[interview] Von B.

C’est une histoire qui commence toujours un peu de la même manière : une mélodie qui s’infiltre sans prévenir, un texte qui accroche notre attention comme un regard qui nous effleure au détour d’une vie incertaine. Von B., alias Ludwig Brosch, ne chante pas pour remplir les creux, les sillons, il habille les vides, il dialogue avec nous en apprivoisant les refrains fragiles ou fiévreux. Producteur, arrangeur, multi-instrumentiste, à la guitare et à la basse au sein de Radiosofa, puis aux côtés de Da Silva, Claire Denamur ou encore Foray, Ludwig lance son premier album solo, fin 2024, révélant l’élégance d’une belle errance où chaque chanson semble chercher sa place pour fuir l’oubli et convaincre le temps qu’il a encore de l’importance. 
Dans ses chansons, les mots n’hésitent pas à nous chambouler, marquant le tempo d’un goût certain pour le feu et le charbon. Instants volés, douceurs fatiguées, fatalités impossibles à accepter, il y a là du noir et du blanc, du flou et du net, des reflets de néant sublimés d’ordinaire tendresses qui s’effilochent au rythme d’un accord de guitares. Même si ce 1ᵉʳ opus est indéniablement très chanson, c’est aussi un disque de rock, mais du rock qui préfère le murmure intelligent à l’éclat, quelque part entre Daran et Arman Méliès. Parfait équilibre pour ceux qui savent encore écouter la grâce de la fragilité.
Entre deux ondes, Ludwig Brosch nous parle de son alter ego Von B et de ce premier magnifique album, comme on évoque une rencontre qui nous surprend, pour mieux nous rappeler que les plus belles choses portent en elles la promesse de leur propre aboutissement.

Pouvez-vous nous parler du cheminement artistique qui vous a mené jusqu’à cet album ?
Après le split avec Radiosofa en 2012, d’autres projets se sont enchaînés. J’ai d’abord accompagné Claire Denamur sur scène pendant deux ans, puis j’ai rejoint Foray, écris de la musique pour le théâtre, la danse, les images… Les années ont passé très vite jusqu’au covid. Ça m’a donné un coup de fouet pour continuer à exister artistiquement de ne pas jouer sur scène, J’ai alors réalisé que je voulais encore écrire des chansons, et que j’en avais aussi pas mal en chantier. Je n’avais jamais chanté, mais j’ai pris mon courage à deux mains, et travaillé pour trouver ma voie et ma voix. Je joue un peu de tous les instruments, ça m’a amusé de tout enregistrer moi-même (sauf les violoncelles). Et voilà mon premier album fini, après treize ans qui m’en ont paru deux.

Quelles sont les principales influences qui nourrissent votre style musical ?
Il y a d’abord eu toute la musique anglaise et américaine des années 60, The Who, The Beatles, Jimi Hendrix, Led Zeplin, Janis Joplin, The Doors. Les années 90 ont été très inspirantes pour moi, avec la découverte d’artistes plus noise ou indépendant comme les Pixies, P.J Harvey, Tom Waits, Radiohead. J’ai aussi reçu une claque en regardant les Ailes du désir de Wim Wenders, où on voit Nick Cave en concert. Ma formation classique au conservatoire, que j’ai intégré sur le tard à 30 ans m’a permis de m’ouvrir à des compositeurs comme Stravinsky, dont la musique peut être d’une puissance phénoménale, pas si éloigné du Rock finalement, et Arvo Part, qui n’hésite pas à revenir à la simplicité. Très peu d’artistes français m’ont influencé au départ, mais je me suis mis à en écouter sur le tard (Dominique A, Murat, Bertrand Betsch, Kat Onoma) et m’ouvrir enfin aux mots, en plus des mélodies et des riffs.

