“Tesla” de Michael Almereyda. Everybody wants to rule the world.

IL est bien étrange de chroniquer un biopic que l’on n’a pas aimé. Tout aussi étrange de se “refaire le film” afin de déceler ce qui n’a pas fonctionné. Etrange. Etrange. Oui, c’est le mot concernant cet objet filmique non identifié qui au détour de plans magiques, surréalistes ou décalés, se détache foncièrement des productions actuelles. Relater la concurrence acharnée entre Thomas Edison et Nikola Tesla était une idée suffisamment originale pour retenir l’attention de tout cinéphile. Une histoire méconnue pour les néophytes (tel votre serviteur) et un terreau inépuisable de rancœurs et d’affrontements souterrains dans un contexte historique fort.
Ajoutez à cela un moviemaker intelligent à l’univers personnel…
Ceci s’annonçait prometteur. Mais trompeur.

A l’aube d’un 20ème siècle frémissant rugissant, la société mondiale est en pleine mutation.  Edison et son ancien élève Tesla s’entredéchirent autour de l’avènement de l’électricité dans les foyers et la domestication de l’électromagnétisme. Edison est un inventeur rusé et, de par sa surdité accidentelle, peu enclin à converser avec autrui. Tesla est un ingénieur renfrogné et un humaniste convaincu.
Electrons libres aux egos surdimensionnés, leur conflit provoqua des étincelles et leurs inventions firent progresser à vitesse grand “V” l’humanité dans sa quête d’évolution permanente.
L’un embrassa la gloire et l’autre l’oubli. L’un franchit les portes de l’Histoire, l’autre tutoya l’anonymat durant de longues décennies.
Voici un récit idéal ! Soif de pouvoir et frères ennemis. Une rivalité sur fond de bouleversements et de mutations. Des personnages féminins forts ( la richissime Anne Pierpont Morgan et la grande Sarah Bernhardt et pour sublimer l’ensemble, une photographie étonnante doublée d’une réalisation souvent audacieuse.
Mais qu’est ce qui cloche dans cette adaptation cinématographique d’un duel au long cours (alternatif) ?
A l’image de son protagoniste mutique et mollasson (pourtant né par une nuit d’orage !), le dernier long-métrage de Michael Almereyda est opaque et sans relief. Aucun soubresaut ne vient nous réveiller de notre torpeur et aucun twist scénaristique ne nous arrache à un ennui poli devant notre téléviseur.

J’attendais beaucoup plus du réalisateur d'”Hamlet“. Son adaptation du chef-d’œuvre de Shakespeare était, en tous points, remarquable. Bien loin de la frénésie d’un Baz Luhrmann ou de l’académisme soigné d’un Kenneth Branagh, Almereyda empoignait fermement la pièce du Big Will pour mieux l’inscrire dans notre quotidien, sans chichis ni clin d’œil prononcé.
Hamlet est un personnage moderne et sa quête de justice intemporelle. Il faut voir Ethan Hawke -dans un plan-séquence- déclamer un “To Be or Not To Be” au sein du rayon “films d’action” d’un vidéo-club pour saisir toute l’intelligence du propos. Ce moment résume à lui seul la pertinence d’une adaptation réussie, à savoir tordre le cou aux adaptations conventionnelles sans jamais perdre de vue la sève qui sous-tend l’action.
1594 ou 2000. Armure ou bonnet péruvien. Danemark ou New-York. Sang Royal ou Empire américain du marketing.
Quel que soit l’apparat ou l’endroit et quel que soit la classe sociale dépeinte, la vengeance est un plat qui se mange froid.

Le réalisateur texan reprend la même formule pour “Tesla” et peuple sa production d’anachronismes bienvenus. Un ordinateur portable, un cellphone, etc…
L’héritage est présent et ne nous déconcerte pas. Nous évoluons dans un univers parallèle peu fidèle aux attentes d’une représentation lambda. Soit.
Mais inviter David Lynch et James Ivory pour la même story ? C’est là l’immense faiblesse d’un film qui peine à se trouver.
Terrain miné.
Tesla” est un rêve éveillé mais, hélas, un brin fauché. Voir Nikola Tesla se camper devant une toile illustrant une gare ou un champ à ses propres limites.
Et l’on sent bien les difficultés rencontrées à l’élaboration à cette évocation fantasmée. Budget limité pour une imagination débridée ?  Indubitablement, le film souffre d’un déséquilibre constant entre véracité et projections mentales. Almereyda a beau recouvrir sa biographie d’une patine poétique et de plans superbes, le manque de moyens est visible à l’écran. Et nous laisse sur le flanc.
C’est d’autant plus dommage que la distribution excelle à donner vie à ces personnages hors du commun.
Ethan Hawke (que j’adule) et Kyle MacLachlan retrouvent leur complicité de l'”Hamlet” précité et échangent, avec prestance, des dialogues ciselés. Eve Hewson et Hannah Gross, leurs compagnes de jeu, sont des partenaires solides et leurs échanges communs se font avec équilibre et légèreté.
Mais rien n’y fait. “Tesla” prend la poussière et ne nous électrise aucunement.
Alors, pourquoi cet article ? Pour un moment suspendu dans le temps. Un plan qui, comme les déambulations d’un Hamlet au centre (commercial) de ses préoccupations, conjugue le fond et la forme.
Un plan qui reste figé dans ma mémoire et résume, à lui seul, l’immense solitude d’un génie et son désir absolu de reconnaissance. Tout le monde veut conquérir le Monde.
Dompter la foudre.
Nager à travers les courants.
Qu’ils soient triphasés.
Ou notre savant déphasé.
Tout le Monde veut conquérir le Monde.
John Book.