« The Cell » de Tarsem Singh. Sweet Dreams are made of this…

Vingt-cinq ans plus tard, pourquoi s’attarder sur « The Cell », ce long-métrage d’horreur sorti à l’aube des années 2000 ? Pour une simple raison : la découverte, sur le tard et dans une brocante, de cet OFNI sporadiquement vanté dans les pages de la presse spécialisée. La brocante ? T’es sérieux, Boomer ?- Oui, mon lapin. Le streaming ou le téléchargement, je m’enbalek’, pour reprendre mon neveu. Le jour où une panne mondiale sévira dans nos espaces numériques, où des zombies pro-Trump nous courseront dans les rues de la capitale, la bave aux lèvres et le wi-fi en perdition (cf. « The Dead don’t die » de Jarmusch), j’aurai une tonne de chefs-d’œuvre à mater chez moi via mon lecteur DVD. Tu te souviens de cet épisode de « La Quatrième dimension » où un lecteur assidu s’enfermait dans son abri atomique, doté d’une bibliothèque magistrale, mais cassait par inadvertance sa paire de lunettes…ne lui laissant aucun espoir quant à son futur plaisir ? Eh bien moi, j’ai investi dans une deuxième paire de binocles, mon lapin. Et puis, le support physique. La douceur de la matière plastique entre mes mains. La promesse d’un film meilleur…
 Voilà pour le contexte. Passons au contenu.  Je l’ai déjà mentionné lors de précédents articles : un bon film d’angoisse se doit d’être doté d’une thématique forte. « Les dents de la mer », un horror-movie ? Non. Une chasse -proche de celle narrée par Herman Melville dans son « Moby Dick »- bestiale, obsessionnelle et spirituelle face à « la Bête » invisible. Ou quand un requin géant donne un sens à votre existence. « Massacre à la tronçonneuse ? Une boucherie dénonçant la guerre du Vietnam et son absurdité. « Psychose » ? La terreur domestique sur fond de complexe d’Œdipe, de schizophrénie et de morale. Et j’en passe. Pour notre plus grande jouissance de cinéphage, « The Cell » n’échappe pas à la règle et propose une plongée cauchemardesque dans les limbes d’un cerveau tourmenté. Vous me direz : « Le silence des agneaux » VS « Le dictionnaire des rêves » en 1999, ce n’était pas une idée de base un peu dépassée ? 
Et bien non.
Là où certains réalisateurs se seraient crashés la gueule sur un concept éculé (une enquête mentale au pays du Moi et du Surmoi menée par une psychologue pour enfants… au sein même d’un cerveau fragmenté et frappadingue), Tarsem Singh évite tout déballage sanguinolant intempestif (cette plaie !) et nourrit son long-métrage d’univers visuels époustouflants.
Un cheval tranché ? Ce sont les classes dominantes que l’on découpe, leurs morales et leurs attributs. Une tenture harnachée au dos de notre roi/serial killer ? C’est une nouvelle monarchie en marche, une cape démesurée comme signe de suprématie, une oriflamme pour l’Ordre Nouveau ou le signe d’une voile qu’on lève vers de nouveaux horizons mortifères…
Des perspectives faussées ? Non, le décor d’un labyrinthe dont seul le Maitre des lieux possède le plan. « The Cell » c’est « Alice au Pays des Merveilles » chez Clive Barker. Freud chez le Marquis de Sade. Thésée face au Minotaure.
Un blockbuster insensé comme le furent « Dreamscape » de Joseph Ruben et « Matrix » des Wachowski .
« Inception » aussi avant l’heure, « The Cell » marque (par sa folie picturale et son ambition démesurée) une décennie balbutiante dans l’Histoire du cinéma fantastique. Le choix du réalisateur indien y est pour beaucoup dans cette accumulation de références : Matthew Barney, Salvador Dali ou encore Francis Bacon…Le cinéaste vulgarise ses Maitres en Art Moderne pour mieux se les approprier. Ainsi, de véritables tableaux animés défilent dans la psyché torturée de Carl Rudolph Stargher et sous les yeux d’une Catherine Deane éberluée.  Véritable « trip « conceptuel, « The Cell » pèche parfois dans son scénario- basique-mais jamais dans sa puissance évocatrice. Soulignons, d’ailleurs, le soin apporté aux costumes de « téléportation » conçus par Eiko Ishioka, (et aperçus dans le « Dracula » de Coppola) ou la musique d’Howard Shore particulièrement dérangeante.
« The Cell », anatomie de l’Enfer ?  La beauté du Diable en sus.
Car il fallait opérer un casting de choix pour incarner (un « carne » ?) un tueur en série face à sa Némésis sans passer par la case Lecter. Vincent d’Onofrio semble se délecter de son nouveau défi. Le voir métamorphosé, ainsi, en incube ou en proie à ses fantasmes SM nous laisse un arrière-goût amer en bouche, preuve flagrante du talent hors-norme de notre Caïd en devenir. Pour lui « tenir tête », Jennifer Lopez opte pour un jeu sobre mais néanmoins sexy. Bien entendu, je vous parle de la JLO option « Hors d’atteinte ». Pas de la diva du dancing…
Vince Vaughn, toujours un pied dans l’indé et la c.…dans le potache, s’extirpe habilement de « Jurassic Park 2 » et du remake de « Psychose » pour camper un flic du FBI empathique et méthodique. Et cercle de craie caucasien, la garde rapprochée de notre trio gagnant puise dans des seconds rôles solides : Jake Weber (vu dans  » Amistad » ou l’ébouriffant « U-571 »), Dylan Baker (avisé dans le mésestimé « L’ombre d’un soupçon » et l’inoubliable « Requiem for a dream ») , Marianne Jean-Baptiste (bouleversante dans « Secrets et mensonges ») ou encore Dean Norris ( « Starship Troopers » et bien plus tard « Breaking Bad »)…Bref, autant d’ingrédients majeurs pour cette série B hors-norme et friquée.
J’entends déjà le brouhaha mécontent. « Tarsem Singh » plagie « Le Collectionneur » de Gary Fleder ! »,  » Son premier long n’est qu’un clip virtuose ! », « Aucune consistance, que du clinquant, que de de la frime », etc, etc, …
En 1991, David Fincher subissait les mêmes foudres de la critique lors du tournage d' »Alien 3″ et deviendra le cinéaste incontournable que l’on sait. Dans le 7ème Art, tout n’est qu’affaire de style et d’histoire, même si cette dernière use de rouages bien huilés.
N’en déplaise aux puristes de la bobine, Tarsem Singh confirmera son statut d’esthète et réitèrera son exploit visuel en 2006 avec « The Fall », sombre et habile relecture de « Princess Bride » et futur terreau d’inspiration (?) pour George Miller et son méconnu  » Trois mille ans à t’attendre ». 
Alors ?
Alors, mon lapin, si tu t’endors devant des relectures interminables de « Cours après moi que je t’attrape », si ces recettes éprouvées finissent toujours en indigestion ou si ton coloc’ te bassine avec « Scream 36 » et un énième remake/reboot de « Jason tente sa chance un Vendredi 13″…
Lors d’une soirée pizza-bières, tu pourras toujours lui rétorquer :
« Mettons les bouchées doubles, mec, et passe-moi « The Cell » !
 
John Book.