“… songs about happiness murmured in dreams
when we both of us knew how the ending would
be…”
J’avais presque 18 ans, je découvrais un album qui tiendra une place prépondérante dans mon cœur d’adolescent et qui restera l’incarnation parfaite d’une période charnière de mon passage a l’âge « adulte »… Je m’en souviens encore aujourd’hui….
« Disintegration » est un album emblématique, sorti il y a 32 ans, le 2 mai 1989, à une époque où ce genre de musique sombre et exigeante prenait une place prépondérante dans nos cœurs d’ado (déjà grand), tapissait les murs de nos chambres et envahissait les placards de nos dressings.
Parmi ses compositions épiques et funèbres, il y avait une atmosphère d’un noir intense qui parvenait à nous marquer, presque nous représenter, dans une sorte d’incarnation de notre identité et qui étrangement nous bouleverse encore aujourd’hui.
C’était aussi un album qui ouvrait de nouvelles perspectives, de nouvelles perceptions, qui n’avait, à mon sens, pas encore été dessiné avec autant de magnificence. Une relation étroite prenait corps avec ce groupe en corrélation avec nos investigations identitaires. Là où nous avions l’habitude d’écouter beaucoup de genre musicaux différents, une esthétique plus globale oscillant entre Rock alternatif, New Wave, Cold wave ou encore, Post Punk, semblait n’être que pour nous et nous commencions à nous regarder dans le miroir d’une manière plus respectueuse avec ces bandes sons de plus en plus pertinentes à nos yeux.
Selon Robert Smith, Disintegration était un album au contenu cinématographique fort, avec des paroles imagées et poétiques, capable de transporter l’auditeur dans un scénario douloureusement familier, ouvrant un monde fantastique, peuplé de sentiments réels et intimes. Il a aussi avoué que cet album était le reflet de son état dépressif du moment…
Indéniablement, il y a là un impact sur notre perception émotionnelle de cet album, qui passe notamment par la voix de Smith, parfois chuchotée, comme si l’essence-même de sa charge vocale allait initier, pour nous, ce voyage introspectif…
En cela il y a un révélateur antagonique, propre à notre adolescence qui accroît encore cette fascination. Le plaisir de souffrir, la transgression du désir, autant de symboles codés qui s’entrecroisent sans ménagement.
Bien sûr à l’époque, il m’était bien difficile de déchiffrer ce que je ressentais quand je l’écoutais. Je pense avoir compris malgré tout que ce n’était pas une œuvre comme les autres et qu’elle permettait, par cette cure, surtout lorsque j’écoutais avec un volume assourdissant, d’accéder aux dualités qui viennent s’accompagner d’images noires et saturées.
Ces manifestations légèrement pathétiques signaient l’existence d’un désir jusqu’alors insoupçonné. L’esprit conquérant ne serait-il que tentation et interdiction? Dépasser les limites devenait un objectif.
Ce n’est pas pour rien, que dans la copie originale du disque il y avait un avertissement: « il faut écouter très fort, de préférence seul dans une pièce sombre, pour que les chansons exercent un plus grand pouvoir sur ceux qui écoutent ».
Seul ou accompagné, cet album produit toujours le même effet d’angoisses et de mélancolies profondes. Comme pris au piège par la tristesse qui l’abrite. Autant de circonstances aggravantes qui permettent de remettre en perspective cette vulnérabilité proche de la rupture. Dans Désintégration , Smith a réussi à enfermer cette peur panique, que chacun ressent dans cet effondrement intérieur foudroyant, de telle sorte que ces moments d’introspection semblent avoir quelques chose à voir avec nos propres questionnements…
Comprendre, et par-delà intégrer une nouvelle individualité n’est pas qu’un fantasme sans lendemain. Depuis cette initiation à la naissance d’un style, en passant par l’élaboration d’une sonorité démultipliée où tous les domaines de l’art furent concernés, le fondement d’un goût exigent est né.
Désintégration, bien qu’il s’agisse d’un enregistrement empreint d’une tristesse et d’une mélancolie implacable, il serait en fait trop superficiel de le réduire uniquement à cela. A travers l’un des plus grands disques de l’histoire, il est nécessaire de prendre en compte la complexité que véhiculent ses sentiments.
Certes, tout ce qu’un adolescent sait de l’amour et de la perte est généralement mal informé et probablement absurde, mais il est frappant de voir à quel point cet album a résisté à l’épreuve du temps. Des chansons telles que « Lovesong », « Last Dance » et « Lullaby » et le finalement très pop « Fascination Street », sont un appel qui semble transcender la simple nostalgie. Malgré tout, elles restent toujours de formidables chansons d’amour déchirantes.
La ligne de basse étirée qui mène à «Fascination Street», le premier single américain de l’album, est révélatrice. Aussi aérien que cet album menace de devenir, il y a toujours quelque chose de solide à retenir, un lien tangible avec le sol.
« Désintégration » est vraiment ce que le nom propose : un disque qui torture les souvenirs, dissèque la tristesse et expose la douleur et la beauté dans un chaos solitaire. C’est aussi un livre ouvert. Robert Smith, qui jusqu’alors flirtait avec la pop, n’avait jamais assumé ses faiblesses et son angoisse si librement.
C’est un album sur lequel je suis souvent revenu au cours des 30 dernières années. Et finalement je ne suis pas tout à fait sûr de ce qui m’a attiré de prime abord : une certaine mélancolie peut-être, l’écho d’une incarnation sûrement.
Quoi qu’il en soit il m’en reste des structures épiques, funèbres et une densité qui arrive même à me toucher encore aujourd’hui.
Stef’Arzak