de la scène do it yourself suisse qui s’est fait connaître à la tête du groupe de noise Coilguns et viendra présenter son répertoire folk, d’une inventivité et d’une finesse à tomber par terre. Voilà. Mais je vous assure que tous les autres valent aussi le détour !

À maintenant moins d’un mois du début, avez-vous une certaine forme d’impatience et/ou encore des appréhensions ?

Anne Burlot-Thomas : Les deux, mon capitaine ! Impatience, car hâte de retrouver le chemin du live et des projets que nous sommes heureux de présenter au public. Appréhensions évidemment dès qu’un titre dans la presse évoque cette quatrième vague un peu étrange sur laquelle nous surfons depuis le début de l’été. Mais quand on organise un festival, on finit par avoir l’habitude des aléas et des changements, cela fait partie du charme et que ce sont des projets dans lesquels la routine n’existe pas 😉

Pour élaborer votre charte graphique 2021, pourquoi avez-vous choisi une île ? Y a-t-il une symbolique derrière ?

Tanguy Aubrée (chargé de communication du festival) : Nous avons souhaité montrer Roubaix sous un angle différent de l’image que la ville peut avoir auprès des personnes qui n’en auraient que des représentations quelque peu faussées. Il s’agit en effet d’une ancienne terre industrielle, d’ailleurs symbolisée dans notre visuel par le volcan avec sa cheminée en brique rouge. 

Mais Roubaix est aujourd’hui un lieu de création qui connaît un renouveau très fort. On y trouve des lieux de création et de diffusion, des espaces d’expositions, des cafés et restaurants branchés, des établissements d’enseignement de design, de mode, de vidéo, de musique et de danse, le musée de la Piscine connu au niveau international…

Nous avons donc voulu en faire un îlot de découvertes accessible des quatre points cardinaux, et donc de partout en France ou des pays limitrophes (qui sont aussi nos partenaires).

On a voulu suggérer le côté « aventurier » ; dans le sens défricheur des nouveaux talents qui émergent sur le festival, car ils se sont encore peu produits en public. Nous souhaitons ainsi inciter les festivaliers à rentrer dans cette logique de découverte, même s’ils ne connaissent pas la plupart des groupes. 

C’est un pari sur la curiosité et nous trouvons que cette figuration rend l’évènement attractif. Dans un contexte où les gens n’ont pas pu voyager comme ils l’entendent depuis deux ans, nous les invitons dans notre petit coin de paradis de la création musicale française et européenne. 

Programme Jour par Jour :

Plus d’infos sur le festival : https://www.crossroadsfestival.org/

Stef’Arzak