« Swallow ». C’est ça oui c’est ça dit-elle. Avale me disais-je.

Une robe taillée sur mesure. Un environnement où rien ne dépasse. Décoration parfaite. Piscine sur la véranda et vue impeccable. Hunter est une femme au foyer qui nourrit son existence dans l’entretien de sa maison et les « desiderata » de son fortuné mari. A l’annonce de sa grossesse, la belle famille de notre « héroïne en boite » va s’évertuer à la glisser dans le moule des conventions et de la « Upper Class ». Hunter, pour toute défense, développera une maladie nommée PICA et ingèrera différents objets non comestibles.Pour son premier film, Carlo Mirabella-Davis frappe très très fort. Porté par des critiques dithyrambiques, ( chroniqueurs de Positif, vous êtes ma lanterne magique dans la Nuit) et un excellent « bouche à oreille », ce long-métrage nous égratigne durablement et nous sort immédiatement de notre zone de confort.A savoir le fauteuil moelleux d’une salle de cinéma. Impossible de rester de marbre devant cette spirale auto-destructrice qui prend sa source dans un trauma ancien. Impossible de prendre la distance nécessaire ou de faire preuve d’analyse clinique sans frémir face à ce déluge de violence charnelle en terrain domestique. Hunter, petite Barbie dévouée et perdue, étouffe. Et bouffe.Dans une récente interview, le réalisateur citait Cronenberg, Lynch, Kubrick et Douglas Sirk comme références absolues pour son cauchemar en terrain minant. Et comment! Dès les premières minutes, nous voyons la suave Haley Bennett s’affairer à ranger son salon et à remplir le vide d’une vie bien rangée. Aucune échappatoire dans cette maison de poupée où le décorum oscille entre contemporanéité et âme fifties. Le piège est tendu. Nos nerfs aussi. A cet instant précis m’est revenu à l’esprit le très beau « The Hours »  de Stephen Daldry. Laura Brown (incarnée par la sublime Julianne Moore), en pleine dépression, jette un gâteau d’anniversaire parfait aux ordures, le jugeant raté, et se remet aux fourneaux. TOC irrépressible. La pendule tourne en rond. Le temps fait du sur place. Autre souvenir de cinéphile, « Loin du Paradis  » de Todd Haynes ( autre hommage à l’immense Douglas Sirk) où cette même Julianne Moore succombait au charme de son jardinier « de couleur » et brisait, ainsi, toutes les conventions sociales de l’époque. Le constat est similaire pour Hunter, guerrière en dedans, qui trouve dans l’absorption d’éléments inédits une porte de sortie. Les références sont, ainsi, nombreuses dans « Swallow »: ici, un rappel à l’attrait sado- masochiste entrevu dans « CRASH », là une réalisation millimétrée que n’aurait pas renier le réalisateur de « Shinning ». Ailleurs, un quotidien saupoudré de fantastique digne d’une oreille trouvée dans un jardin. La chair et le sang pour seuls exutoires.
Mais cette pulsion prend une toute autre tournure et un virage surprenant lorsque le chef monteur et scénariste américain dévoile l’origine sordide de cette compulsion. Et le film de prendre un élan surprenant aux confins de l’analyse freudienne. Un véritable tour de force proche du funambulisme tant cet équilibre nouveau (deux films en un) ne se fourvoie jamais dans le drame social de bas-étage ou le propos raccoleur.Enfin, je me dois de saluer la distribution étincelante de cette production risquée, franco-américaine et indépendante. Haley Bennett (vue dans le jouissif « The Hole » du grand Joe Dante, dans l’hédoniste « Kaboom » de Gregg Araki ou plus récemment dans « La Fille du Train » de Tate Taylor) se révèle être une actrice d’exception à l’érotisme prégnant. Son incarnation de cette femme au foyer (folle à lier?) belle et rebelle est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de l’acting made in Sundance. Surprenante de bout en bout dans le contrôle ou la sauvagerie, cette « second couteau » trouve, enfin, le rôle qui convenait à sa démesure.
Dérangeant, intelligent et parfaitement maitrisé, ce long-métrage original vous laisse un goût métallique dans la bouche et vous tord les boyaux tout en faisant appel à votre réflexion.

Punaise, quel film!
John Book.