Vous avez collaboré avec Einat Klinger et Stéphane Herzog sur deux de vos chansons. Que représentent pour vous ces deux collaborations ?
J’avais travaillé avec Stéphane sur l’arrangement et la co-écriture d’une musique qu’il avait écrite pour un spectacle de danse, appelé On. Le titre « Assez » en est issu, et comme il collait à mon univers, je lui ai demandé s’il voulait bien me laisser le ré-enregistrer avec ma voix pour l’intégrer dans mon univers.
J’avais un instrumental un peu post-rock, et je m’étais imaginé juste collecter des écrits du mouvement #metoo en solidarité avec la violence faite aux femmes. J’ai demandé à Einat, une amie qui m’avait fait lire certains de ses écrits si elle voulait bien faire ce travail de recueil et de mise en forme. A la place, elle m’a proposé une scène de couple, et j’ai adoré partir de l’intime pour comprendre l’universel. Elle est venue à la maison pour me montrer comment elle imaginait les voix, et j’ai gardé sa voix à elle, faite en une prise ! Et après, sur un autre instru, elle m’a proposé un poème, Evanoui, qu’on a dit à l’unisson. J’ai aimé sortir un peu des chansons très personnelles du reste de l’album pour élargir mon univers.

Globalement comment s’est passée la création de cet album ?
L’album est un mélange de vieux titres datant de l’époque Radiosofa, et de nouveaux titres créés juste avant l’enregistrement. Au niveau de la voix, j’ai d’abord utilisé la voix parlée, d’abord parce que j’aime ça, puis j’ai assumé de chanter sur certains titres. Le retour des amis m’a beaucoup encouragé !


Qu’est-ce que vous cherchez à transmettre le plus à travers vos chansons ?
J’aime la musique assez répétitive, je suis plus rock que pop dans l’ensemble. Ça ne me dérange pas que le refrain d’une chanson ne change pas d’harmonie par rapport aux couplets par exemple, comme dans « La pluie avant qu’elle tombe ». Par contre j’aime beaucoup les arrangements riches, qui permettent de colorer les titres, même si j’envisage de revenir à des arrangements plus minimalistes pour le prochain album. Et surtout j’ai pris un plaisir immense à utiliser la voix comme vecteur d’émotion, à enfin me poser en tant qu’interprète, et non plus juste en tant que compositeur. Pour résumer, je dirais que le plus important pour moi est de faire comprendre mes mots et mes émotions. J’ai cherché à partager mon expérience personnelle, mes confrontations avec la mort d’êtres chers, mes amours déchues. Thèmes assez sombres, que j’ai essayé de rendre lumineux avec des arrangement riches.

L’actualité sociale et mondiale influence-t-elle votre musique et vos choix artistiques ?
Très peu. En tant qu’artiste, j’ai du mal à me positionner et à partager mes idées politiques par exemple. Je préfère les garder pour ma sphère privée. Après, je suis très concerné en tant qu’individu par cette actualité, et ce que je suis en est forcément lié…

Si vous deviez choisir une chanson de l’album qui représente le mieux votre âme de chanteur, laquelle serait-ce, et pourquoi ?
Très difficile pour moi de répondre à ces questions où l’on doit choisir telle ou telle chanson. J’ai peur qu’on me demande de citer un film, un livre en interview, à chaque fois tout se brouille, et rien ne vient. J’aime beaucoup chanter « La pluie avant qu’elle tombe » et « cet été là », mais le thème de 20 ans déjà me touche beaucoup, puisque je parle de la mort de mon beau père qui comptait beaucoup pour moi.

Y a-t-il des artistes ou des groupes qui vous inspirent particulièrement actuellement ?
En fait, j’écoute assez peu de musique, et je me sers beaucoup de mes ami.es pour leur laisser le soin de me faire découvrir des groupes, comme Pmxper, Sophie Hunger, Ghostpoet, Airelle Besson, Andrea Lazlo de Simone… Je suis allé voir Tinder Sticks dernièrement, j’ai trouvé ça très classe. Et c’est surtout le cinéma qui m’influence le plus. J’ai adoré La chambre d’à côté (le dernier Almodovar), Les Graines du figuier sauvage, la Zone d’intérêt. Je suis un gros gros fan des films d’horreur et notamment de John Carpenter, qui fait les musiques de ses films.