Rammstein revient avec un nouvel album, trois années après l’impressionnant “Rammstein”. Un début de décennie marqué par une pandémie mondiale, deux confinements en France, une guerre en Europe, un rapport du GIEC alarmant, une extrême droite de plus en plus présente dans tous les pays et une humanité, qui pour la première fois de son existence, est contrainte à des choix de (sur)vies. Le sablier du temps s’écoule. Pouvons-nous revenir en arrière ? Aurons-nous même le temps d’y parvenir ?
Savoir lire entre les lignes
Le groupe à toujours souffert d’une mauvaise image. Une incompréhension pour le public lambda via des textes interprétés dans la langue maternelle du groupe, donc en Allemand. Comme un oubli des autres groupes de rock, issus historiquement de la RFA et RDA (Scorpions, UDO, Kreator et tous les groupes de la scène métal en général) et qui ont fait le choix de la facilité, à savoir chanter en anglais. Rammstein rimerait-t-il avec cliché ? Pour certains, ce raccourci réside dans la musique elle-même : brute, froide, électronique et nappée de guitare hard. Pour d’autres, c’est l’aspect extérieur : vêtements utilisés sur scène ou torses nus. Bref, tous ces éléments ne sont prétextes qu’à des allusions sur l’histoire de l’Allemagne Nazi. Le groupe devra forcément se justifier à chaque création artistique. Le clip de Deutschland et son texte prouvent encore une fois le recul et l’autocritique possible sur l’Histoire de ce pays par les membres du groupe. Une intelligence dans les propos teintée d’une réelle humanité critique. Pour finir sur ce sujet, Rammstein est profondément Européen et attaché à la France où ils ont enregistré plusieurs albums (notamment le dernier prés d’Avignon). De nombreuses références à notre langue et Paris sont cités dans les textes du chanteur Till. Plus largement, le Monde est ouvertement le territoire d’inspiration du groupe : Moscou, le Mexique, etc.
Depuis le premier album “Herzleid ” qui signifie ” Maux de cœurs“, l’amour est le sujet transversal de cette formation. Des morceaux comme ” Amour “, ” Feuer und Wasser ” ou ” Mutter” sont des hymnes à la différence et à un profond respect pour l’Autre. Rammstein se positionne comme le digne héritier de la période romantique Allemande. Et ce nouvel album enfonce encore un peu plus le clou dans notre sombre réalité.
Les images
Sobriété et construction sont les termes qui définissent le mieux le rapport du groupe avec les images. Toutes les pochettes sont le reflet des sujets abordés ou résumés dans une image simple ( Mutter – 2001, Rammstein – 2020 ). Avec “Zeit” , nous retrouvons le groupe dans une composition en couleur réalisé par le photographe Bryan Adams – déjà employé en 2014 pour le magazine ZOO ( cf les images ).
Le groupe en costume noir (deuil ? ) descend d’un bâtiment semblable à un bunker. Métaphore des mois de confinement et de la période de créativité du groupe ? Peut-être. Ils descendent vers une place vide, grise, qui se confond avec la ligne d’horizon. La personne qui fait l’acquisition physique de l’album à une position particulière car le groupe va à sa rencontre, ou pas. Par la composition de l’image, le spectateur (le fan ? ) fait partie intégrante de la pochette et devient acteur de la scène. Une mise en abîme en sorte. Terme cher à mon ami John Book.
L’ambiance est froide et dure, comme la couleur du béton. Cette chromatique est en passe de remplacer le vert de la nature et, comble de l’ironie, illustre bien notre rapport avec la terre et les humains qui la composent. Nous recouvrons toutes les surfaces de la terre d’asphaltes, mortiers, rendant stérile notre avenir. La nature se devine juste au loin, floue. Parce que cela ne nous concerne plus, il y a une distance entre elle et nous. Un air de fin du monde ? La métaphore d’une mélancolie sombre est évidente dans ces clichés.
L’intérieur de l’album est magnifique, comme d’habitude. Ici les photos mettent en avant le groupe dans des espaces gigantesques. Humains accompagnés de leurs ombres. Un état des lieux associé à une scénographie grise, qui ne laisse entrevoir que la fin inexorablement.
L’intérieur de l’album est magnifique, comme d’habitude. Ici les photos mettent en avant le groupe dans des espaces gigantesques. Humains accompagnés de leurs ombres. Un état des lieux associé à une scénographie grise, qui ne laisse entrevoir que la fin inexorablement. Petit détail, le titre de l’album est inscrit en lettre d’or sur un ruban rouge à gauche sur toute la longueur de la surface de la pochette, doublé d’une typographie bien connue des adeptes du groupe.
