« The Ascension » de Sufjan Stevens. Over The Top.

Bande passante inversée. Rythmique syncopée. Orgue organique. Pop baroque et électronique.
 Ainsi commence l’immense nouvel album de Sufjan Stevens qui, après des incursions en terre rock-indé (au hasard, le superbe »Illinoise »), s’aventure vers de plus grandes contrées. Avec « The Ascension » (le bien nommé) cet artiste précieux à la croyance inextinguible revêt pour la seconde fois le costume de Santa Claus et nous gâte ( « Songs for Christmas », pour Noël, au pied de la cheminée).
Mieux, il nous ouvre les portes d’une cathédrale sonore, invoque Dieu sur tous ses morceaux et s’éloigne définitivement des productions intimistes. Révolution. Champs des possibles. Pour cette onzième livraison, le prolifique auteur-compositeur et interprète nous interpelle. Ici, les interrogations politiques croisent les atermoiements amoureux. Et la quête spirituelle se veut en prise directe avec nos émotions. 
État des lieux et déconstruction de l’un des plus grands albums de l’Année 2020.
« Make me an offer i cannot refuse ». Avec ce premier titre en crescendo, Mr Stevens ouvre le Bal et donne le ton. Construction mentale, imbroglio musical, tout ici est pesé, retourné, les mélodies s’entrechoquent dans un équilibre précaire et nos sens déraillent. La cathédrale sonore se mue, alors, en vaisseau spatial et le compte à rebours peut commencer. Voix filtrées et rythmique en déroute. Tantrisme. Décollage. 7ème Ciel.
Puis, le vaisseau se disloque dans une apesanteur doucereuse et le Capitaine de répéter inlassablement sa proposition indécente : « fais-moi une offre que je ne peux refuser », se positionnant ainsi en Parrain numéro 1 de l’électro-pop. 
« Run away with me ». Invitation aux chemins de traverse et promesse d’un avenir meilleur. L’Ami Américain fustige la bêtise gouvernementale de son pays (They will terrorize us with new confusion) et insulte Trump (de Fallope?). L’Enfer sur Terre. Prises de position pro avortement, racisme, droits des citoyens en berne, tragédie écologique…
L’Amour Mon Amour pour seule sortie. Pour seule raison.
 Against the confusion.
« Video Game ». Premier single louvoyant du côté des années 80. Dans cette ritournelle robotique et hypnotique, la danse se veut immobile. Refus formel de rentrer dans le jeu ou de rejoindre la Meute. A moins que Sufjan Stevens ne s’adresse à une Miss America perruquée et despotique ? 
« Lamentations ». Le multi-instrumentiste semble adresser ses prières à une divinité muette. Qu’en est-il du Futur ? Silence. Pour toute réponse musicale face à ce mur d’incompréhension, se faire percuter « Donnie Darko » et la fameuse ligne de dialogue de Wenders dans « The End of Violence »: « Define… »
« Tell me you love me ». Titre mystérieux et langoureux. Danse avec le Tout Puissant. Slow Spirituel et Passionnel. Dans cette supplique poétique, Sufjan Stevens déverse des Chœurs à faire chialer nos Races et nous offre certainement la plus belle chanson d’Amour de cet opus ( my love could be an epitaph something to write upon my grave).
Car, oui, Dieu est une Femme.
« Die Happy ». Petite Mort. Boucle et effet concentrique. « Die Happy », « Die Happy »…Circonvolutions et injonction. S’oublier des Vivants quand l’Amour est mort. Ou trop présent ?
« Ativan ». Vertigineuse ode aux anxiolytiques et à la perte de contrôle. Six minutes trente de mélancolie et de perdition où-contre toute attente et des paroles d’une noirceur absolue- tout tend vers une invitation à l’hédonisme. Au « lâcher-prise ». Sufjan retient les rênes puis les lâche dans une ronde digne d’une « rêve » party. Tout s’accélère, Les machines s’emballent puis s’apaisent sur des nappes de violons réconfortantes. Apaisement. God is a Drug.
« URSA Major ». Amas de questions. Beats décomplexés et samples maladifs. Urgence. « Lord, Reveal yourself in Mercy Call off all emergency »
La foi de Job et la Musique pour seuls remparts face à la désillusion :
« Mais nul ne dit : Où est Dieu mon créateur, Qui inspire des chants d’allégresse pendant la Nuit ».
« Landslide ». Titre fantomatique et évanescent marqué par des effets de guitare cristallins. Aveu d’impuissance et d’échec, absolution et cercle de Lumière. Poésie  everywhere.
« Gilgamesh ». Apprentissage et immortalité. « Oh my Heart receives you now with arms full of Harvest. » Orgue en introduction. Echos dans la chapelle et rythmique chaloupée.
Sufjan fait l’Amour avec le Monde Entier.
« Death Star ». Morceau rap déguisé ? Ground Control épuisé ?   Soundtrack d’un long-métrage futuriste et daté ? Ici, Woodkid est déculotté et le Monolithique Mur Noir de « 2001 » convié.
Enchainement en phase avec le titre suivant : « Goodbye to all that ». Prolongement de la pensée philosophique. Nietzsche pour compagnon d’âme. Lorsque le vide de l’existence contrebalance avec  » ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ». Mysticisme absolu.
« Sugar ». Un morceau qui n’aurait pas déplu à Bowie, période « One Outside ». Piano déglingué en goguette? Dieu aux oubliettes ? « Don’t break my heart, don’t break my flow now ». Roméo s’essouffle et supplie sa Juliette. 
« The Ascension » marche sur les pas de « Mystery of love » (entendu dans « Call me by your Name », film-selon moi- le plus surestimé de 2017) et nous déchire les tripes, une fois de plus. Le départ et les regrets. J’aurai pu, j’aurai pu…
Enfin, « America », titre final d’une absolue beauté où Sufjan Steven, mi-Chaman Michigan, constate avec effroi les effets nocifs d’une politique gouvernementale détestable.
Litanie sans fin, « America » se positionne d’emblée dans la Cour des Grands. « Stairway to Heaven » de Led Zeppelin,  » Everything in its right place » de Radiohead ou « L’Europe » de Noir Désir. Morceau libre et pharaonique, il clôt avec emphase l’œuvre majeure d’un Artiste au sommet. Et élève « The Ascension » au rang d’album culte.
Bon Dieu !
J’étais athée.
A présent, je suis happé.
 
la
John Book.