Nos vies en parallèle, le nouvel opus de CHASSEUR, avatar derrière lequel se cache Gaël Desbois, apporte une nouvelle œuvre discographique qui avance à pas feutrés et nous marque profondément. C’est un album délicat, tout en nuance et retenue, une tension sous la peau, un précipice intérieur que l’on contemple sans chute, mais avec vertige.
CHASSEUR plonge dans ce territoire fragile où les liens se font et se défont en silence. Il ne parle pas de grandes ruptures, mais de fissures invisibles, de ces déplacements infimes qui font dériver les sentiments vers un horizon incertain. C’est une poésie discrète, qui s’exprime ici avec une justesse bouleversante. L’écriture de Gaël Desbois est d’une finesse parfaite : sobre, tranchante, dépouillée d’artifices mais chargée de sens. Chaque mot semble choisi pour sa capacité à laisser une trace, à faire résonner en nous nos propres absences, nos propres glissements.
Musicalement, Nos vies en parallèle est une œuvre de tension maîtrisée. Le piano y claque comme une porte qu’on ne referme jamais tout à fait. Les percussions, sèches, appellent le corps sans jamais l’enfermer dans la danse. Les synthétiseurs, eux, étirent le temps, dessinent une ligne d’horizon trouble, où rien n’est jamais stable. L’esthétique oscille entre modernité nue et réminiscences d’une mélancolie plus ancienne : on y entend dans les textes des échos d’Alain Bashung et de Dominique A avec cette élégance brumeuse qu’il explore depuis Crimson King, son 1er album sous le nom de CHASSEUR. Il y a aussi la rugosité électro dramatique d’Alan Vega, les saillies sonores dansantes de Depeche Mode et cette délicatesse charnelle, presque mystique, que l’on pourrait associer à Mark Lanegan.
CHASSEUR transforme, et surtout invente. Il forge un langage sonore intimiste, où la violence reste contenue, tapie dans l’ombre, sous la surface. L’album avance sans effet, sans grandiloquence, porté par une production millimétrée qui sait quand se taire et quand surgir. Chaque morceau semble répondre à l’autre, comme des monologues qui s’ignorent mais que la douleur relie.
Ce que CHASSEUR donne à entendre ici, c’est moins une suite de chansons qu’un parcours émotionnel. On traverse les paysages arides du manque, les clairs-obscurs du désir d’être ensemble, malgré les éclats, malgré les silences. Il y a dans cette œuvre une beauté étrange : celle de la résistance, celle des liens qu’on choisit de ne pas rompre même lorsqu’ils vacillent. On sort de l’écoute un peu secoué, les nerfs à vif, mais étrangement apaisé. Comme si, dans ce miroir tendu, quelque chose avait été reconnu, nommé, réparé.
Nos vies en parallèle est une œuvre exigeante, certes, mais c’est là sa force. Elle ne cède rien à la facilité. Elle exige une écoute entière, une présence. Et elle la récompense par une profondeur rare, une intensité discrète mais inoubliable. Un disque à habiter, à revisiter, à porter longtemps en soi.
Musique
Photo de couv. Emmanuelle Margarita