[Interview] Yan Kouton et Olivier Triboulois – « Résonance »

Des poésies et des mélodies désireuses d’abolir la frontière entre mots et sons, Yan Kouton est un écrivain, poète et parolier, Olivier Triboulois est un musicien et guitariste. Ensemble, ils proposent un concept intrigant où se mêlent des expérimentations sensorielles, façonnées par des mots qui claquent et des accords pénétrants. Un duo passionnant dans la tradition d’une poésie non-conformiste qu’il fixe depuis quelque temps sur disque à multiples résonances, sombres et élégantes. Yan et Olivier évoquent avec nous leur dernière création « Résonance ».  

 

Pourriez-vous revenir sur l’origine de ce nouvel album « Résonance » ?
Yan Kouton
: Il s’écoule à peu près deux ans entre chaque disque que l’on fait ensemble. Cela correspond je pense au temps nécessaire pour accumuler assez de matière poétique dans laquelle je peux puiser. Olivier de son
côté compose des instrus, qu’il m’envoie peu à peu. Ils s’accumulent doucement, et à un moment je m’en empare et pose textes et voix dessus. Mais il faut du temps pour que ce processus déclenche l’étincelle d’un nouvel album. Ce n’est jamais « automatique », ou obligé. Il y a cette rencontre d’abord, cette sédimentation de musiques et de textes. Puis, à un moment, ça cristallise autour d’une couleur, d’une ambiance générale que l’on définit progressivement.
Olivier Triboulois : Comme les deux précédents albums, je compose et enregistre des instrumentaux en essayant de coller à l’univers poétique de Yan. Je lui envoie et après il enregistre sa voix. Ensuite, je retravaille un peu les arrangements et le mixage pour laisser de la place à sa voix(e). Du fait de notre éloignement géographique : lui à Brest et moi à Orléans on travaille à distance par envoi de fichiers. En fait avec Yan il y a une alchimie qui s’opère, on n’a pas besoin beaucoup d’échanger sur les morceaux. Il me fait confiance et je lui fais confiance. Au-delà du travail artistique, il y a un respect mutuel et surtout une amitié.
La grande nouveauté sur cet album, c’est le travail de mastering de l’ingénieur du son Gilles Martin. Avec Yan on se frotte régulièrement les yeux d’avoir cette chance assez incroyable presque surréaliste que Gilles pose sa patte artistique sur nos morceaux.
 
Yan et toi venez d’horizon très différent, qu’est- ce qui vous a réuni et vous a amené à faire de la musique ensemble ?
YK
: Les confinements au moment de l’épidémie de Covid. Nous avions déjà travaillé ensemble, sur des morceaux à Olivier, pour des chansons. Mais l’idée de faire un disque entièrement basé sur mes textes et ma voix, est née à ce moment-là. Il me semble que c’est Olivier qui en a eu l’idée. Ca a déclenché quelque chose, une digue qui a sauté, et cela m’a obligé à « rentrer » dans ma poésie de manière plus
profonde. De l’incarner véritablement. Et la musique d’Olivier permet cela, un krautrock froid sur lequel je projette « facilement » mes mots. Ce qui nous a réunis c’est donc un mélange d’amitié et de compréhension mutuelle de l’univers de l’autre je crois. C’est aussi la passion pour la musique ! La distance géographique est comblée par ce travail et les échanges.
OT : On s’est rencontré via Facebook il y a plusieurs années. Moi j’ai été tout de suite happé et fan de la poésie de Yan. A cette époque là, je faisais de la musique avec le groupe A l’abri de la tempête. Et j’ en avais un peu marre de mes propres textes, j’ai proposé à Yan d’utiliser un de ces textes et à partir de là j’ai fait pas mal de chansons avec ses textes. 
Comme le dit Yan le premier album est né pendant le premier confinement. Quelques temps avant Yan avait fait un post où l’on entendait sa voix, et la musicienne Catherine Watine avait mis en commentaire un compliment sur la voix de Yan. Du coup j’y ai prêté une oreille plus attentive. Et comme de mon côté je bricolais des petits morceaux plutôt électroniques, je lui ai proposé d’essayer de marier nos deux univers.
 
