[Interview] Moonya, une précieuse pop électronique

Artiste euroise multi-instrumentiste, Moonya est une artiste singulière dans sa démarche comme dans sa musique. Après avoir sorti en octobre dernier un album remarqué en France et à l’international, elle continue un voyage musical ininterrompu. Elle était samedi 26 avril dernier au 3 pièces à Rouen. L’occasion d’une rencontre ensoleillée.

Rouen, samedi 26 avril 2025.

Le 3 pièces, bar rock à proximité de la mairie, accueille depuis des années ce qui se fait de mieux de la scène alternative locale mais aussi internationale par le biais de quelques associations aussi sélectives qu’impliquées.

Ce samedi 26 avril, l’affiche réunit trois groupes, Moonya, One for Jude et La fugue. L’association Politburo est à la manœuvre et doit faire face à un problème de taille : limiter le volume sonore.

Très apprécié et très couru, le lieu traverse en effet une passe difficile : un nouveau voisin peu complaisant semble vouloir sa peau. Il vient d’acheter un appartement juste au-dessus de l’établissement, en connaissance de cause donc, mais il déplore trop de nuisances sonores ! Une guerre des nerfs est engagée, et les artistes sont les premiers à payer la facture.

Du coup, Moonya, habituée à jouer en début de soirée, du fait de son installation plus légère, se retrouve en fin de programme. Elle accepte volontiers ce changement de dernière minute.

L’entrée en matière se fait avec La fugue, trio poétique du meilleur goût avec un chanteur pas tout jeune, Dominique Bonafini, une chanteuse à croquer, Calixthe Vincent et Lady Arlette, une guitariste puissante armée d’une Gibson électro-acoustique de compétition.

Changement radical d’ambiance avec l’autre trio de la soirée, les parisiens One for Jude. Textes en anglais, riffs puissants mais toujours mélodiques pour ce power trio inspiré tant par la new-wave des années 80 que par l’électro de la décennie suivante. Ils sont obligés de baisser le volume le temps de leur prestation. Le chanteur, à gauche, surplombe le clavier de Moonya posé là par manque de place, juste à côté du batteur.

Le temps est contraint et bientôt la petite salle se vide pour mieux se remplir avec Moonya, comme à l’habitude seule avec ses instruments et ses machines. Un nouveau concert, une nouvelle étape dans la carrière déjà bien aboutie de cette chanteuse compositrice aux idées bien arrêtées.

 

 

« Le fruit de voyages, d’aventures, de rencontres. »

 

Moonya, Faces est sorti le 4 octobre dernier. Quel bilan peux-tu déjà dresser ?
Cet album a déjà bien vécu, j’en suis ravie. J’ai sorti 4 clips, sur les titres Save Me, Silence, Pensées et Shining. Cela a permis d’avoir pas mal de presse, française mais aussi en Europe (Italie, Allemagne, Suède, Grèce), au Canada ou aux Etats-Unis. Dix ans après la création de Moonya, cet album est vraiment pour moi l’aboutissement de quelque chose. Un premier album après trois EP, vraiment c’est cool. C’est le fruit de voyages, d’aventures, de rencontres.

La sortie de ce disque a été souvent retardée avant d’être confiée au label numérique Atypeek music. Un bon choix ?
Oui car c’est plus qu’un label. Christophe Feray m’accompagne, il est toujours là pour donner des conseils. Ce label est indépendant et fait du super boulot. Cela me convient très bien. Le clip Save Me a certes permis d’être repéré par Atypeek mais la sortie de l’album a aussi été retardée pour d’autres raisons, plus personnelles.

Cet album t’a aussi permis de faire de nombreux concerts et surtout de voyager …
Clairement. J’aime aller jouer « ailleurs » même si cela devient de plus en plus compliqué d’être son propre manager et booker. Là, j’ai des dates à venir … mais la promo du disque m’a pris tellement de temps que je n’ai pas pu trouver encore autant de concerts que je le voudrais.

 

Séduite par la Kabylie

Fait assez étonnant, tu as mis en ligne un nouveau morceau avant la sortie de l’album, Monsieur Le Président, et ce n’est pas Emmanuel Macron !

Ah non surtout pas !

Ce titre est la conséquence d’une envie de voyage et de partage. Si on me propose d’aller jouer au bout du monde, j’y vais si on m’en donne les moyens. Je ne me ferme à aucune occasion de partages et de découvertes. J’ai eu la possibilité d’aller en Kabylie, j’y suis allée. Je ne connaissais pas l’Afrique, j’ai adoré. On n’est plus du tout dans la même sphère, j’ai trouvé ça beau et je me suis ouverte à la culture kabyle. Et Monsieur Le Président, titre de Lounès Matoub, fait écho à ce que j’ai pu écouter dans mon enfance à travers Le Déserteur de Boris Vian, chanté à l’époque par Serge Reggiani. J’ai fait une adaptation de ce morceau-là avec un guitariste kabyle via les réseaux. Ce titre a plu.

