Nous sommes le dimanche 13 Octobre 1996 et je sors essoré d’une salle de ciné. Lars Von Trier vient de m’atomiser sur place et je suis incapable de prononcer une bribe de parole. Allocution larvée. Etat de choc. Nous nous dirigeons vers le centre des Halles de Paris et il m’est impossible de me dépêtrer des images qui viennent de déferler à l’écran. Le chemin de croix de Bess Mac Neill m’a déchiré le cœur, la réalisation charnelle de Lars Von Trier me hante à chaque minute. J’ai 24 ans et c’est décidé, « Breaking The Waves » est mon long-métrage préféré dans l’Histoire du Cinéma (que je connais très mal du haut de mon insolente adolescence… mais je m’en fiche) et mon œuvre culte. Rien ne supplante ce tour de force du 7ème Art. Rien n’est plus beau. La tête à Toto.
Nous sommes en 2021 et les salles de cinéma sont vides. Serait-ce l’appel de la Saint-Valentin ? Une nostalgie mal placée ? On serais-je tenté de mettre à l’épreuve cette chronique fiévreuse vingt-cinq ans plus tard ?
Revoir le 4ème film du célébrissime Danois avec un peu plus de matière cinéphile dans la caboche, c’est tenter le Diable. Certes.
C’est surtout mettre en perspective le film précurseur du Dogme95, ses travers et ses éclairs de génie, la carrière du réalisateur effectuant-depuis- des dérapages souvent mal contrôlés (Melancholia). Voire risibles (Antichrist & Nymphomaniac).
Mais je prends le risque, quitte à écorner une image d’Epinal et crucifier mon âme de sentimental.
A la revoyure et avec un peu plus de plomb dans la tête, c’est indiscutable, « L’amour est un pouvoir sacré » est épouvantable.
Dans la forme comme dans le fond.
La réalisation se veut proche du documentaire avec ses moments volés, son montage digne d’une confidence vidéo sur « BRUT », ses cadres sciemment tremblotants et son grain d’image dégueulasse (j’ai cru que le DVD était une copie…mais non !).
Stupeur et tremblements ! Tout, ici, sent le faux naturalisme à plein nez.
Décors naturels ? Jeu des acteurs sans filtre ? Tout pour le réalisme outrancier et le cinéma-vérité ? A d’autres ! Ce jeu de la vérité est savamment pesé, décortiqué et l’on ne saurait nous faire croire que le mouvement cinématographique du Lars (sa patte ?) est sauvage ou à l’emporte-pièce.
Car en dépit d’une distribution souvent remarquable, tout ici est biaisé (pour être poli), boursouflé (ces intertitres crâneurs comme autant de chapitres soyeux, contrebalançant avec la dureté du propos) et invraisemblable (ce scénario !).
On rembobine ?
« Breaking The Waves » ou Martine et les fruits de la Passion.
Pour sa nouvelle cargaison, le trublion du Grand Nord nous conte le récit initiatique d’une jeune femme un peu « simplette « sur une parcelle reculée de l’Ecosse. Martine, pardon, Bess est heureuse. Elle va se marier avec Jan et converse avec Dieu d’une seule et même voix. Ces échanges verbaux des plus ridicules (hommage à Jeff Panacloc) ponctuent son existence mais tendent vers l’inexorable. Car Bess est schizophrène ET cyclothymique. C’est peu pratique. Et que je te pique une crise, et que je verse dans l’hystérie pour une phrase de trop….
Jan, lui, aime sa femme tendrement et rit de ses envolées peu communes. Ces deux tourtereaux sont faits pour s’entendre. C’est la fête au village. Les Amis de Jan, semblables à des ectoplasmes dénués de personnalité, font des blagues dignes des Charlots. Les habitants conviés sont choqués et le prêtre envisage cette union d’un mauvais œil. Dodo Mc Neill, témoin et belle-sœur de Bess, lui adresse un beau discours mais repense à son mari défunt. Bess, à l’évocation de son frère disparu, repanse ses plaies. Tout le monde pleure. C’est la Vie. Puis Jan s’envoie en l’air en hélicoptère, part travailler sur une plateforme pétrolière et Bess se roule par terre. C’est l’appassionata.