Mélange de pop-rock mélodieux et de spoken word poétique quelque part entre Anne-James Chaton et Dominique A. Comment définiriez-vous l’univers de cet album ?
YK
: Bin déjà, ce sont de très belles références… Elles me vont ! « Résonance », comme les disques précédents, flotte entre chaleur et grand froid…Olivier compose des ambiances sonores qui captent cette ambivalence, cette souffrance que j’exprime dans mes poèmes. Difficultés à communiquer, distance et décalage avec les autres et le monde. Et, en même temps, une humanité à fleur de peau. Il fallait une musique dansante, très légèrement, et qui donne aussi une impression de distance, presque menaçante parfois. Inquiétante et expérimentale. Mais aussi, et surtout, terriblement humaine. Il y a une autre dimension, plus cérébrale, qui correspond à la définition de « Résonance » qui est à la fois une augmentation de la durée et de l’intensité des sons, des vibrations et l’effet de ce qui se répercute dans l’esprit, comme la résonance d’un poème… Le disque pour moi est pile au milieu de ces notions à la fois physiques, charnelles et beaucoup plus cérébrales, quasi abstraites. 
OT : N’ayant aucune connaissance de technique musicale, je pense que je fonctionne un peu comme les artistes qui font du collage. Je ne sais pas trop où je vais quand je débute la composition d’un morceau. Je sais juste qu’il sera pour Yan. Peut-être qu’il y a une connexion qui s’établit entre lui et moi. C’est qu’à la fin que je peux me dire qu’il y a une certaine cohérence entre chaque morceau de l’album. Sur ce nouvel album peut-être qu’il y a deux facettes : un côté grands espaces (« Tombée », « Flash »…) et un côté introspection intérieur (« Résonance, « Vol »…).

Quels sont les artistes qui vous inspirent le plus pour l’écriture et la composition ?
YK
: En termes d’écriture, le champ est vaste ! Mais Paul Celan, Eugène Guillevic, Thierry Metz, René Daumal, Henri Michaux ou Georg Trakl sont des mondes que j’explore constamment. Pour la composition Olivier sait ce qui m’anime ! J’aime l’expérimentation, les univers minimalistes, une certaine froideur, contre laquelle je lutte…

OT : Paradoxalement j’écoute assez peu de musiques électroniques. Mais ces dernières années, les grosses claques que j’ai prises : Kae Tempest, Geysir, Port-royal et Styrofoam. Je suis vraiment fan de leur musique, elle déclenche chez moi une sensation de plénitude, de rêverie et cette envie irrépressible de bouger mon corps. Et puis il y a l’ami Matthieu Malon qui a sorti en 2023, 3 albums assez dingues avec son projet laudanum. Je me dis comment ces albums n’ont pas eu plus d’écho ! Quand j’écoute sa musique ou que je le vois sur scène cela me donne trop envie de continuer à essayer de faire de la musique..
 
Vous n’en êtes pas à votre coup d’essai, l’un comme l’autre. Selon vous, artistique parlant, existe-t-il des choses inexplorées que vous souhaiteriez faire ensemble ?
YK
: A ce stade, outre poursuivre ce travail commun qui, je crois, défriche pas mal de possibles poétiques, ce qui me semble évident, c’est de donner une extension « scénique » à ces disques quand même très cérébraux, alors qu’ils recèlent une grande part d’humanité. Quelque chose qui trouverait à s’exprimer dans un dialogue « live », ce qui permettrait d’étendre encore davantage cette recherche commune.
OT : Avec Yan on a pas mal de points communs et je crois que l’on est parti pour faire encore pas mal d’albums ensemble. Mais oui le truc serait de faire un live avec nos morceaux déjà existants ou alors de partir dans quelque chose de complètement improvisé. Je pense aussi que notre musique pourrait s’accompagner d’images ou même pourquoi pas servir à une chorégraphie. Ça la danse c’est quelque chose que j’ai en tête
depuis longtemps, cela serait une sorte de graal pour moi, que ma musique serve pour un spectacle de danse.  

Pouvez-vous nous parler aussi de l’énigmatique et magnifique visuel qui accompagne cet album ?
YK
: C’est une photo de Carol Delage, poète et photographe, qui travaille à brouiller les perceptions, cette frontière entre abstraction et figuration. Souvent ses photos donnent le sentiment qu’elles sont des représentations abstraites, alors qu’elles sont juste le résultat d’un changement d’angle ou d’échelle, à partir d’une image parfaitement reconnaissable par ailleurs. Ou alors un détail isolé. Ce qui donne cette
impression étrange et déroutante. Je dis souvent que ses photos ouvrent les yeux, ou nous apprennent à vraiment regarder en profondeur les choses et le réel. En outre, cette photo précisement est tellement
proche du propos du disque ! Ces points et ces traits, comme sortis d’un monde infiniment grand ou au contraire infiniment petit, pourraient être des ondes, la représentation de ces phénomènes physiques liés à la « résonance ».

OT : Je parlais justement d’images juste avant et avec Yan on est fan du travail photographique de Carol. Elle a fait toutes nos pochettes (les 3 albums et les 2 Eps).
Elle sait capter ce qui nous interpelle, il y a  toujours un côté énigmatique et poétique dans ses pochettes. 
Pour en voir plus sur le travail de Carol Delage : https://delagec.blogspot.com/