JÉHAN L’ÉVIDENCE MAINTENANT

Défi au temps qui coule entre nos mains grandes ouvertes pour mieux y accueillir les coïncidences que le destin met sur ses chemins. A pas de loup, le fourmillement est toujours présent. Jean-No’ Le Jéhan alias Jéhan n’en est pas à son un coup d’essai musical. Quarante ans qu’il arpente la chanson française sans renier ses racines rocks évidentes. Avec la volonté de ne jamais être hors champ d’une vision grand angle tourné vers l’autre, ce quatrième album, est un élan vers demain, avec le goût d’aujourd’hui où il démontre qu’il possède ce potentiel narratif unique, tel un passage itinérant de l’infiniment petit jusqu’à l’immensément grand.

Jean-No’ en matière de musique, je crois sans me tromper, qu’on peut dire que tu n’es pas un novice. Depuis combien de temps fais-tu de la musique exactement ?
Oh là ! J’ai commencé à jouer en groupe et à me produire sur scène à la fin des années 80. J’avais répondu à une petite annonce d’un groupe qui recherchait un chanteur. J’écrivais et je chantais en anglais. Et comme beaucoup de musiciens, de groupes de cette époque, on surfait plus ou moins habilement et de manière pas toujours heureuse sur la vague new-wave, avec tous les artifices qui allaient avec. Habillés en noir, avec des coiffures faussement en désordre, et surtout pas de sourires. Suite à cette première expérience, j’ai rencontré un certain Guillaume Ricordel, avec qui en 1993, nous montons le groupe « Will O’ The Wisp », et inventons, modestement un nouveau courant musical : le «  Drunk Country Folk ». Les influences étaient multiples. Elles allaient et venaient entre Les Pogues, Nick Cave and The Bad Seeds, Violent Femmes ou encore The Shoulders, qui nous avaient carrément fait tourner la tête, lors de leur passage aux Transmusicales, en 1992. Un an plus tard, et après une trentaine de dates, mon alter ego de l’époque monte à Paris. Avec le batteur, Didier Verneuil, nous choisissons de ne pas en rester là, et de monter «Jack O’ Lanternes ». Six ans plus tard, et après avoir joué plus 400 concerts dans toute La France, je quitte Les « Jack o’ », pour continuer à écrire, à composer et retrouver la scène sous mon propre nom.
Plus de 20 ans après, je suis encore là, avec un quatrième album, sorti en novembre dernier.

Sur cet album tu repart avec un groupe. Par définition, cela te donne aussi une place plus frontale. Comment le vis-tu ?
Dans les années 2000, après le premier album, j’avais déjà eu l’occasion d’être dans cette situation, d’être en front man, comme on dit. Mais en y repensant, je crois qu’à l’époque je n’avais pas les épaules, pas la carrure pour, et pourtant j’étais déjà, sacrément bien entouré. Aujourd’hui, j’ai la conviction d’avoir gagné en confiance, en maturité, en épaisseur aussi, au fil des années et pas seulement au niveau du tour de taille (rires).
Je crois aussi que les différentes expériences et collaborations que j’ai pu avoir m’ont permis d’apprendre, de comprendre, et de plus en plus savoir vers où je souhaitais aller pour tel ou tel projet, et surtout de savoir ce que je ne voulais pas, et d’être en capacité de le signifier de manière suffisamment claire pour être entendu. Cela ne doit pas empêcher pour autant de rester à l’écoute, surtout quand on est très bien entouré, comme ça l’a été encore, pour ce quatrième album. Leader, meneur, fédérateur, oui. Dictateur ?
Moins… (rires).
Pour revenir à la question initiale, je crois que, quand on a des textes qui racontent quelque chose, que l’on soit seul, à deux, à cinq ou plus sur scène, on est d’autant plus première ligne. On est frontman, et l’interlocuteur principal dans la relation avec le public. Une notion que l’on doit avoir à l’esprit en permanence, pour justement amener le groupe qui t’accompagne à rencontrer le public. C’est aussi toi qui va impulser la dynamique de l’ensemble du groupe, sans pour autant donner dans la surenchère.

Tans tes chansons il y a un témoignage libérateur ?
Hier soir encore, une amie qui me faisait part de ses retours sur l’album me demandait « … Mais où est-ce que tu vas chercher tout ça.. ?! ». en fait, sa question résume assez bien la situation, rejoins la tienne.
Et c’est vrai, que, entre deux chansons d’amour, je ressens la nécessité de raconter ceux qui sont différents, à côté, ceux qui sont un peu plus cabossés de par leur parcours de vie. Les hors-normes ont aussi des choses à raconter, au risque de nous bousculer, eux qui occupent trop rarement le devant de la scène…
Maintenant, je pense qu’il y a une certaine cohérence dans l’ensemble de ce que je peux écrire, à savoir celle d’inventer des histoires vraies, avec souvent, une part de vécu plus ou moins importante. C’est peut-être cette part-là qui permet à l’auditeur de s’y retrouver dans les textes que je souhaite partager. Je ne pense pas vouloir fuir quoique ce soit, mais au contraire, faire face, ou du moins faire avec.

