“PREY” de Dan Trachtenberg. La Belle et la Bête.

L’idée de donner un nouvel épisode à “Predator” situé bien avant le premier opus de John Mc Tiernan avait de quoi surprendre. Quoi ? La firme aux lourdes esgourdes, le renard du 20ème siècle dans le placard, prendrait-elle un risque démesuré ? Insérer dans son programme familial un jeu de la Mort interdit aux moins de 16 ans via sa sous plateforme “STAR” légitimerait un goût pour le danger. Certes. Nouvelle image. Background identique. Ou peuplera-t-elle dans la jungle équatoriale des chasseurs d’une autre galaxie et l’ours Baloo ? Versera-t-elle dans le concept éculé d’un prequel corseté ? Grands moyens pour petit écran ou le signe d’une production paresseuse et sans envergure ? Disney “peluche” ? Bref, une suite sans les idées ?
Et bien, mes ami(e)s, il n’en est rien.
Au risque de me faire déchiqueter par une horde de fans hardcore, ce “PREY” s’impose dès les premières images, comme le meilleur épisode de la franchise. Dan Trachtenberg, réalisateur du surprenant ” 10 Cloverfield Lane, se remémore les atouts majeurs de sa précédente saillie et parie sur le climat plus que sur l’action. Ainsi, nous verrons les us et coutumes d’une tribu de comanches en 1719 en proie à la mutation d’une société anthropophage et non une glissade ininterrompue d’effets spéciaux dans l’espace. La chasse est ouverte, certes, mais elle prend son temps pour s’installer et placer ses pièges. Petit à petit, la mécanique de la peur graisse ses jointures puis s’enraye pour laisser place, in fine, à un affrontement inéluctable.
Canevas classique, me diriez-vous ? “Maman, j’ai raté l’avion” chez les Indiens ? La revanche d’un être fragile face à la monstruosité qui l’entoure ? L’intelligence versus la brutalité ? Un peu ? Pas tant que cela. C’est avec un soin particulier pour les détails que le réalisateur américain dresse le tableau sans fard d’une nature superbe mais exsangue, à l’image de celles et ceux qui lui vouent un culte. Ce jeu du gros chat et de la petite souris (encore elle) sert de toile de fond à une critique virulente autrement plus sauvage.
La naissance, dans la douleur, de plusieurs Nations.
Et, comme dans tout bon film d’horreur qui se respecte, le fond importe toujours bien d’avantage que la forme.
Invasion, pillage, viol, marchandage, les futurs USA sont des terrains fertiles où leurs autochtones se substituent à de la chair de bison.
L’Amérique, je veux l’avoir et je l’aurai…
Le Prédator, symbole de la bêtise des Hommes et de l’absurdité de la Guerre ? Pamphlet pour la réhabilitation de la population indienne, de ses droits et de son héritage?
Ne nous trompons pas sur la “marchandise”. Disney surfe depuis belle lurette sur l’inclusion et le “vivre-ensemble” tendance united colors of Benetton.
S’emparer d’une problématique socio-politique comme un motif sérieux à un blockbuster a de quoi faire grincer des dents tant cette “légitimité” sent le gadget à plein nez.
Et lorsque le post-générique dédie ce long-métrage aux comanches, ce mélange douteux grosse machine/main sur le cœur ne passe pas.
Disney, chantre du rapprochement entre les nations : la bonne blague.
Nous prendrons, donc, cet alibi de départ pour ce qu’il est. Un cadre scénaristique habile pour un divertissement de haute volée.
Le choix des acteurs est pour beaucoup dans cette réussite cinématographique et Amber Midthunder campe avec force une héroïne qui n’est pas sans rappeler Ripley dans la quadrilogie “Alien”.
Le reste de la distribution est à l’unisson et je donne immédiatement une statuette dorée (ou des croquettes, c’est selon) au chien qui accompagne Naru dans son rite initiatique.
La réalisation mélange, avec dextérité, contemplation et précipitation et la fluidité des mouvements de caméra s’encanaille avec une photographie des plus envoutantes.
Enfin, ce “PREY” n’oublie pas de percuter nos nerfs dans sa seconde partie et offre des moments de pure folie…que je ne dévoilerai pas.
Incontestablement plus maitrisé que “Predator 2” et “Predators” dans sa ligne scénaristique et nettement plus culotté dans son approche formelle (Terence Malick, sors de ce corps !), “Prey” est le rêve poisseux et bucolique d’un amoureux de la saga.
Punk et sexy comme le dernier album de Suede, plus franc du collier que “Le téléphone de Mr Harrigan” entrevue dernièrement sur une autre plateforme et moins chiant que “Rodéo”, subi récemment dans une salle obscure, ce choc fantastique est une des grandes surprises de 2022.
Ne loupez pas ce rendez-vous avec le Diable.
Même s’il porte une culotte rouge, sifflote à bord d’un train et truste l’essentiel des productions du paysage cinématographique outre atlantique.

John Book.