Le long chemin qui mène au 14e album studio de The Cure, « Songs Of A Lost World« . 16 ans d’attente, depuis la sortie de « 4:13 Dream« , jalonné de concerts exceptionnels et couronné d’une intronisation au Rock & Roll Hall of Fame. L’attente était longue. Mais si vous attendiez le retour de la bande de Robert Smith en mode pop star commerciale oubliant ses origines New Wave Dark, vous risquez d’être fortement déçu.
Peut-être que pour certains The Cure ne représente plus qu’une vague silhouette noire de votre adolescence, mais pour beaucoup, comme moi, cette bande-là est l’incarnation d’une cold wave sombre, poétique, classieuse et l’espérance de pouvoir entendre, sur disque, de nouveaux titres, était majeure…
Le Saint Graal, reçu grâce à un ami bienveillant, quelques jours avant la sortie officielle, me permettait une écoute attentive, voire religieuse, avant une prévisible abondance médiatique qui m’en aurait spolié le gout et la primeur. L’écoute programmé, forcément de nuit, tel un cadeau je me replonge immédiatement dans l’atmosphère de mes 14 ans, époque où « The Head on the Door » était mon disque de prédilection. Pour autant sans nécessité nostalgique savourer l’instant est important. Je me dis qu’avec mes 40 piges de plus, je pourrais m’ouvrir à de nouvelles perspectives introspectives en découvrant les titres de cet opus. J’appuie sur play..
« Songs Of A Lost World » a sans conteste le caractère funeste que Robert Smith avait promis à ses fans.
C’est un album qui semble profondément enveloppé dans la rudesse des années, de la mort qui nous croise, de la vieillesse ennemie et de la beauté qui nous étreint le coeur. Pas vraiment surprenant, étant donné que Robert Smith a soufflé ses soixante cinq bougies en avril et qu’au cours des dernières années, il a vécu la perte de ses deux parents et de son frère aîné. « c’est la fin de chaque chanson que nous chantons seuls », paroles du morceau d’ouverture « Alone » en dit long sur la mouvance globale de cet opus.
Comme toujours avec The Cure, c’est un déluge de beauté âpre et de douce désolation, le genre de sentiment dans lequel on a juste envie de se baigner pendant 50 minutes et plus si affinité. On peut sentir le soin et l’attention apportés à chaque morceau, chaque mot, chaque riff, c’est un tel plaisir de se replonger dans ce son. La guitare carillonnante de Reeves Gabrels, la batterie métronomique de Jason Cooper, les synthés célestes de Roger O’Donnell, la basse chantante de Simon Gallup et la voix envoutante de Robert Smith presque intactes, avec ce plaisir indéfinissable et réconfortant qui nous prend aux tripes…
Malgré le sujet particulièrement sombre, il y a de très beaux moments de splendeurs qui nous coupent le souffle. Le combo piano et cordes de « And Nothing Is Forever » a cet aspect majestueux que nous aimons, jusqu’à ce que la guitare déchirante de Reeves Gabrels intervienne et nous transporte encore plus profondément dans son univers mélancolique. « A Fragile Thing » puissant et mélodieux, quant à lui, sonne comme un vrai grand classique de The Cure où Robert Smith répète «Tu ne peux rien faire pour changer la fin » comme une sorte de mantra. « Warsong » sonne de manière étonnante avec Reeves Gabrels, qui sort une panoplie de riffs incendiaires. L’ancien guitariste de David Bowie, avec The Cure depuis plus d’une décennie, qui fait ici ses débuts en studio avec le groupe, semble parfaitement à l’aise dans cet exercice. « Drone: Nodrone » avec son petit côté funky cadencé fait son effet, souligné par la section rythmique de Simon Gallup et Jason Cooper qui donne à l’album un élan plus dansant.
C’est bien une exploration clairvoyante des fragilités de nos vies et des amours sincères, qui s’accumule titre après titre, et c’est l’émotion des chansons qui vous touche irrémédiablement. L’exemple le plus flagrant, c’est bien sûr la chanson « I Can Never Say Goodbye« , dédiée à son frère aîné, mort d’un cancer, avec la façon dont la voix de Robert Smith semble se briser parfois est simplement déchirante. « All I Ever Am » ressemble à un morceau perdu du début des années 90, avec une introduction glorieusement édifiante à écouter en boucle. Et enfin ce fabuleux dernier long morceau crépusculaire « Endsong » et ces notes pleines de gravité et d’élégance, comme un chant funèbre qui se construit lentement et atteint un moment de grâce ultime…
Avec ces titres aux aspects sombres, mélancoliques, ces thèmes forts du deuil et du temps qui nous échappe, il serait facile de croire qu’il s’agit là d’un chant du cygne pour The Cure. Mais Robert Smith a promis qu’il y aura encore deux autres albums à venir. Alors s’ils sont aussi bons que « Songs Of A Lost World« , ce retour discographique de The Cure pourrait bien être la meilleure façon de devenir immortel.