Patatras ! Jan sauve son meilleur pote, prend un mauvais coup (c’est ballot) et revient totalement paralysé. Les galipettes ? Aux oubliettes ! Et Bess part en sucette.
SPOILER ALERT!
Bess ta culotte et Jan Dark.
Car Lars Von Pire est lancé et plus rien ne peut l’arrêter. Jan, ayant perdu tout espoir, demande à son épouse de coucher avec d’autres hommes afin de lui raconter ses exploits. Il se sentira, enfin, vivant.
Bess, pas très nette, accepte, persuadée que ce sacrifice est le souhait du Tout Puissant. (Bess Ame mucho).
Escalade et débandade. Bess se dénude devant son docteur transi. Bess copule derrière une palissade et se heurte aux critiques de sa mère et de sa meilleure amie. Bess persiste. Bess se signe et Bess-tel Mel Gibson dans « BraveHeart »- s’en prend plein la gueule pour pas un rond.
At Lars? Bess se perdra sur un chalutier dans les mains rapaces de marins et finira par mourir de ses blessures. Jan, lui, retrouvera subitement l’usage de tous ses membres et jettera le corps de sa sirène à la Mer.
Mais loué soit le Saigneur !
Comme par miracle, des cloches apparaitront à l’écran et sonneront dans le Ciel, indiquant lourdement l’entrée au Paradis de notre Marie-Madeleine… au cas où le public, ahuri, n’aurait pas compris.
L’Amour pour seule réponse face à l’adversité. L’Amour qui sauvera le Monde face à l’incompréhension des méchants.
L’Amour, pour toujours, mon amour.
A lire froidement ce synopsis, on pense à un mélodrame fauché, à « Hélène et les garçons » ou à » La petite maison dans la prairie ».
On pense, surtout, que le réalisateur maudit se paye notre tranche depuis plusieurs décennies. Car, qui oserait empiler tant de tares et de traumas, sans broncher, dans cette figure christique de pacotille ? Qui oserait mélanger ésotérisme pour les Nuls à la collection Harlequin ? Qui oserait confondre drame poignant et pamphlet auto-suffisant ?
Le cocréateur du Dogme95 est un cinéaste racoleur. Son cinéma manque de décence, de tenue et de rigueur. Ses partis pris sont putassiers et basés sur des concepts faussement provocateurs.
Au choix :
La sexualité vécue comme un péché, une déviance ou un élément (of crime ?) libérateur. La culpabilité judéo-chrétienne face à une société rétrograde. L’innocence pervertie. Et, bonus non négligeable : des actrices à poil !
Observez le regard concupiscent du Movie-Maker, tout heureux de voir-enfin- la poitrine opulente de Kirsten Dunst sous couvert d’une démarche artistique…
Du cinéma ?
Mon cul! Ces caprices douteux -à l’instar d’Abdellatif Kechiche- ne nourrissent nullement un arc narratif ou des personnages mais les fantasmes piteux de fabricants d’images.
Quand on pense à l’implication d’actrices et d’acteurs tels qu’Emily Watson, Stellan
Skarsgard, Jean Marc Barr et la regrettée Katrin Cartlidge (sublime dans « Deux filles d’aujourd’hui » et « Claire Dolan ») dans ces rôles indigents, on ne peut que regretter ces rendez-vous manqués.
Lars Von Trier se rêve David Lean et Gaspar Noé. Bresson et Besson. Son credo ? La magnificence de la violence saupoudrée d’indécence. Connaissant le lascar pour ses déclarations peu subtiles et ses talents de manipulateur (souvenirs de tournage un peu tendus pour Björk et Nicole Kidman), l’on se demande surtout si, depuis 1996, sa filmographie ne serait pas une vaste blague ?
Et que nous ne serions pas assez intelligents pour la comprendre ?
Ainsi soit-il !
J’extirpe de mon Top 10 cette romance épileptique sans l’once d’un remord et patiente. Un autre long-métrage prendra sa place aux côtés de « Brokeback Mountain », « Bright Star » « Once », « Ma Vie sans Moi » et » Quand passent les cigognes « …
Un autre plus jouissif. Un autre plus honnête et plus fort que cette pantalonnade.
Cela tombe bien, James Mangold prépare le 5ème épisode d’une franchise culte.
Vu que mon panthéon est décousu…
John Book.