Les textes étaient déjà en français ?
Non, non. Toute la fin était une lettre en français, c’est ce qui m’a attiré, d’entendre cette voix française, mais toute l’introduction et la chanson étaient en kabyle. Je suis allée voir sur Internet car je ne parle pas du tout le kabyle et j’ai trouvé une traduction sur Youtube. Je l’ai adaptée. Je n’ai pas exactement chanté comme Lounès Matoub, il y a forcément des choses qui changent dans les notes, dans la mélodie. Je me suis appropriée cette chanson pour essayer de la rendre harmonieuse en français. Ce travail d’adaptation m’a beaucoup plu. Cela m’a aussi amené à aller chercher ce qu’avait fait cet artiste. C’est un poète, il a écrit des choses très belles, tristes, mais très belles. J’ai aussi sorti La cri de la veuve, avec le guitariste d’Animal triste et de la Maison Tellier, Sébastien Miel. Il a fait toute l’instrumentation (basse, guitare, banjo) et David Fontaine s’est impliqué pour la batterie.

Comment as-tu découvert ces chansons ?
Je suis allée quatre fois en Kabylie, chez des amis et j’ai découvert la musique Kabyle sur les réseaux. En Kabylie, Lounès Matoub est partout. On l’appelle Le Rebelle, il a été assassiné en 1998, il défendait la culture berbère. C’est un poète, musicien et chanteur. Il est resté vivant malgré son assassinat. Là-bas, tout le monde écoute Lounès Matoub. Je ne pouvais pas aller en Kabylie sans m’y intéresser car c’est vraiment une icône là-bas. Il y a des peintures le représentant dans les montagnes, vraiment, il est partout.

Ce titre est sorti juste avant la sortie de Faces, il cumule plus de 50 000 vues sur Youtube mais il n’est pas sur l’album ?
C’est une reprise, ce titre ne m’appartient pas. Ce n’était pas cohérent de le mélanger à mon premier album qui ne comprend que des compositions. Peut-être un jour, sur un autre projet, avec d’autres adaptations car je ne vais pas être sans retourner en Algérie, peut-être même pour enregistrer là-bas.

Parlons de tes prestations scéniques, très singulières. Tu es seule sur scène et tu recrée à chaque fois tes morceaux ?
Il n’y a en effet aucune voix, aucune guitare préenregistrée. Quand je joue du synthé, c’est la plupart du temps parce que je crée une boucle. Après, les batteries, on voit bien que je ne suis pas en train de jouer mais il y a beaucoup de choses que je fais en temps réel. Il n’y a jamais aucune voix pré-enregistrée, je ne vois pas l’intérêt. Les voix qui ressortent sont toujours celles que je viens d’enregistrer.  Cela m’est arrivé d’oublier des textes. Je préfère alors qu’il y ait des imperfections.  Sur You and I par exemple, une batterie démarre puis je vais enregistrer du synthé, une première piste de voix dans le grave sur laquelle je vais sampler une autre piste de voix dans l’aigu et en même je vais sampler le synthé, puis la guitare et ainsi de suite. Je dois être hyper-synchro, car ce que l’on entend, c’est ce que je viens d’enregistrer. Ensuite je vais utiliser les « solos » ou les « mute » sur des pistes pour créer du relief… Le morceau se construit en direct.

Si tu es saoule, cela ne marche forcément pas ?
Non, c’est pour ça que je ne bois pas avant les concerts !

Tu fais partie d’une scène avec La Maison Tellier, Animal triste, City Of Exiles porté par David Fontaine, une pierre angulaire, car tous ces projets ont été enregistrés chez lui. Et tu joues toujours avec lui avec le duo Aña ?
Oui, il est au milieu de tout cela, ce sont des amis et David est partout ! Et bien-sûr qu’Aña existe toujours. Nous allons d’ailleurs travailler cet été sur de nouveaux titres. Quant à Moonya, David a mixé 8 titres sur les 10 et a maîtrisé tout l’album Faces. Il a également arrangé certains titres. Un grand merci à lui pour cet immense travail. Je tiens également à remercier Mathieu Pigné pour la batterie sur les titres « Shining » et « Emergency » et pour la réalisation du très beau clip sur « Shining » , à découvrir sur ma chaîne YouTube !

« Faces » de Moonya est disponible sur toutes les plateformes : https://orcd.co/8yd5enz

Liens Moonya : Youtube FacebookInstagramTiktok – SpotifyBandcampwww.moonya-zik.com

Texte et photos : Patrick Auffret