BT93, alias Bernard Tanguy, n’en finit pas de brouiller les frontières entre passé et présent, entre le cynisme du monde du travail et la poésie du désenchantement. Avec son nouveau single “Apparemment, c’est normal”, l’ancien cadre devenu musicien, puis cinéaste, puis à nouveau musicien, livre un morceau d’une sobriété désarmante, à mi-chemin entre confession existentielle et constat social.
Pour ceux qui auraient manqué le début, BT93 est ce drôle de miraculé de la new wave française : un Sixto Rodriguez de bureau, redécouvert trente ans après avoir composé, entre 1989 et 1994, des chansons qui fustigeaient la hiérarchie et la vacuité du capitalisme triomphant. En 2020, ses titres ressurgissent sur les platines des DJs branchés, séduisant aussi bien les nostalgiques que les jeunes amateurs de sons “vintage”. L’album posthume avant la mort, remixé avec Frédéric Lo, scellait cette renaissance improbable.
“Apparemment, c’est normal” s’inscrit dans la continuité de ce regard lucide et désabusé sur notre époque. Le morceau évoque les suicides en classes préparatoires, un drame trop souvent tu, et, plus largement, l’absurdité d’un monde où la réussite se confond avec la survie. BT93 parle à voix basse, presque en talk-over, comme s’il récitait à lui-même un texte qu’il aurait trop longtemps gardé sous silence.
Sa diction, légèrement détachée, rappelle celle de Bertrand Burgalat ou d’Étienne Daho dans leurs moments les plus introspectifs. Mais ici, le ton est plus grave, plus nu. Une boucle de piano, simple et entêtante, sert de fil conducteur,un battement mécanique et mélancolique qui évoque la routine du bureau autant que la pulsation d’un cœur fatigué.
BT93 filme désormais autant qu’il chante, et cela se sent. Le clip, co-réalisé avec Dinara Drukarova (Grand marin), s’inscrit dans un paysage à la beauté presque indécente : le lac de Côme. Mais derrière ces images apaisées, se devine la solitude du personnage, son besoin de recul face au vacarme du monde. Le décor, d’une pureté contemplative, contraste avec le propos du texte, un procédé de distanciation subtile, presque bergmanien.
Dans cette chanson, BT93 ne se contente pas de témoigner : il met à nu un sentiment collectif. Derrière la formule du titre, “Apparemment, c’est normal”, se cache tout le désenchantement d’une société qui a appris à banaliser la souffrance, la compétition, la solitude. C’est le mantra triste d’une génération qui, des années 90 à aujourd’hui, n’a cessé de s’adapter sans jamais guérir.
Ce single annonce peut-être un troisième album solo. Et si c’est le cas, “Apparemment, c’est normal” en serait la porte d’entrée idéale : un bilan intime, lucide, profondément humain. BT93 semble avoir trouvé un ton singulier, entre chanson parlée, poésie industrielle et spleen contemporain, quelque part entre Taxi Girl, Bashung et Dominique A.
Paroles :
Cette année là, j’avais 17 ans, j’ai mis ma vie sur pause pendant deux ans,
Pensionnaire à Louis le Grand, une sorte de fugue loin de mes parents,
Y a plus qu’les maths, pas d’meuf, pas d’groupe, pas d’foot, même pas vu l’Euro à la télé,
Internet n’existait pas, y’avait pas d’ordi mais on parlait déjà d’l’IA,
Deux années de ma vie gommées, parce que j’veux faire comme mon frère,
J’ai pas vu les copains tomber, c’est vrai qu’un ou deux suicides, là-bas, apparemment c’est normal,
Un ou deux suicides, là-bas, apparemment c’est normal (x2)
Cette année là, en pleine immaturité, j’ai commencé une drôle de vie,
Ca s’appelle le travail, mais je l’ai d’jà dit que la hiérarchie chie
Ya plus qu’le taf, pas d’meuf, pas d’fêtes, pas d’potes, heureusement j’ai mon mac
Mes premières musiques sont mon oxygène dans cette ambiance réac
Ok j’gagne ma vie, mais c’est pour faire quoi, le soir trop crevé pour sortir, le we occupé à dormir
Si tu deviens fou, apparemment c’est normal,
Si tu deviens fou, apparemment c’est normal (x2)
Ces années-ci, j’me suis reposé, j’suis plus relax dans mon dupleix
J’ai xx berges bien déconstruites, grâce à mon piot qu’est un chouette pipou
J’suis pas cancel, j’suis pas connu, j’suis pas malade, je joue aux échecs 30 fois par jour
J’suis parti je n’sais où mais pas où j’voulais aller, dans ma tête ya des trous j’me souviens plus des couplets, sauf qu’à mon âge, c’est pas Voulzy, me d’mande pas un nom propre.
Chuis pas encore en maison de retraite, mais si tu finis tout seul, apparemment c’est normal,
Si tu finis tout seul, apparemment c’est normal (x2)



