“A Dark, Dark Man” d’Adilkhan Yerzhanov. Steppes by Steppes.

Dans le genre thriller surréaliste, voici une étonnante surprise qui nous vient de loin ! Découvert en 2014 au Festival de Cannes pour “The Owners” puis acclamé en 2018 pour sa “Tendre indifférence du Monde”, le kazakh Adilkhan Yerzhanov remet le couvert avec une œuvre, une fois encore, stupéfiante de splendeur.
Ce qui nous saisit, dès les premières minutes de ce “A Dark, Dark Man”, c’est la beauté plastique et la réalisation au millimètre dont fait preuve ce jeune réalisateur. Tandis que certains movie maker outre-Atlantique s’emparent des polars avec l’allégresse d’un bulldozer (gunfights, jolie blonde écervelée au saut du lit, sidekick buté, gunfights, explosions dans la jolie maison, enquête épileptique, dealer au grand cœur, polar dollar, blablabla…), notre poète esthète campe son histoire de corruption dans des plaines sauvages et opte pour un cinémascope généreux.
Il y a, incontestablement, un rappel à la période “films noirs” de Kurosawa et plus particulièrement à ” Entre le Ciel et l’Enfer” dans cette quête désabusée…tant la composition des plans semble calquée sur le Maitre ! Point de détails racoleurs. Point d’éléments visant à exciter un public avide de sensations fortes. Elégance ou ultime politesse du désespoir, le réalisateur essaime un humour “pince sans rire” digne de Takeshi Kitano ( “Sonatine”) ou de Johnny To (“The Mission”) afin de rendre soutenable une noirceur omniprésente.
Enfin, c’est avec une extrême minutie que Mr Yerzhanov filme ses acteurs à grands renforts de lent travelling avant.


Un habile hameçon- qui n’aurait pas dépareiller dans la mécanique Kubrick- afin de nous inciter à faire corps avec la structure narrative… ou pas. Deviner ce qui se trame derrière ces silences butés et ces décors désolés sans avoir le sentiment d’être pris en otage. Ausculter les personnages, leurs traits et leurs réactions.
Prendre une respiration au sein d’un champ désertique ou d’une usine abandonnée.
Partager la connivence de deux protagonistes aux convictions opposées. Y déceler un semblant de séduction.
Prendre du recul.
Mais, surtout, s’accrocher à une intrigue- avançant par “ricochets”- dont l’issue s’annonce chaotique.

Story:
Bekzat, sorte de Johnny Cash poisseux à la violence contenue, subit plus qu’il ne vit. Son supérieur hiérarchique multiplie les délits et les petits arrangements comme on lance une insulte : sans se soucier des dommages collatéraux. Quatre ans. Quatre meurtres. Quatre profils “type”. Aucune piste. La police désigne, donc, des coupables idéaux afin de mieux noyer l’affaire et contenter les malfrats avec lesquels elle collabore. Justice sous le tapis.
In fine, c’est sous les traits d’une correspondante tenace que ces petits arrangements avec les Morts se dévoileront, en dépit d’une Mafia locale offensive et d’un cadre oppressant.
Vous attendiez l’arrestation du Mal incarné ? Une résolution spectaculaire à la “Seven” de David Fincher ? Yerzhanov mise sur le crépusculaire “Memories of Murder” de Bong Joon Ho.
Ou le “Léviathan” d’Andreï Zviaguintsev.
Tendance taudis.

Ici, le véritable coupable est démasqué par un enfant, le criminel désigné fait office de bouffon (à savoir révélateur d’une vérité sous des dehors fantasques) , les mercenaires ont des allures de Golgoths et la sexy Lady semble s’extirper d’un brûlot de Sidney Lumet.
Notre flic bougon, campé avec décontraction par Daniar Alshinov, se débattra, donc, entre une police locale vérolée par la corruption, un clan omniprésent, un fou et une “fouille-merde”… tout en sauvant constamment sa peau et celle de son “candide”.
Cette dernière investigation révèlera en lui – par touches successives- des trésors d’empathie insoupçonnés.Ou comment passer de la passivité nonchalante à la prise de conscience volontaire.Step by step.
Palier après palier.Et la réappropriation de sa propre Humanité.In extremis.

Mais là où “La femme des steppes, le flic et l’oeuf” de Wang Guanan versait dans le film policier contemplatif à caractère social, notre kazakh se tend.
Final brutal.
Son barbouze surnage dans les magouilles et fait le ménage jusqu’à saturation. Tuer ou se faire tuer. To be or not to be.Corps ensanglantés. Règlement de comptes. Western moderne.
En signant cette rédemption salvatrice dans une encre de sang, notre Mike Hammer (amer ?) flingue à tout va dans l’espoir d’un pardon tardif.Figure christique, ses péchés sont trop nombreux pour être rachetés.Qu’importe.Le mutique Bekzat fera parler la poudre jusqu’à plus soif.
Martyr ? Il va sans dire.

Dieu que ce long-métrage vous électrise.
Lancinant comme un tango argentin. Séduisant comme un doux refrain.Percutant comme un coup de surin.
Aucun temps mort. Aucun ennui ressenti. Objet de fascination total.
“A Dark, Dark Man” est, certainement, projeté près de chez vous…N’hésitez plus!
L’avenir du Cinéma se situe, certainement, dans un ailleurs moins formaté.Entre la Chine et la Russie.Loin de nos contrées.
Mais, assurément, dans votre quartier.Dans une salle obscure.
Très obscure.
John Book.