Christian DÉCAMPS, chanteur leader fondateur du groupe emblématique ANGE, a depuis longtemps déjà réinventé, avec ses acolytes, les contours d’un rock qui n’existe pas, atypique, bizarre et poétique, terriblement expressif, éperdument subversif. Toujours avec malice et un sens profond de la poésie, il sculpte un univers, un imaginaire qui lui est propre, en cherchant de nouvelles façons de rayonner dans le cœur des autres. Exigeant, sans jamais succomber aux sirènes de la mode, cet artisan du beau, amoureux des mots, ANGE traverse les nuages, sombres ou lumineux, des époques suggestives qu’il a côtoyées… Entre deux tournées, nous avions pris un rendez-vous téléphonique pour discuter de son parcours et des ultimes dates avant de dire adieu à la scène…
Ange c’est une quarantaine d’albums, des disques d’or, un nombre impressionnant de concerts partout sur le globe et vous êtes devenu au fil du temps un groupe emblématique. Est-ce que vous avez le même état d’esprit que lorsque vous avez vraiment commencé le projet Ange ?
J’ai toujours cru au hasard, c’est simplement le bonheur d’écrire des histoires et des paroles, c’est excitant. De toute façon, avec Ange, on a fait le tour de toutes les choses, de tous les problèmes qu’il y a sur cette planète, sans prétention aucune. Mais en tournant, on a tout le temps eu des sujets, des idées qui reviennent sans arrêt. Le problème, c’est que le monde dans lequel on vit n’évolue pas. C’est plutôt même la dégringolade, quoi. Mais bon, tant pis, on n’y est pour rien, c’est comme ça…
D’un autre côté, comme tous les poètes, je suis désespéré.
Mais ça c’est votre esprit, comme vous le dites vous-même, de poète, qui cherche malgré tout à voir la beauté des choses?
Voilà, c’est ça, oui, et puis pour s’envoler et emmener les gens sur d’autres rêves. Même si c’est utopique le rêve. Je pense que l’utopie, c’est important. L’utopie, elle existe quoi qu’on en dise. Nous on est là pour raconter des histoires aux gens et c’est formidable. Ça les emmène vers d’autres choses. Ça change un peu de la Bible, de la Torah et du Coran, quoi. C’est une autre façon de raconter la vie.
Moi, je suis apolitique et puis aussi athée. Donc, si on mélange tout ça, ça laisse de la place aux rêves.
C’est aussi la façon dont vous avez créé votre personnage avec cet univers mystérieux et atypique dans une mise en perspective constante qui fait que Ange est ce qu’il est aujourd’hui. Votre capacité à raconter des histoires étranges, psychédéliques par moments, tout en restant dans cette poésie de l’ordinaire universelle, c’est toutes ces ambivalences là qui est intéressante !
Ah bon, vous croyez ? On va faire une interview alors ! (rire).
Non, mais c’est vrai, vous avez raison. Ce qui est génial, c’est de décrire avec des mots, sans perdre cet équilibre fragile. On y va comme ça au hasard au début. En se disant : « On verra bien si ça peut les toucher. »
Les gens écoutent, ils aiment ou ils n’aiment pas.
Ça fait quand même bientôt 55 ans que je suis dans cette histoire-là.
Et il se trouve que les gens rêvent toujours. On a vieilli, mais on reste l’enfant qui était au fond de nous, le rêveur. C’est pour ça qu’il faut raconter. Faire avancer, faire évoluer l’histoire avec des musiciens aussi et essayer de sortir des chemins formatés.
Avec Ange, on a préféré le formol au format, ça concerne, vous voyez. C’est pour ça qu’on est encore là. (rire)
Jacques Brel disait “Quand on lit Rimbaud, on est plus riche que la veille, mais on sait aussi qu’on écrit beaucoup moins bien”. On ressent qu’il y a toujours et encore cet amour des mots chez vous et cette admiration pour des chanteurs tels que BREL justement ou Léo FERRÉ et des Poètes aussi, peut être Baudelaire ou Rimbaud. Est-ce que vous n’avez pas eu à un moment donné de votre carrière l’envie de passer de l’autre côté en devenant vous aussi un poète maudit ?
Non, c’est le métier qui dit ça, c’est le business qui parle de poète maudit.
J’aime bien Baudelaire, Rimbaud pour moi c’était les malfrats de la poésie. Je parle des establishment de l’époque. Je veux dire qu’ils étaient considérés comme des mecs hors du circuit. Mais c’est pour ça qu’on les aimait. Ils ont été récupérés plus tard.
On en a fait des stars de l’Underground…
L’underground est parfois plus important à mes yeux que le format. C’est beaucoup plus fort.
Parce que ce sont des gens qui ont osé écrire, peindre ou sculpter des choses que les autres n’osaient pas. C’est là où les mots et les notes font l’amour. C’est une coalition sublime. Un mariage heureux. C’est tellement bien de mettre des mots sur des climats, des émotions, avec des notes et vice-versa. Mais ça ne s’explique pas en fait. Ça vient comme ça et puis c’est bien. C’est plaisant.
Et puis on peut traiter de tous les sujets possibles. Il y a des textes que j’ai écrits qui étaient inspirés de faits divers. Par exemple, dans l’album « Guet-Apens” la chanson “Réveille-toi”.
