« The Farewell ». Little China Girl

Selon la tradition chinoise, si un membre d’une famille est jugé « en fin de vie » par le corps médical, cette même famille cachera à l’intéressé son état de santé.  La vie poursuivra ainsi, son chemin sans que le « malade » ne subisse les dégâts moraux à l’annonce de cette terrible nouvelle.
Nai Nai, grand-mère touchée par un cancer dont elle ignore l’existence et mère d’une fratrie morcelée (l’une séjournant au Japon, l’autre à New-York) se voit,donc, subitement entourée de ses enfants et petits enfants le temps d’un mariage, prétexte à d’ultimes retrouvailles…
Pour son deuxième film, Lulu Wang, femme de lettres et réalisatrice comblée (son long-métrage a explosé le box-office américain dans les salles indépendantes) s’inspire de sa vie et nous bouleverse durablement.

Comment évoquer l’ironie de l’existence suite à la perte d’un être aimé? Le non-sens absolu d’un quotidien qui reprend ses droits face à l’absurdité d’une perte irrémédiable? Comment envisager un « après » quand le présent s’effrite et vous glisse entre les doigts? Au détour de quelques plans fugitifs mais habités (un homme avachi dans un couloir, une femme perdue dans son smartphone, un métro qui s’enfuit, une séance de gymnastique en pleine rue,…), la réalisatrice touche à l’impalpable et l’irréparable sans jamais nous perdre.Mieux elle convoque l’Universel par petites touches et fait entrer la Poésie dans les interstices d’un destin somme toute banal.

A l’image de ce petit moineau égaré dans une chambre, la Mort s’est invitée sans être désirée.Billy Wang, jeune trentenaire écartelée et mordue de la Big Apple, est le nœud de ce fil narratif ténu . Épaules rentrées, dos voûté et regard frondeur (incarnée à la perfection par la rappeuse Awkwafina) cette apatride dans l’âme ne peut se résoudre à perdre sa grand-mère, encore moins à la laisser dans une ignorance meurtrière. De retour in extremis au « bercail » asiatique sans l’assentiment de ses parents, la « petite fille » retrouve, alors, son interlocutrice privilégiée. Silence. Les regards se croisent, le sourire se force et les sentiments passés refluent à la surface des souvenirs. Vivre et laisser mourir. Questionnée au détour d’un gargantuesque repas (et ils sont nombreux dans ce long-métrage!) quant à sa préférence pour tel ou tel patrie d’origine ou d’adoption, cette dernière hurle intérieurement son désespoir face à une famille-et une société- pétrie de coutumes et de jalousie.C’est avec une infinie tendresse que l’auteur(e) de « Posthumous » dépeint cette Chine vérolée et envieuse au gré d’un travelling. Bâtisses dégradées et similaires, rues vidées de leurs habitants, banlieues lointaines. Ailleurs ou le champ des possibles. Et ce nouvel Eldorado outre atlantique et japonais effraie autant qu’il séduit. Les parents de Billy ( Tzi Ma et Diana Lin, parfaits) en sont la quintessence. Couple naturalisé américain, celui-ci ne parle plus la langue d’origine et ne possède plus, depuis 25 ans, les us ni la culture. Bringuebalé d’hôtels en restaurants par une infatigable couvée,Mr et Mme Wang  aspirent à retrouver leurs marques tout en se calant-bon gré mal gré- sur cet adieu programmé. Présents et absents.

Réalisé avec tact, bénéficiant d’une direction d’acteurs notable ( Zhao Shuzhen impressionne en babouchka despotique) et alternant scènes de liesse et tristesse abyssale, « L’Adieu » bénéficie d’une bande-son parfois un peu trop démonstrative… allant à l’encontre de cette délicate retenue. Mais tire incontestablement vers le haut le cinéma populaire et exigeant.
Film américain qui n’en est pas un, à l’apparente simplicité mais brassant des thèmes aussi profonds que l’immigration ou l’intégration, « The Farewell » séduit, nous questionne et nous retourne dans un plan final de toute beauté.

John Book.