[Interview] Villa Fantôme – « Seconde Zone »

Après la chaleur cuivrée et festive de La Ruda Salska, Pierrot et Manu reviennent avec Villa Fantôme, projet plus intime, plus électrique, où la lumière danse avec l’ombre. Avec « Seconde Zone », le combo signe un second album à la fois plus pop et mélancolique, traversé de refrains accrocheurs et de récits efficaces, très cinématographiques.Ici, les guitares post-punk et les claviers froids se frottent à la langue française, dans un équilibre fait d’élégance et de désenchantement. On y entend les échos de Depeche Mode ou The Specials, mais aussi la verve dansante des chansons de Bashung, dans une écriture épurée, directe, parfois désarmante. « Seconde Zone » parle du temps qui passe, des illusions qui s’effritent, des amours en pointillés, mais toujours avec cette envie de ne pas sombrer, de rester debout, fière et vivant. Derrière le rose et le noir du visuel, il y a la sincérité d’une musique prête à reconquérir la scène avec toujours cette fabuleuse fougue qu’elle transmet en héritage. Un disque de maturité, mais surtout un disque de vitalité.
Rencontre avec Pierrot …

Est-ce que tu peux revenir un peu sur l’écriture de cet album, Seconde Zone ?
Alors, si on parle d’écriture au sens musical, ou plus largement texte et musique, il faut savoir qu’on ne part pas forcément avec une idée précise en tête. On se lance, les morceaux arrivent, s’accumulent, on les sélectionne, on finit par les aimer, par les tester…
Nous, on a cette particularité : on fait la musique d’abord. Une fois qu’on a la musique, je place mon chant, ce que j’appelle du “yaourt”, une sorte de franglais qui me permet de trouver une mélodie. À partir de là, le thème du texte se dégage naturellement, en fonction de la mélodie, de l’esprit du morceau, de son humeur.
La musique crée une métrique, un état d’esprit, une émotion. Et moi, j’essaie d’écrire un texte qui soit en symbiose avec tout ça. Le seul vrai “cahier des charges” que je me donne pour Villa Fantôme, c’est d’être plutôt pop, pas trop noir.
C’est pas évident, parce que la vie n’est pas toujours rose… mais j’essaie de faire en sorte que les textes reflètent un équilibre entre le sombre et le lumineux. Quand je dis “pop”, je ne parle pas de légèreté superficielle. Ce type d’écriture est même assez compliqué, parce qu’on peut vite tomber dans le ridicule. Il faut trouver un vocabulaire juste, un langage textuel qui tienne la route.
Ça donne des morceaux comme « French Boy » ou « Dance Hall Prayer », des chansons pop, avec parfois un fond religieux, mais à peine suggéré, juste comme une sauce.
Dans « Les Paul », par exemple, on raconte une histoire, un peu à la manière de Renaud. J’aime raconter des histoires simples, accessibles. On y parle de la vieillesse, du temps qui passe, de la guitare qui reste parfois plus souvent dans son étui que sur scène. C’est aussi le cas de « Billy Ricker ». Et puis il y a des morceaux plus sentimentaux, comme « Saisons Grises », qui parlent de dépit amoureux sans raconter directement “ses amours”.
Et parfois, la musique impose des textes très épurés, parce qu’elle demande peu de mots. C’est le cas sur « Origine », qui est plus ésotérique, plus ouvert à l’interprétation.
Mais dans tous les cas, j’essaie toujours de dégager une formule, une phrase clé qu’on retient et qui sert de matrice à la chanson.

 

D’ailleurs, il y a dans tes textes une vraie dimension narrative, presque cinématographique. Comment arrives-tu à mettre tout ça en rythme, avec ce côté poétique ?
Alors ce que tu appelles poétique, moi j’appelle ça “bien foutu” (rires). La poésie, elle peut venir d’un langage simple. L’idée, c’est de raconter des histoires avec finesse, même quand on a peu de mots. Villa Fantôme, contrairement à La Ruda, utilise des textes courts volontairement.
Ça laisse peu de place pour installer un personnage, donc il faut aller droit au but. Chaque phrase doit compter, faire avancer l’histoire ou le sentiment.
Je commence souvent par le refrain, comme beaucoup, parce que c’est le cœur du morceau. S’il claque, tout le reste peut se construire autour. Ensuite, j’essaie de me demander : “qu’est-ce que je peux bien dire avec ce refrain ? Vers quelle histoire ça m’emmène ?”
Mais, c’est souvent dans la douleur (rires). Faire simple, c’est long. On écrit, on enlève, on nettoie, on dégraisse. Parfois on rajoute une touche de style, pour aller à l’essentiel.
C’est un vrai travail de ciselage.


Tu as une façon de dire les choses à la fois brutale et douce…
Exactement ! C’est une belle définition. Parfois, il faut oser claquer les mots. Mais tout dépend de l’esprit du morceau.
Si c’est un titre plus punk, avec des guitares lourdes, on peut se permettre d’être frontal. Mais souvent, il faut trouver un angle, une façon de dire les choses avec de l’âme, de la nuance.


