» La Disparue » de George Sluizer. I’ve been waiting for a girl like you.

Un père de famille, isolé en pleine campagne, rôde devant son chalet familial. Répétitions. Barney s’agite. Rejoue plusieurs fois une scène de kidnapping. Dialogue imaginaire. « Je cherche la Poste, vous pourriez me l’indiquer, Madame ? Vous allez dans cette même direction ? Je vous en prie, prenez place dans mon véhicule !« .  Notre homme empoigne, soudain, sa proie invisible, fantasmée, et lui appose sur la bouche un mouchoir imprégné de chloroforme. Autre temps. Autre lieu. Un couple se dispute à bord d’une voiture en panne. « Tu as oublié de prendre de l’essence ?  » – « Oui, c’est de ma faute. Bon, je pars à pied avec mon jerrican » – « Ne me laisse pas seule ! Nous sommes coincés dans un tunnel ! Ne pars pas !« . Attente. Retour du conjoint. Engueulade.  Réconciliation.  On the road again. Un arrêt inopiné dans une station-service. Notre couple se rabiboche. Promesse de ne jamais laisser l’être aimé à l’abandon. »Tu veux que j’aille te chercher quelque chose à manger, mon chéri ?« . Stand-By. Jeff Harriman patiente, s’impatiente…Sa compagne s’est volatilisée. Diane Shaver (anagramme de « Vanish ») ne répond plus.

Ainsi débute l’excellent « La Disparue » (1993) de George Sluizer. Ainsi débute le remake de « L’Homme qui voulait savoir » (1988) du même réalisateur.

Suis-je le seul à clamer mon enthousiasme ?

Les critiques sont partagées. D’une part, les fans « hardcore » du long-métrage original s’accordent à dire que cette copie demeure bien en-deçà de sa matrice -la faute à une fin hollywoodienne « grand public ». De l’autre, les amateurs de polars bien ficelés voient en cette relecture un parfait thriller du dimanche soir. Entre les deux, je porterais un avis nuancé sur certaines ficelles scénaristiques et autres invraisemblances. A commencer par ce fameux « final », illogique (mais que fait la police ?) mais ô combien positif et moral pour les étatsuniens. On va la faire concise, les méchants sont toujours punis et les redresseurs de tort ne font jamais de cabane. Voici pour l’entre-deux.
A présent, attardons-nous sur le « pivot » de cette quête absolue aux limites de l’irrationnel. J’ai nommé : Jeff Bridges.
En 1993, cet immense acteur ne détient pas encore l' »aura » (le statut culte ?) qu’il possède de nos jours mais sa filmographie nous fait tailler du 38. Du haut de mon adolescence, je visionnais ses VHS et ses incarnations diverses sur les chaines de la télévision : « King Kong« , « Tron« , « Le Canardeur« , « La porte du paradis » ou « Susie et les Baker Boys« . Au cinéma, je vibrais devant « The Fisher King » (le meilleur Terry Gilliam) mais renonçais inexplicablement à voir, l’année suivante, cette « Disparue« . Et pourtant ! Jeff Bridges y livre l’une de ses prestations les plus marquantes de mémoire de cinéphile. Homme gauche tiraillé entre l’expérience des limites et ses pulsions de mort, Barney Cousins effraie. Sa banalité est un leurre, un piège tendu vers l’innocence. Ses tics nerveux, sa diction pâteuse, sa démarche pataude (sa « balourdise ») vont à l’encontre de tout profil attendu concernant le slasher-type. Sa « nature » dérange autant qu’elle fascine. Le fameux syndrome du tueur et voisin de palier. Si loin si proche.

Face à ce démon à nos portes, le couple Kiefer Sutherland-Sandra Bullock se la joue « assurance tous risques » et déploie un jeu harmonieux. A leurs côtés, la véritable surprise de ce vénéneux nectar se décline en deux mots : Nancy Travis. 

Découverte dans « Trois hommes et un bébé » de Leonard Nimoy (oui, oui, Mr Spock), remake dispensable de « Trois hommes et un couffin« , Nancy Travis embraye avec « Veuve mais pas trop » de Jonathan Demme , »Air America » de Roger Spottiswoode et s’affirme dans  » Chaplin « , biopic classique de Richard Attenborough. Actrice au charme ensorcelant dotée d’un jeu « naturel », elle irradie dans « The Vanishing » et éclipse même l’insolente beauté piquante de sa comparse. Malheureusement, ce tour de force ne sera jamais réitéré et la petite sœur de l’Amérique se fourvoiera dans des productions de seconde zone.

Seconde zone, terme aussi usité par de nombreux cinéphiles pour décrire « La Disparue » !
Réalisation mollassonne, plans « plan-plan », travelling amorphe…
Je les entends. C’est faire fausse route.
George Sluizer connait bien son sujet (et pour cause) et démontre que l’on faire beaucoup (la tension va croissante) avec peu (ses effets sont dans les détails, non dans la surenchère). Son passé dans le documentaire œuvre pour lui. Sa rigueur aussi.  A celles et ceux qui se languissaient, donc, d’un polar sous amphétamines un soir de disette télévisuelle, il faudra repasser. Pour les autres qui, tout comme moi, savourent la lenteur maitrisée d’un « Kill me Again » de John Dahl ou la fausse coolitude d’un « Un plan simple » de Sam Raimi, « La disparue » est…un ravissement.

Désolé, il fallait que je la fasse.
 
John Book.