Si l’insoumission peut paraître confuse de nos jours, c’est que de troubles jours sont passés par là. L’insoumission, c’est la révolte engendrée par le refus d’appartenance à un groupe identitaire de classe, un symptôme du malaise de notre société moderne qui ne date pas d’hier. Qu’elle soit capitale ou libérale, elle est avant toute chose idéale. Devenue rare dans sa forme artistique, quelque-un.e.s persistent à aimer la revendiquer avec panache…
Brigitte Fontaine en est une digne représentante : irrévérencieuse et libertaire, sauvage et anarchiste, rageuse et blagueuse, unique et universelle, libellule et punk… Brigitte telle qu’en elle-même, à bientôt 80 ans (le 24 juin prochain), continue à s’amuser en provoquant, entre humour et gravité.
La Morlaisienne d’origine rentre en scène sous les applaudissements fournis du public de La Nouvelle Vague à Saint-Malo le 12 avril, accompagnée de son fidèle guitariste Yan Péchin. Magicien de la guitare qui officia aux côtés de nos plus chers disparus : Bashung, Higelin, Rachid Taha et aujourd’hui Thiéfaine, Miossec et tant d’autres… A eux deux, ils forment un duo détonant où le timbre de voix si particulier de la magicienne des mots trouve l’accord parfait dans les riffs toujours épatants du magicien des notes !
« Ta gueule ! Vive la chienlit ! » balance-t-elle soudain.
« On a toujours plus ou moins envie de dire « Je vous aime, je vous aime ». Mais on n’y arrive pas bien puisque qu’on ne sait pas vraiment à qui le dire. Peut-être n’y-a-t-il personne? Peut-être n’y-a-t-il qu’à soi-même? Il y a quelqu’un ? » La foule déjà envoûtée par cette première déclamation lui répond par un long et unanime « Ouiiiiiiii !!! ».
Et elle de répondre : « Je vous déteste ! »
Le ton est donné. C’est sûrement une part d’elle-même que nous aimons tellement et que nous venons chercher. Cette liberté et cette insoumission aux protocoles et aux conformismes.
Elle enchaîne avec la diatribe anti-cléricale :
« Oh diable Dieu
Ce vieux grincheux
Sur un nuage disent les sages
Ceux qui professent disant des messes
De mirliton que l’homme est son
Portrait craché
Oh quel péché »
Mettre à mal l’image de nos vieilles chapelles décrépites que nous avons longtemps encensées pour nous faire avant toute chose réagir.
« La véritable irrévérence aujourd’hui, c’est faire du lien dans une époque qui sépare les êtres” disait Flaubert …
Mais s’arrêter à cela serait par trop réducteur.
« Ne soyez pas timides, j’ai une grande tendresse pour vous et beaucoup d’estime »
» La bonne du curé « , un incunable signé Charles Leval et chanté par Annie Cordy, dont son guitariste complice Yan Péchin récite les paroles à genoux.
« Vous êtes mignonne comme tout » déclame-t-elle à son compagnon de scène !
« Silence le verbe ! Non mais sans blague ! » hurle-t-elle au milieu des rires du public.
Au-delà de la « fantasque » pointe la poétesse libertaire engagée. Sur « Patriarcat » elle aborde l’inégalité, dans une version magnifiquement délirante et provocante où l’emprise d’un médicament aux vertus poétiques lui donnerait la force du débat des mots sur le comment faire, comment dire ! Sur l’exemplarité, sur la revendication, entre ceux qui veulent voir dans cette acte « l’âme même d’une révolutionnaire » et ceux qui veulent en rire parce qu’il est embarrassant de trop vouloir et dire ?
Après « Lettre à monsieur le chef de gare de la tour de Carol », elle déclare : « Moi je fais tout avec une certaine imperfection, c’est ce qui me permet de rester modeste. La modestie est une qualité merveilleuse. Vous avez remarqué? VOUS AVEZ REMARQUEZ? » hurle-t-elle encore !
Pas de doute, Brigitte sait nous captiver et nous émouvoir…
Elle sait aussi nous décontenancer comme lorsqu’elle fait cette longue élocution :
« Raconter comment vous envisagez votre bonheur futur, vous avez 1 heure !
Quand je serai grande, je serai un homme comme papa, je saurai prouver que j’ai des couilles et le sang coulera beaucoup à cause de ça .
Nous aussi, on a nos mystères, nous les hommes ! dirais-je à ma femme, en lui montrant le sang de l’ennemi sur mon manteau. Elle ne comprendra pas car elle sera très bête comme maman, et ira surveiller son rôti. Je ferai des phrases telles que « je ferais ceci, j’irai là-bas ». Et quand je parlerai, on m’écoutera. Je rentrerai très tard le soir.
J’aurai le prix Nobel de la paix. Un jour, je partirai pour toujours sur un bateau et je mangerai des rats. Longtemps après, lorsque je reviendrai, ma femme sera aveugle ! Mais elle réussira à me faire un gâteau. Je sortirai prendre l’air, je humerai le vent des mers et je me sentirai merveilleusement fort et libre ! En rentrant j’essaierai de parler à ma femme de mon émotion. Elle en sera très fière; elle sourira dans l’ombre. Et avant de se rendormir, elle écoutera mon souffle régulier . Et puis je mourrai le premier, car les hommes meurent toujours les premiers ! »
Entre théâtralité, musicalité et punk-attitude, décalée et indomptable dans cette Société normée à l’extrême, la liberté de Brigitte Fontaine est comme un exutoire que l’on apprécie sans mesure, jusque dans sa démesure.
Stef’Arzak