Ruban que nous trouvons aussi dans les faire-part de décès outre-Rhin. Rappel d’un élément graphique déjà utilisé par le groupe Suisse « Coroner« sur toutes ses pochettes. Hommage ? J’extrapole peut être…
Les maux
Comme à son habitude et depuis leur début, le groupe nous offre un album avec 11 titres. Le premier single ” Zeit ” annonce la direction thématique de l’album : Le Temps. Ce rapport éternel entre l’Homme et son histoire personnelle ou sociétale. Depuis sa naissance jusqu’à sa mort, des bribes de souvenirs comme une envie de revenir en arrière. Un superbe clip vidéo accompagne le titre, sous forme de représentation du temps et de la vie. Pour exemple, vous trouverez un découpage commenté sur le lien suivant (nota en anglais) : ici
A l’origine du second single » Zick Zack » un texte de Till extrait de son premier recueille de poésie, chroniquez ici. Littéralement « Coupe coupe » est une allusion à la gestuelle du bistouri. Faisant ici référence de manière explicite à la chirurgie esthétique. Elle même réalisée pour empêcher et camoufler les ravages du temps sur le corps humain. Le clip est un condensé d’humour noir, d’autodérision et de critique sur toutes les personnes qui finissent avec 30 litres de botox dans le corps ( en ligne de mire : Brazil ~ film de Terry Gillian en 1985). Le tout accompagné d’une irrésistible campagne de promotion. Clin d’œil à la presse jeunesse Allemande des années 1980 – 1990, avec l’hebdomadaire BRAVO. Magazine où l’on pouvait retrouver pèle mêle des articles sur les chats, des groupes comme A-ha, Bon-Jovi et même Slayer et finir sur quelques conseils beauté pour préado. Un OK Podium, plus trash, plus vrai.
Point final ?
Avec Zeit, nous retrouvons les autres thématiques de prédilection de Till Lindemann : sexe (OK, Dicke Titten), mélancolie « Armee der Tristen », violence « Meine Tränen » et l’être humain dans toute sa complexité. Rien de neuf pour certains ? Au contraire, l’Homme et ses travers sont la plus grande source d’inspiration pour le groupe. C’est à mon avis une œuvre aussi noir que « Mutter » et le meilleur album depuis « Reise Reise ».
L’album se terminant sur deux morceaux sublimes « Lügen« (Mensonge), autre référence à l’amour. Et pour la première fois l’utilisation du vocodeur. Associant ainsi le fond et la forme des paroles. Et enfin le magistrale « Adieu » sans autre forme de concession.
Épilogue à une réalité ? Ultime saillie musicale ?
Rammstein est, définitivement, un grand groupe et ce dernier opus confirme la qualité de composition de tous ses membres. Les textes de Till Lindemann sont toujours aussi beaux. Rares sont à mes yeux, les auteurs contemporains allemands qui peuvent se targuer d’être aussi doués, aussi inspirés… Excepté Stephan Eicher. Pour appuyer mes propos enthousiastes, vous trouverez une analyse de chaque titre par la professeure de Littérature Allemande Contemporaine de l’Université d’Oxford Karen Leeder sur cet article !
Le reflet de deux années passées. Le miroir possible d’un avenir contrarié. Une chose est certaine, depuis le début de sa carrière, le groupe n’est pas là pour nous rassurer et encore moins pour nous caresser dans le sens du poil. Il se présente, simplement, comme le “spiegel” ( miroir) de nos sociétés et endosse le rôle (indispensable) d’artiste/témoin. Pour notre plus grand bonheur.
Effacez vos préjugés.
Prenez le temps d’écouter Zeit.
Ekimr
Je dédie cet article à Francis qui a toujours su où la place de l’Homme se situait dans l’Histoire. « Die Zeit mit dir war schön ».
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Liste des titres :
1. Armee der Tristen (Armée des tristes) 3:25
2. Zeit (Temps) 5:21
3. Schwarz (Noir) 4:18
4. Giftig (Toxique) 3:08
5. Zick Zack (Coupe / coupe) 4:04
6. OK 4:03 //// Ohne Kondom ( sans préservatif)
7. Meine Tränen (Mes Larmes) 3:57
8. Angst (Peur) 3:44
9. Dicke Titten (Gros Seins) 3:38
10. Lügen (Mensonge) 3:49
11. Adieu 4:39
Liens :
Site officiel : Rammstein
Illustration : Mike Rouault (copyright 2022)