RUTGER HAUER. ACTEUR RUGUEUX

Un grand soleil encadrant des yeux bleus azurés. Une mâchoire carrée. Un port de tête digne d’un suzerain. Et un sourire en coin en guise de réponse à la cruauté des hommes. Rutger Haueur était de ces acteurs trop beaux pour être bons. Magnétique. D’une présence à couper le souffle. Mais dont l’âme recelait des abimes de noirceur. 

Bon nombre de réalisateurs de talent ne s’y trompèrent pas, offrant à ce dandy venu du froid une panoplie adéquate à son imposante stature et à sa démesure. Tueur dégénéré face à Stallone dans “Les Faucons de la Nuit” de Bruce Malmuth,  Sculpteur hédoniste ou Mercenaire brutal pour Paul Verhoeven (cinéaste fidèle) dans “Turkish Délices” et le pervers “La Chair et le Sang”, androïde vengeur en quête de spiritualité pour Riddley Scott dans le mythique “Blade Runner” (dont le monologue final fut, en partie, remanié et improvisé par ses soins), journaliste englué dans un complot politique pour Sam Peckinpah dans “Osterman Week-End”, chef de garde romantique et ensorcelé pour Richard Donner dans le très beau “LadyHawke”, auto-stoppeur indélicat et tenace dans le sombre “Hitcher” de Robert Harmon ou Cardinal voué aux Enfers dans “Sin City” de Frank Miller et Robert Rodriguez, Rutger Hauer ne cessa d’apporter une touche rugueuse et sensible à des personnages hauts en couleur et somme toute borderline.
On le croyait disparu du paysage cinématographique mondial  durant un certain temps. Il n’en était rien. Prolixe, “The Dutch Paul Newman” tourna tout au long de sa vie et, en dépit d’une carrière oscillant entre le blockbuster calibré, la série fantastique et le direct DVD, son implication, son jeu profond et sa présence hors du commun firent le bonheur de nombreux cinéphiles.
Tel un fantassin solitaire issu d’une autre époque, bénéficiant d’une aura et d’un culte mérités, Rutger Hauer traversa les décennies avec une classe folle. Preuve récente, si il en est, hâtez-vous de regarder  le superbe “Bruegel, le Moulin et la Croix” de Lech Majewski. Évoluant dans un véritable tableau vivant, il semble se fondre dans chaque œuvre d’art avec l’aisance d’un mutant protéiforme. Du grand Art? Indiscutablement, sa composition nuancée de Pieter Brueghel reste, à ce jour, l’une de ses plus belles performances.  Un matin, sur les ondes radiophoniques, j’apprends que vous n’êtes plus. Un Ange Passe. Double ironie du sort: Jacques Audiard vous employa dans le rôle du Commodore pour son western crépusculaire “Les Frères Sisters” et réserva à votre personnage énigmatique une fin tristement prémonitoire. Et l’immense Rutger Hauer tira sa révérence en juillet 2019, quelques mois avant la fin programmée de son rôle le plus emblématique en la personne du Réplicant Batty.   
Tous ces moments ne se perdront pas dans le Temps. Ils sont gravés pour l’éternité dans les salles obscures et les pupilles des cinéphages. Mais, dehors, le soleil brille un peu moins fort.  

John Book.

Photo de couv. (c)Victoria Will/Invision/AP, File