“Watchmen” de Damon Lindelof. “It’s the End of the World as we know it…”

Un pin’s figurant un smiley ensanglanté, des sauveurs de l’humanité déviants et borderline, une société malade proche de l’implosion et une critique habile de la politique américaine : tels étaient les atouts majeurs et novateurs d’un comic’s book qui révolutionna le monde bien “propret” des super-héros dès 1986. Véritable succès public/critique et porté par l’auteur Alan Moore et le dessinateur Dave Gibbons, “The Watchmen” annonça la fin d’une époque (le lectorat exclusivement jeune) pour céder la place à une autre (le lectorat adulte et adolescent). Ainsi, bon nombre de bande-dessinés empruntèrent des chemins plus tortueux afin de coller aux attentes d’un public nouveau. Adieu images d’Épinal et figures mythologiques impeccables.  Place à la violence des sentiments, au propos sociétal et à la psychologie fouillée. “Dark Knight” ou “Daredevil” de Frank Miller pour précurseurs, “Les Gardiens” mettront définitivement le roman graphique héroïque et neurasthénique à l’honneur.
Moteur.

Dès 2000, la mode des adaptations de comics est relancée via Sam Raimi et son spectaculaire “Spider-Man“. Il faudra attendre 2005 pour que l’adaptation d’un “Batman” plus sombre-par Christopher Nolan– fasse l’effet “boule de neige” au sein de l’écurie DC et que Zack Snyder, auréolé du succès de “L’armée des Morts” et surtout de l’adaptation de “300” de Frank Miller, soit le réalisateur choisi. “The Watchmen” voit, donc, le jour sur grand écran dès 2009.Nous retrouvons la patte du movie-maker même si ce dernier la joue une fois de plus à l’épate. Chansons illustratives et surexposées, effets ralentis redondants et compression inévitable d’une œuvre de 464 pages en 2 heures 23. Rançon du succès. Le long-métrage est accueilli tièdement sur le territoire américain et ne trouve, visiblement, pas son public.
La faute à une vision nihiliste un peu trop appuyée ? L’anticipation d’une fin du Monde annoncée ? Ou un casting misant plus sur l’incarnation de personnages que sur l’emploi de stars reconnues ? Nul ne saurait dire…Il faudra attendre 2019 et un coup de poker de la chaîne HBO pour que nous retrouvions ces cavaliers de l’apocalypse…ou, du moins, leur héritage sur le petit écran.

Là où de nombreux scénaristes auraient joué la carte du “revival” avec la distribution originelle transposée à notre époque, Damon Lindelof explore les conséquences actuelles d’un gang de super-héros inconséquents. Que devient le Vietnam après sa défaite auprès des USA? Et que deviennent les USA sous le joug d’un Richard Nixon au top de sa popularité ? Où vont s’échouer les pensées nietzschéennes de Rorschach? Quelle retraite pour le Spectre Soyeux? Que signifie la fuite du Dr Manhattan?  Et comment se relever d’un génocide de trois millions de personnes ?Cette remarquable série y répond point par point.
Le réalisateur-scénariste prend le pouls d’un territoire mortifère et brouille les cartes. Ici, les flics protègent leur identité à grand renfort de masques, là, des suprématistes blancs s’encagoulent et l’on distingue difficilement les nuances du Bien et du Mal. Ou d’une quelconque morale dans les deux camps présents.
Et l’on pense fortement au revigorant “Superman écrase le Klan” de Gene Luen Yang et Gurihiru sorti récemment.
Où quand DC s’empare d’une plaie Américaine…
Mais je disgresse.
Retour vers le No Futur.
Et l’alternatif.

Outre Atlantique, Robert Redford est devenu président et la Démocratie un cheval de bataille. Plus de cow-boys à l’horizon. Les officiers de police ne peuvent dégainer que sur l’aval de 3 “statuts” de dangerosité, quitte à se faire flinguer. Où se trouve la Liberté ? La légitime défense est-elle une valeur républicaine ? Extrême prudence face à l’extrême Violence ? Et Trump, pompette, joue de la trompette.50 nuances de gris, donc, à l’image de cette chape de plomb qui menace chaque jour un peu plus nos protagonistes. Car chez les “Gardiens“, le temps est compté et la fin du Monde plus qu’annoncée.
Série fantastique, donc, mais aussi politique…voire d’anticipation.
Voici pour la toile de fond.
Mais cette série d’anthologie ne serait rien sans son scénario subtilement agencé et sa distribution flamboyante. Damon Lindelof mélange sciemment son puzzle narratif et en reconstitue les parties -des plus obscures aux plus éclairées- par touches successives.
Loin de nous noyer sous une déflagration d’images, ce dernier nous dévoile l’enfer du décor par la grâce de flash-backs surprenants et d’une réalisation ébouriffante épousant les sombres motivations de ses personnages.
Vous pensiez prendre une direction rectiligne ? Il n’en est rien. Esprits cartésiens, passez votre chemin.

Chaos, Folie et chausse trappe!
Enfin, le casting de premier ordre finit de nous achever dans un florilège d’incarnations de haute volée : Regina King (dont la filmographie laisse pantois) imprègne littéralement l’écran, Don Johnson (the voice) séduit dans un rôle à contre-emploi, Tim Blake Nelson explose les codes “premiers rôles-seconds rôles”, Louis Gossett Jr ( vu dans “Aigle de Fer” et “Le Proviseur“, deux joyaux de mon adolescence) vieillit avec classe et Jeremy Irons ( qui s’est figé dans une faille spatio-temporelle depuis “Fatale” de Louis Malle) campe avec panache et malice un super- roublard d’exception.
Vu le temps accordé (en saisons, épisodes et spin-off) et le ton employé (quid des interdictions aux moins de 16 ans pour “The Game of Thrones“?), les séries ont l’avantage de proposer une adaptation quasi fidèle des œuvres adaptées.
Watchmen” va encore plus loin dans l’extrapolation et propose une variété infinie d’interprétations.
Quatre Emmy Awards en 2019.


Profond, intelligent et un brin anarchiste, “Watchmen” décoiffe.
Je vais être vulgaire, mais franchement, j’en ai chié ma race (et effectue un clin d’œil appuyé aux membres de Lust4Live).
Ne loupez surtout pas ce monument du petit écran et laissez-vous porter par la folie furieuse qui saisit cette première saison diablement ficelée.
En attendant la saison 2 et la réponse possible à cette enivrante question :  “Les Gardiens” nous protègent mais…”Qui garde “Les Gardiens”?


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