Sept ans après Dead Magic, Anna von Hausswolff revient avec Iconoclasts, un album qui s’impose comme son œuvre la plus ample, la plus lumineuse et paradoxalement la plus intime. Conçu sur la durée, entre deuils, renaissances et expérimentations sonores, ce disque s’écoute comme une traversée : celle d’une artiste qui, sans jamais renier sa part d’ombre, choisit désormais d’habiter la clarté.
« Life is such a gift », écrit-elle en annonçant l’album. Cette phrase, simple et presque naïve, résume à elle seule l’élan vital qui irrigue Iconoclasts. Car si les précédents disques d’Anna von Hausswolff, Ceremony (2012), The Miraculous (2015), Dead Magic (2018), érigeaient l’orgue d’église en instrument du sublime et du désespoir, Iconoclasts s’élève davantage vers la célébration que la lamentation.
Co-produit avec Filip Leyman, compagnon de longue date, l’album réunit une constellation de collaborateurs impressionnante : le mystérieux Abul Mogard, la chanteuse américaine Ethel Cain, Iggy Pop en invité inattendu, ainsi que plusieurs membres de la famille von Hausswolff. Le résultat est moins un projet solo qu’un acte collectif, une mise en commun des souffles, des textures et des mémoires.
Dès l’ouverture, un long drone d’orgue s’élève, traversé par des nappes de synthés et des souffles de saxophone. Le ton est donné : Iconoclasts demeure fidèle à la majesté sonore qui caractérise la Suédoise, mais en élargit les contours. Là où Dead Magic plongeait dans l’obscurité mystique, Iconoclasts cherche la lumière à travers la densité. L’orgue, instrument de la transcendance, devient ici moteur de chair, vibrant, pulsé, respirant.
Sur « Aging Young Women », en duo avec Ethel Cain, von Hausswolff explore la tension entre vulnérabilité et puissance : deux voix féminines, fragiles mais incandescentes, se répondent comme deux âmes traversant le même orage intérieur.
« The Whole Woman », avec la voix grave et rauque d’Iggy Pop, agit comme un contrepoint charnel : un dialogue entre l’humain et le divin, le profane et le sacré.
Ce qui frappe dans Iconoclasts, c’est la maîtrise du contraste. Les morceaux oscillent entre des passages quasi rituels, d’une lenteur hypnotique, et des explosions orchestrales proches du post-rock ou de la musique contemporaine. On pense parfois à Swans, Dead Can Dance, voire aux grandes fresques de Kate Bush, mais toujours filtrées à travers la sensibilité unique de von Hausswolff.
La production de Filip Leyman mérite ici une mention particulière : chaque son, chaque souffle d’orgue ou de saxophone semble placé avec une précision d’orfèvre. Rien n’est laissé au hasard, mais tout respire. On sent la patience de sept années de travail , non pas une perfection glacée, mais une alchimie patiemment construite.
Au-delà du son, Iconoclasts est une méditation sur le passage du temps. L’album aborde la vieillesse, la perte, la transmission, mais aussi l’émerveillement face à la vie. Anna Von Hausswolff y parle moins de dieux que de présence : la présence à soi, aux autres, au monde.
« Treasure your time while you have it », écrit-elle, et c’est peut-être là le véritable cœur du disque. Derrière la monumentalité des arrangements, il y a une invitation simple : habiter pleinement le moment.
Sur le plan critique, Iconoclasts est déjà accueilli comme un sommet : Metacritic affiche une note de 93/100, saluant un disque « viscéral et transcendant ». À juste titre : peu d’artistes parviennent à allier une telle exigence formelle à une sincérité émotionnelle aussi désarmante.
Avec Iconoclasts, Anna von Hausswolff confirme qu’elle est bien plus qu’une héritière du dark ambient ou de la musique d’orgue : elle est une compositrice totale, une bâtisseuse de mondes. Là où d’autres jouent la provocation, elle choisit la foi, non pas religieuse, mais vitale…