Où je raconte l’histoire d’un homme qui ne se remettait pas d’avoir perdu la femme. Il allait sur sa tombe la nuit. C’est l’amour qui lui manque. Et ça a existé. Ça s’est passé à Belfort et c’est un monsieur qui s’est fait prendre. Des gens bien-pensants ont signalé aux autorités qu’il y avait un mec qui passait le mur du cimetière. Ils l’ont dénoncé comme les collabos faisaient pendant la guerre…
Et moi, j’en ai fait une chanson, une poésie. « Je veux que ce coït fasse que tu ressuscites ».
Des instants de velours. C’est tout. On en avait même fait un clip à l’époque. En 1978, le clip côtoyait « Sultan of Swing » de Dire Straits…
Et quand le format n’en parle pas, il ne peut pas partager avec les autres. C’est une forme de dictature de masse… Je préfère l’underground.
Maintenant, ils jouent l’extravagance en provoquant et c’est tout. Ils n’osent rien de nouveau.
Mais c’est grâce aux réseaux qu’ils décollent un peu de n’importe quoi.
Et aujourd’hui, après toutes ces années à chanter vos chansons devant le public, partout dans le monde, est-ce que vous avez des personnes qui vous suivent depuis vos débuts qui viennent et vous en remercient ?
Ah oui, on les reconnaît, ils sont là.
Bon il y en a qui ont décroché, c’est sûr. (rire)
Certains malheureusement sont devenus ce que j’appelle des intégristes du rock progressif. Ils nous ont suivis jusqu’à “Par les fils de Mandrin”. Peut-être qu’il n’était pas intéressé de chercher autre chose avec nous. Ils n’ont pas réussi à suivre. Vous savez, le pire des fléaux c’est la nostalgie.
Parce que vous avez toujours cherché à évoluer !
Oui, mais c’était parce que ça se faisait comme ça. On n’a jamais essayé d’être à la mode… On a suivi le courant qui nous portrait.
Il y avait des idées qui venaient, il y avait des choses qui nous inspiraient. Dans plein de domaines on voit des gens qui inventaient une autre façon de faire les choses… On s’y est mis aussi avec nos chansons, et Ange est devenu un style, une marque. Elle n’appartient pas à quelqu’un comme moi, juste parce que j’ai fondé le groupe. Les gens qui critiquent justement le fait qu’on ait évolué. Ces gens-là, ils roulent en voiture hybride, électrique, maintenant. Je prends le cas de Peugeot parce qu’on n’est pas loin de Sochaux. Le petit père Peugeot, il a démarré tout seul avec une charrette à bras. Et il a construit sa première voiture comme ça. Mais maintenant, il y a des voitures Peugeot qui roulent, elles ont évolué avec le temps sans le père. Mais elles existent toujours…
C’est pareil pour Ange. Et c’est formidable de savoir que c’est une aventure qui s’écrira encore après moi.
Y a-t-il une forme de fierté, de savoir que le projet, même sans vous, continuera, et perdurera notamment avec votre fils, dans une sorte de tradition familiale ?
Non, je ne vais pas rentrer dans la tradition familiale. Les autres ont une vraie valeur aussi. Et tous ensemble, ils vont continuer l’histoire. Ange ne meurt pas, mais continue avec les gens, et voilà. J’ai vu des mômes de 20 ans qui venaient nous voir après les concerts avec des vinyles de leur père, et qui écoutaient Ange. Ils nous disaient, nous, on écoute vos vinyles. Mais c’est bien, qu’il se transmet les disques.
C’est important. C’est la capacité de devenir intergénérationnel, de pouvoir toucher les parents, les enfants, et bientôt les petits-enfants aussi!
Oui, c’est chouette. Mais surtout, dans ce genre de musique qui demande de la curiosité. Avec les enfants, ça passe les générations. Que ce soit du NTM ou du je ne sais pas quoi, le problème est partout le même.
Et c’est cette union qui rassemble toutes les familles. Mais bon, elle a bien du mal de nos jours, la pauvre.
C’est une grande aventure qui perdure !
C’est ma plus belle aventure. Avant de naître, si on m’avait soufflé dans l’embryon, pour me dire que ce que j’allais faire, je serais sorti encore plus vite du ventre de ma mère.
Il y a aussi la scène où il a toujours cette capacité à emmener le monde. Pour vos derniers concerts, vous allez passer deux soirs à l’Olympia. Ce sera un grand moment de joie pour vous, j’imagine avec des invités, avec des amis ?
On l’a fait aux 50 ans de Ange au trianon. C’était une vraie fête. Là c’est pour me voir une dernière fois sur scène. Mais je ne veux pas inviter tous ceux qui étaient déjà là il y a 5 ans. Ça ne sert à rien. Moi, je ne le perçois pas comme quelque chose de triste. Au contraire, je trouve que c’est un événement plutôt joyeux de se dire venez me voir pour le dernier show et de pouvoir dire au revoir à toutes les personnes qui nous ont suivi à mes amis qui seront là dans la salle. Il y aura le groupe qui sera là, celui qui va continuer. Et c’est justement là l’importance du propos.
Il n’y aura pas d’invité mais il y aura le public qui sera l’invité majeur de ces concerts.
Mais ça promet d’être une belle fête en tout cas autour de moi, beaucoup d’amis qui vous suivent depuis très longtemps ont hâte d’y être !
Je suis content, j’ai hâte de les voir.
Merci beaucoup pour cette discussion, Christian.
Merci à vous c’était très agréable.
Et à très bientôt.