“L’étrangleur de Rillington Place” de Richard Fleischer. Flesh for Fantasy.

C’est Noël à la maison ! 5 films en deux jours. Pour certains, les plateformes de diffusion offrent de quoi tuer le temps, à grands renforts de séries addictives et interminables. Pour ma part, c’est l’emprunt de DVD qui me remplit de joie. A chacun sa came (éra!). Extase et cinéphagie. Une vraie drogue. Sitôt un long-métrage terminé, un autre prenait sa place. J’avais quartier libre et le confinement entre les dents.
Au programme, des productions récentes, des blockbusters alléchants… et un diamant brut (datant de 1971) de l’immense Richard Fleischer; “10 Rillington Place“.
Pour son 30ème film, notre artisan du 7ème Art s’inspire d’un fait divers sordide et clôt sa “Trilogie du Mal” ( “Le Génie du Mal” et “l’Etrangleur de Boston” en guise d’amuse-gueule luxueux) avec maestria. Et une bonne dose de perversité.
Ames sensibles, s’abstenir. Dérangeant et perturbant, “L’étrangleur de Rillington Place” (titre français racoleur en écho à son chef-œuvre absolu de 1968 et inspiré, aussi, d’un fait divers sordide) tient une place à part dans la filmographie de notre Géant d’Hollywood de par sa radicalité et sa noirceur absolue.
L’horreur à portée de regard.
Moteur:
Nous sommes dans les années 40 et John Christie, flic réserviste, profite de son statut rassurant pour engager la conversation avec des jeunes femmes. Exténuées, elles trouvent en cet homme affable une solution à leur maladie -due à leur condition sociale.
Une mauvaise toux? Des difficultés respiratoires ?Arguant le fait d’avoir fait des études de médecine contrariées, notre Dr Jekyll leur promet un remède à tous leurs maux, leur fait inhaler chez lui une mixture de sa composition, les viole, les tue puis les enterre dans son jardinet.
Aucun témoin. Point de remord. La vie reprend son cours.
En 1949, l’arrivée d’un jeune couple modeste au “10 Rillington Place“, immeuble où séjourne notre tueur en série, entrainera une spirale de violence dévastatrice et irrémé-diable.
C’est avec un savoir-faire incontestable que notre moviemaker filme ce huis clos à grand renfort de plans-séquence et de caméra à l’épaule. Le réalisateur des “Vikings” s’éloigne de la flamboyance de ses précédentes productions et privilégie une économie de moyens. Le décor ? Les quartiers prolétaires britanniques. Peu de plans en extérieur, nulle bouffée d’oxygène, et aucun répit pour le spectateur.  Afin de créer un malaise constant, Mr Fleischer dépeint ces appartements modestes comme un labyrinthe exigu où les corps se perdent et s’empoignent. Où l’apparente “normalité” d’un couple respectable vivant au rez-de-chaussée inquiète autant qu’elle fascine. Où tout n’est que trouble. A l’instar de “Rosemary’s Baby” (de 1968, aussi) de Polanski ou de “Frenzy” (1972) d’Alfred Hitchcock, Mister Fleischer dépeint une société londonienne familière mais inquiétante. A la violence cachée, en sourdine, quasi intangible…Une période d’ Après-Guerre vérolée et grignotée de l’intérieur.
Ici , l’ennemi n’est plus hors de nos frontières mais tapi dans l’ombre d’une chambre mitoyenne. Loin de tout manichéisme, le cinéaste nous plonge dans le quotidien d’une classe populaire dans ce qu’elle a de plus admirable (la volonté de s’extirper vaille que vaille de sa condition) mais aussi de plus misérable. Ici, les chiens mangent les chiens. Aucun jugement porté. Aucune critique émise. La mécanique est déjà lancée. La tarentule tissera sa toile patiemment dans son antre, attendant le moindre faux pas de nos protagonistes.

Dans cette descente aux Enfers, la distribution brille de mille feux : John Hurt (sublime “Elephant Man“) endosse avec brio le rôle d’un loser crédule et complice. Marionnette malléable et coquille vide sous l’emprise d’un affabulateur psychopathe. Judy Geeson, sa compagne à l’écran, brûle la pellicule et rappelle souvent la “Lolita” de Kubrick dans ce mélange de candeur et de sex-appeal refoulé. Enfin, Richard Attenborough campe avec détermination et délectation un assassin “ordinaire” aux pulsions fétichistes.  Une partition magistrale tutoyant constamment l’excellence du trio abominable “Curtis -Perkins- Hopkins“.
Ajoutez à cela une photographie particulièrement forte et “froide” et des scènes d’une rare cruauté…et vous aurez le présent de Noël idéal pour tout cinéphile.
L’étrangleur de Rillington Place“, cadeau empoisonné ?
Oui mais scindé d’une corde entachée.
John Book.