« Possessor » de Brandon Cronenberg. I’ve got you under my skin.

Et dans la famille Cronenberg, je voudrais le fils !
Il est amusant de voir à quel point l’œuvre du réalisateur de  » Faux Semblants » a pu influencer les choix artistiques de son rejeton. Même goût pour l’hémoglobine, la chair et la fusion homme/machine. Même maitrise visuelle et même fascination pour la monstruosité au sens large.
Mais là où David Cronenberg optait pour un cinéma plus ouvert et plus orienté vers le « grand public » dès 2005 (son adaptation vertigineuse du roman graphique « History of Violence« ), Brandon reprend le flambeau là où David l’avait abandonné en pleine « Existenz » (Cronenberg Junior y fit, d’ailleurs, ses armes au sein des effets-spéciaux).
Coup de Maitre !


Aidé d’un scénario brocardant les dérives du star-system, d’un casting dévoué corps et âme à un propos délirant (le deal illégal de maladies bégnines appartenant à des vedettes du Cinéma !) et auréolé, dès 2012, du prix du meilleur premier film canadien, « Antiviral » porte en lui les promesses (de l’ombre) d’un cinéaste sans concession.
Du charnel, du malaise et de du glamour trash, Cronenberg Junior marche dans les pas de son paternel sans s’essuyer les pieds sur le palier.
Pour son deuxième long-métrage, aucun rétropédalage : »Bran » persiste dans le récit d’anticipation et appuie là où cela fait « mâle ».

Dans un avenir proche, une organisation secrète- possédant un invraisemblable télé transporteur- exécute des meurtres par le biais d’agents volontaires.
Ces derniers, « transférés », troquent leurs âmes vers des Escort-girls bafouées ou autre enveloppes charnelles (toute « couverture » servant d’alibi idéal dans ces assassinats programmés).
Tasya Vos ( Andréa Riseborough, mutique à souhait) est convoquée pour une ultime mission. Son but ? Investir le corps de Colin, gendre d’un homme d’affaires véreux (Sean Bean, parfait) , afin de supprimer ce dernier. Seule ombre au tableau, cette possession s’annonce « border-line ». Colin est addict la drogue, deale et semble franchement sur la brèche vis-à-vis de son beau-père. De plus, notre kamikaze mentale doit composer-en filigrane- avec un cadre familial dysfonctionnel et une existence sans relief. Au détour d’une dernière incursion, son investiture corporelle prendra des allures de montagnes russes et de voie sans issue…  quitte à y perdre la raison.
Dès les premières images, nous sommes happés par une maitrise visuelle étourdissante. Chaque plan verse dans le souci du détail et la composition parfaite. Le délire psychotrope ou le tableau d’un peintre torturé.
Kurosawa à la sauce Bacon.


Dans ce cauchemar schizophrène, « Bran » dresse le portrait d’une femme perdue entre son désir de construction et son appétence pour la violence. En prenant les traits d’un autre, notre anti-héroïne s’extirpe d’un quotidien morne et normé pour mieux l’investir, le transcender.
Mais notre mante religieuse ne se contentera pas d’abattre un témoin gênant sur l’échiquier de l’espionnage industriel.
Elle habitera également les us et coutumes de son hôte, fera l’amour à une femme et jouira de ses nouveaux attributs masculins.
Corps astral ou personnage romanesque digne d’un cauchemar kafkaïen, Tasya semble désincarnée.
Elle rêve sa vie dans des circuits électroniques et se shoote à l’adrénaline. L’interdit.
Loin d’un carcan patriarcal où tous les hommes semblent être des bêtes enragées, elle prend la tangente et fait le Mur.
Courte échelle.
Ghost in the Shell.
Et lorsque notre princesse s’endort, s’ouvre la boite de Pandore.

Message:
Error.
Au travers d’une émancipation retrouvée via le sexe et la Mort, une voix lui rappelle les enjeux de sa mission.
Girder, interprétée brillamment par Jennifer Jason Leigh (vue dans… »Existenz« !), veille au grain (de folie) afin que le mécanisme ne se grippe pas.
« Kill. Take your body and Run. Back Home« .
Une injonction comme une bouée de sauvetage.
Car ce terrain « vierge » où tout n’est que découverte et exploration des sens n’est qu’une liberté de façade.
Tasya Vos est un pion. Un rouage dans la machine.
Ses gestes sont épiés, ses excès de tempérament régulés. Son appétit pour le pouvoir bridé le temps d’une mission.
Ecartelée dans un dangereux jeu de rôle sans queue ni tête, l’épilogue de son existence s’annonce fatal.
Faut-il voir dans cette nouvelle saillie cinématographique un pamphlet féministe, un hommage au métier d’actrice, une psychanalyse sur un divan high-tech ou une ode aux psychotropes ?
Libre à vous de décortiquer les nombreux signes et symboles qui habitent cette œuvre radicale.
Déjà vue ?
Of course, « Wonder Bra » pioche aussi bien dans « Alice au Pays des Merveilles« , « Dans la peau de John Malkovich » et « EraserHead » que dans « Moon » (pour sa façon astucieuse de transcender une économie de moyens) et « Under the skin » (pour son empreinte picturale marquée).
Mais, indubitablement, ce  » fils de » marque les esprits et des points.
Pour preuve, ce Grand Prix du Jury décerné à Gérardmer en 2021 ainsi que le prix du meilleur film et du meilleur réalisateur au Festival de Catalogne en 2020.
Pas de doute, l’avenir de Brandon Cronenberg s’annonce radieux et trouble.
Un futur cinématographique, comme un pacte secret, où les visages se disloquent, les masques tombent…Et la peau s’essore.

John Book.