Sur cette album tu chantes à la fois en français et en anglais. Qu’est-ce que ça t’apporte ?
Alors, je chante en anglais… un peu malgré moi (rires). French Boy, par exemple, raconte justement l’histoire d’un gars qui ne sait pas chanter en anglais !
C’est ce qui rend mon accent crédible (rires). En fait, l’anglais sonnait bien sur ces morceaux-là, c’était naturel. Parfois, le français ne colle pas à la rythmique, il ne se prête pas à la bouche. Donc je m’autorise à l’anglais quand il sert la musique.
Mais Villa Fantôme, c’est avant tout l’idée de faire de la musique anglaise avec des textes français. Parce que le français, c’est notre langue des sentiments, celle dans laquelle je peux vraiment dire ce que je ressens.
Il n’y a pas pour autant de volonté de s’exposer à l’international. L’idée, c’est d’exister localement, puis d’élargir petit à petit. L’ambition internationale, ce serait de la vanité. Notre personnalité, elle vient justement de la langue française.


Tu cites pourtant des influences très anglo-saxonnes…
Oui, complètement. Nos influences le sont : The Cure, Depeche Mode, Madness, The Specials… tout ça fait partie de notre ADN. On voulait revenir à ces musiques de nos 15 ans, qu’on n’avait pas exploitées avec La Ruda. Le post-punk, la pop, un peu de new wave aussi.
Mais à partir du moment où on chante en français, la musique se “francise” d’elle-même. On perd un peu du côté glacial du post-punk, mais ça nous va bien aussi. Ce sont des musiques qu’on aime profondément, et on voulait les faire nôtres, avec notre culture, notre style et nos mots.


Et sur scène, ça donne quoi, Villa Fantôme ?
L’idée, c’est d’être fidèle à l’album, sans accélérer inutilement les tempos. On veut garder l’esprit du disque.
En live, on essaie juste de donner un peu plus de rugosité, un côté plus rock, moins “poli”. C’est un équilibre qu’on est encore en train de chercher, d’ailleurs, la tournée démarre en décembre.


Et toi, que ressens-tu sur scène avec ce groupe, comparé à La Ruda ?
C’est très différent. Je me sens plus exposé, plus seul aussi. Avec La Ruda, il y avait une armée sur scène, là c’est plus frontal, plus nu. Mais c’est un vrai bonheur. C’est une autre gestuelle, une autre énergie. Et à 50 ans, c’est une redécouverte. Juste chanter, être dans l’instant, c’est déjà un plaisir immense.


Parlons un peu de l’esthétique visuels du groupe : les photos, les clips, les couleurs… Il y a une élégance provocante, très marquée, assumée ?
Oui, c’est complètement pensé. On s’est inspirés de « The Specials » (noir et blanc) et de « The Beat » (noir et rose). Ces codes nous plaisent parce qu’ils permettent de créer une identité forte, tout en restant dans une filiation musicale. Et puis le rose, c’est pop, c’est élégant, ça tranche avec le premier album. C’est une nouvelle page, un nouveau chapitre. Et c’est aussi un clin d’œil à notre jeunesse, à ce côté “on fait comme les grands”, avec fraîcheur et surtout avec plaisir.



Justement, on sent dans cet album un désir de reconquête de jeunesse, d’énergie ?
Oui, complètement. J’ai 50 ans, donc je ne veux pas raconter uniquement la vie d’un mec de 50 ans (rires).
Mais cette quête de jeunesse, elle est réelle. Elle nous fait du bien. Le côté pop, le rose, cette envie de faire danser, tout ça va dans ce sens-là. On veut exister aussi auprès d’une génération plus jeune, sans jouer les “vieux”. Trouver la fraîcheur juste, celle qui reste crédible, c’est ça le défi.


Et la passion, après toutes ces années, elle est toujours là ?
Oui, intacte ! Sinon on ne s’embêterait pas à refaire tout ça. (rires)
Villa Fantôme, c’est une manière de relancer la machine, de se remettre en danger. Avec La Ruda, tout était acquis. Là, on repart comme à nos débuts : jouer devant 50 personnes, puis 100, puis 150… Refaire des petits cafés-concerts, convaincre, recréer une jeunesse. C’est ça, la vraie adrénaline. Et tant qu’on aura cette excitation, on continuera.



Et ta relation avec le public, notamment celui de La Ruda, comment elle évolue ?
Avec le public de La Ruda, il y a un lien très fort, presque affectif. Certains nous suivent depuis 25 ans. Ils partagent avec nous leurs souvenirs, les moments de vie que nos chansons ont accompagnés. C’est très touchant. Pour Villa Fantôme, c’est encore différent, plus jeune, plus en construction.
Mais c’est beau de voir des visages familiers, curieux, bienveillants.
Et puis bon, les gens viennent d’abord “voir les gars de La Ruda”, et puis s’ils s’emmerdent, ils te le disent sans détours (rires).
Ça fait partie du jeu. Mais c’est aussi ce qui nous pousse à être meilleurs.


Photo (c) Titouan Bouiller