Il y a beaucoup poésie dans tes chansons avec un certaine forme exploration du romantisme. Au fond de toi serai-tu un romantique ?
Pour moi, le romantisme, tout de suite c’est son précurseur, Chateaubriand, dont l’image qui me revient est celle d’un homme, sensible à l’élégance, se tenant là debout à l’aide d’une canne, en haut d’une falaise qui surplombe une mer déchaînée. Il se tient là, impassible, et semble tenter de comprendre l’époque qu’il traverse. Alors oui, je serai une sorte de romantique des temps modernes ! (rires).
Par contre, concernant la seconde partie de la question, à savoir être à ma juste place, cela ne se pose même plus. Ces dernières années, au fil des voyages, ou destinations pas forcément éloignées une question, avec réponse revenait souvent. « Est-ce que je pourrais vivre, m’installer ici ? »
Aujourd’hui, il n’y a plus de question. Non. Seulement une affirmation en terme de réponse.  « Ici, je pourrais finir ma vie. C’est d’ici, que je voudrais partir ». Comme si la tendance s’était inversée. Et pourtant, là où je vis est un lieu au confort relatif, une sorte de maison de vacances à l’année. Un endroit qui me ressemble, et avec lequel je pars en voyage tous les jours. La maison est à six mètres d’une voie ferrée (rires).

 Je sais que tu es un grand admirateur d’artistes comme Nick Cave, Léonard Cohen, Alain Bashung, mais aussi d’écrivains poètes comme Xavier Grall, Jack Kérouac… J’imagine que l’écriture revêt pour toi une grande importance ?
Si l’ écriture est très importante ? C’est le plus important ! Et
la chanson est un format d’écriture, qui me convient bien, parce qu’ ensuite, avec la scène et le partage avec le public, cette proximité avec les gens est  aussi quelque chose d’important, malgré mes propos au cours de cet entretien, qui pourrait laisser penser que je suis un grand solitaire, qui a du mal avec les gens. Dans mes textes, il est très souvent question des gens. Après, il y a la forme, qui a des résonances des couleurs poétiques dans les mots choisis, tout en restant accessible. On ne peut pas avoir la prétention de vouloir partager, d’avoir une proximité avec le public si on est quasiment tout seul à savoir à peu près ce que l’on veut dire. Et c’est vrai que je suis très attentif à ce que je raconte soit bien écrit, sans être trop écrit. Je pense ne pas être là pour me la raconter, mais pour raconter, simplement, mais avec force, et justesse. Oui, je passe du temps sur l’écriture d’un texte, qui pour moi, va être déterminant dans la réalisation d’un morceau, d’une chanson, la plupart du temps.

Entre néo-réalisme et chanson française, comment définirais-tu ton univers ?
Quand j’ai commencé à avoir la prétention d’écrire des chansons, au début des années 90, c’était à l’époque où je rencontrais ce courant de la chanson réaliste, avec entre autres l’auteur Pierre Mac Orlan qui était l’un des paroliers par excellence de ce courant.  Et ces années 90, c’est aussi une période où le piano à bretelles et la chanson néo-réaliste  redeviennent très tendance, et nous avons été nombreux à surfer sur cette vague.
Aujourd’hui, je pense m’en être remis, et depuis un bon bout de temps déjà (rires).
Après, où je me situe dans la grande ville de la chanson française ? La ville est si vaste, avec des chapelles et des quartiers tellement nombreux. J’écris en français, sur des musiques aux couleurs entre folk et rock. J’aime assez l’idée que je « fais », je propose une chanson folk rock à la française.

De par son titre et les textes, cet album donne l’impression d’être une tentative de capture de tes souvenirs, de tes sentiments, de tes espoirs ?
C’est vrai que c’est un album avec plusieurs approches, des textes plus personnels, plus intimes que d’autres comme le texte qui ouvre l’album et qui raconte la rencontre avec celle que j’attendais et avec qui je partage ma vie. Des souvenirs, oui, aussi, mais sans pour autant être nostalgique. Je ne pense pas faire partie des « c’était mieux avant ». Là encore, concentrons-nous sur aujourd’hui, en faisant en sorte que ça soit bien maintenant.
Concernant ce rapport à la temporalité, il y a une expression qui exprime tout le contraire de ce qu’elle veut signifier. « Il faut vivre avec son temps ». En fait, cette expression à l’allure faussement désuète nous dit qu’il faut absolument être en phase avec l’époque dans laquelle on évolue. Par exemple, aujourd’hui, si on n’a pas un IPhone de moins d’un an, le frigo américain, si on n’a pas la fibre, on ne vit pas avec son temps. Mais il ne s’agit pas de notre temps, mais de celui qui nous est imposé par je ne sais quoi… ! Il est devenu plus important d’avoir que de savoir être. Oui. Bien. Et après… ?! Je pense vraiment que les questionnements devraient plus se situer à ce niveau-là, pour remettre, retrouver du sens.

Pour revenir à l’album, en fait il était prêt au printemps, et l’on devait rentrer en studio en avril. Les événements ont fait que l’on resté chez nous jusqu’en juillet. Durant ces 3 mois, je n’ai pas pu m’empêcher de revenir sur certains textes, et d’en écrire deux autres, en étant attentif je crois d’apporter des touches d’espoir…
Et au final, si l’on doit deviner un fil conducteur pour cet album, d’un morceau à l’autre, c’est peut-être celui-là. Au-delà des doutes, des croyances, il y a encore de l’espoir. C’est comme quand on regarde une bouteille déjà bien entamée : «  Efforçons de la voir à moitié pleine, plutôt qu’à moitié vide... ».


Un grand merci à Alain et Seb de l’Overlook pour l’accueil !

Photos : Anne Marzeliere : https://www.annemarzeliere.com/


Stef’Arzak

Jehan « vivement maintenant »
Bruno Green Hasta Luego recordings / Lust4Live – Novembre 2020

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