« Against All Odds » par Mariah Carey. Carré d’As.

Quoi ? Lust4Live virerait dans la gaudriole et la galéjade ? Se fourvoierait dans des chroniques de bas-étage, vantant les capacités respiratoires et surdimensionnées d’une diva du dancing ? Lust4Live, chantre du rock indé et des artistes intègres claironnerait, à présent, son amour pour le mainstream et la production aseptisée ?! Les chroniqueuses seraient-elles passées du côté de la Force Obscure ? Les chroniqueurs seraient-ils devenus « loco-loco » ? Plus rien ne les motive ? Bon sang…mais que se passe-t-il ???Rassurez-vous, chères lectrices et lecteurs fidèles, tout va bien dans le monde libre et distancié de notre beau Pays.
Seulement, voilà, depuis un certain temps, votre serviteur est victime d’une nostalgie galopante qui le ramène à l’orée de ses 20 ans. Serait-ce l’approche d’une cinquantaine rugissante ? D’un fichu : »Bon sang, c’était mieux avant ? »
Toujours est-il que Mariah Carey et son organe surpuissant se rappellent à moi comme une (Marie) Madeleine.
Je ne vous le cacherai pas, en 1990, j’étais en pleine période grunge, rock et rock-indé. Ecouter du RnB malaxé à de la pop calibrée sans l’once d’une guitare hurlante aux abords ? Très peu pour moi. Et pourtant, c’est sous l’insistance surprenante de mon grand-oncle (alors, âgé d’une petite soixante-dizaine d’années !) que je pris connaissance de cette future grande voix de la chanson américaine. » Vingt Noms, écoute ça ! ».
Premier album éponyme pour une jeune auteur-compositeur de mon âge. Je me campe, l’oreille aux aguets et le poste CD à fond les ballons histoire de faire trembler les terrils des Corons. Puis j’admets : sa performance est mutante.

Mais passe outre. La production léchée me laisse de marbre. Trop formatée. Trop standard. Boite à musique ? Boite à dollars. Enough is enough.
Bien des décennies plus tard et quelques fêtes de Noël pour pense-bête, l’Amie Carey ressurgit dans mon quotidien. Souvenir d’un passé pas si lointain où le vocoder n’existait pas, les empreintes vocales des performers parfaitement identifiées (il suffit d’écouter la chanson -titre du « Prince d’Egypte » et le tendre duel entre Whitney et Mariah pour s’en convaincre) et où les paroles ne se cantonnaient pas à un quelconque « comportement ».
Et quelles interprètes !
Vecteurs de déceptions amoureuses et de spiritualité pour seule bouée, ces cantatrices modernes électrisaient d’une seule note un public médusé.
Ames sensibles ? S’évanouir.
Si ces Divas étaient servies en apéritif, Whitney Houston serait un gin-tonic, Céline Dion un whisky-Coca, Mariah Carey un rhum arrangé, Brandy…bah, un brandy…et tous les alcools forts réunis pour leur grand-mère Billy Holiday.
Reconnaissables entre toutes dès les premières mesures, ces tessitures vocales d’exception inscrivirent en lettres de feu la bande-son des Années Clinton.
A présent, addict et monomaniaque, c’est dans un rythme frénétique que je compulse « Daydream », « Emotions », « Butterfly » ou « Rainbow » afin de déchiffrer l’indéchiffrable : qu’est ce qui, en 2021, me séduit autant chez cette Macroona ?
Sa plastique avantageuse ? Non. Ses poses langoureuses ? Non plus.
La vérité se situe ailleurs, cher Mulder.
Ses ventes de disques astronomiques ? Sa science du tube instantané ? Ses mélanges rap/pop parfois hasardeux et ses compositions bulldozer ? Ses slows mi- Foxy Brown mi- West Coast on the beach? Ou ses pochettes Sainte Nitouche chez Marc Dorcel (il dure vraiment plus longtemps)?
Toujours pas.
Mon attirance n’évolue pas en terrain musical mais en terrain miné.
Avançons à tétons.
La Miss Mod est un fantasme évident. Correspondante allemande des années lycée ou Belle des Chants. Culotte arc-en-ciel ou robe cintrée. Prima Donna Summer.
La Miss mise sur son capital et en joue.
Feu!
Mais sous ces œillades intempestives et calibrées pointe une aura quasi-mystique. Une connexion avec Dieu.
Loin de nos projections mentales et sensuelles, son pouvoir se concrétise, à « proprement parler », derrière un micro sans filtre.
Et tutoie-le Très Haut.

A pas mesuré, j’aime Mariah pour sa part d' »insaisissable » qui nous échappe. Lorsque sa voix se casse et dérape. Sa part du Diable. Son inaccessible étoile.Comment formuler précisément mes propos ?En un seul morceau et une seule reprise.
« Against All Odds ».

Là où, en 1984, Phil Collins brisait des cœurs d’une voix métallique et sans affect, Mariah Carey transmute la bande originale de « Contre toute attente » en déluge d’émotions.
Certains crieraient à l’adaptation putassière ou à la démonstration de force. La redite. »Elle nous a déjà fait le coup de la reprise sans surprise avec « Without You »!Quand, en 1993, cette dernière s’appliquait à reproduire fidèlement Harry Nilsson, l’artiste (accomplie) secoue, sept ans plus tard, l’ex-leader de Genesis et pousse ses wagons jusqu’au précipice (and love).

Démonstration.
Cela commence comme une confidence. Le feulement se veut confiant, rassurant. Puis le refrain déboule et la « power ballad » prend des allures de montgolfière. Up & Go!Plus rien n’arrêtera l’envol d’une chanteuse esseulée par une trop dure rupture. Larmes de sang et, à 2 minutes 30, Compteur à 200.
Nous la jugions batave ? Elle te balance 5 octaves avec emphase.
L’âme en bandoulière.
Céline Dion te chassait à coups de talons? « Le Mirage » t’accueille à bras ouverts.
Soul chaleureuse.
RnB & B.Et sur la foi d’un seul morceau, remettre les compteurs rythm and blues à zéro.

Révélation.Mariah est une ensorceleuse. Une Madone qui s’adonne à la Magie Noire.  Elle s’improvise, à l’envie, Chronos et me ramène à une époque où je sirotais un bourbon avec mon Grand -Tonton dans son Salon.
Aujourd’hui, je crie.
Mariah! Mariah!
Ivre, sous ton balcon et ton décolleté pigeonnant.
Je danse sur les pavés détrempés.Haletant.
Envoute-moi ! Inverse-moi !
Peuple mes nuits agitées et susurre moi une dernière fois :
 » Baby, I put a gospel on you. »

John Book.