Quatuor parisien en pleine ascension, Lulu Van Trapp a sorti l’an dernier un album très attendu, Lovecity. Alors que deux dates vont, vendredi 9 et samedi 10 mai prochain au Point Ephémère à Paris, clôturer la tournée, retour avec Rebecca et ses musiciens sur une année à la recherche du succès.
Formé en 2017, le groupe Lulu Van Trapp réunit autour de Rébecca, chanteuse expansive, trois musiciens expérimentés : Maxime à la guitare et au chant, Nico, aux machines et à la batterie, et Manu à la basse. Un premier album entraînant « I’m Not Here To Save The World » a donné le ton, et permis au groupe de s’affirmer sur de nombreuses scènes en France surtout, mais aussi un peu à l’étranger. Cela les a mis en orbite pour un été 2021 explosif dans les plus grands festivals français. La suite était attendue avec impatience, avec le sentiment de tenir là l’un des futurs fers de lance du rock français, au sens large. Las, l’album Lovecity, sorti en 2024, n’a pas réussi, malgré ses 13 morceaux et plusieurs potentiels tubes rock en français ou en anglais, à passer la barrière du mainstream. Un constat partagé sans aigreur par le quatuor rencontré un bel après-midi de mars dans leur nouveau fief du 18e arrondissement de Paris, le Point Éphémère. Ils y donneront deux concerts torrides, les 9 et 10 mai prochains, histoire de tourner définitivement la page et donc de commencer une nouvelle histoire cette fois plus en phase avec leurs envies.
Lulu Van Trapp, votre album s’appelle Lovecity, mais il est plutôt question, à travers les paroles, d’amour vache ?
Max : c’est l’amour salope même !
Rébecca : cet album a été très irrigué par rapport à la ville et la relation d’amour/haine que nous avons avec elle. Pour Max, c’était comme une copine toxique que tu ne peux pas quitter, vers qui tu te retournes à chaque fois. C’est un peu ça, Paris est une ville tellement inspirante, aussi à travers la communauté que nous y avons, mais aussi avec sa manière d’être au centre de tous les mouvements. Tout a été centré autour de cela, de cette relation-là, de la manière dont elle nous fucked up (Ndr : modifie.), et de celle, nous avons créée aussi.
Pour lancer l’album, vous avez fait une tournée Lovecity à travers l’Europe. Il n’y a donc pas que Paris ?
Max : cela peut être où tu veux. Chacun a sa Lovecity, nous, c’est Paris, mais pour les Romains, c’est Rome ! Après, nous avons fait cela sans autorisation, car sinon nous n’aurions pas pu jouer. C’est le principe du concert sauvage. Nous avons eu de la chance avec notre dégaine de petit couple mignon et bien blanc. Cela s’est toujours bien passé même si nous nous sommes fait arrêter deux fois par la police sans que cela ne soit méchant, en Espagne et dans le sud de l’Italie.
Manu : Nous avons perdu beaucoup de points de vie, mais c’était marrant. Nous avons fait 6 ou 7 villes sur un rythme rock’n’roll, en restant à chaque fois un jour et demi sur place et en faisant des concerts sauvages sans savoir trop comment cela va se passer.
Votre hygiène de vie vous a permis de tenir ?
Nico : nous avons fêté les concerts finis !
Rébecca : c’était vraiment un acte performatif. Cela nous a ouvert quelques portes à Londres, en Espagne et aussi à Berlin où nous nous sommes retrouvés tous les quatre pour faire un concert génial dans un lieu trop trop trop bien désormais fermé. Cela nous a surtout permis de planter des graines pour nous redonner l’envie de faire nos concerts d’une façon plus directe, avec une nouvelle dynamique de tour dans laquelle nous serons plus artisans, dans des endroits plus petits mais plus réels que dans des salles froides avec des gens qui ont payé une blinde. Un vrai bon tour, c’est un mélange de festivals, de grosses salles et de petits lieux.
L’album débute par National Honey (She Loves Violence). Cela donne le ton ?
Rébecca : cette chanson, c’est un peu un cri de ralliement. Quand tu ne grandis que dans un univers violent, est-ce que, finalement, ton rapport à l’amour lui-même n’est pas forgé dans la violence ? Comme la violence t’as faite, tu ne sais que recréer cette dynamique-là.
D’autres morceaux abordent ce thème. Par exemple, L’enfer avec toi ou bien sûr L’amour et la bagarre. Ces deux titres sont là encore très explicites, vous n’êtes pas complètement à contre-courant de la bien-pensance actuelle et est-ce que cela ne vous a pas plombé au bout du compte ?
Rébecca : oui et non, car la bien-pensance n’est pas notre sujet lorsqu’on essaie de faire de l’art. Nous transportons davantage de la bienveillance, des messages d’amour, de soi et des autres. Après, lorsque tu es dans un monde violent, le représenter et l’interroger, c’est très intéressant même si parfois il y a un blocage à ce niveau-là. Comme si être le miroir de la violence faisait de toi quelqu’un de violent. Il s’agit d’interroger la violence et de la canaliser. De l’exorciser quelque part.

Dans L’amour et la bagarre, c’est très clair, vous vous foutez sur la gueule. Il y a des clips avec des images très expressives, des corps abîmés de partout alors que taper sur une femme est devenu le crime le plus abject de notre société. On a l’impression que vous remettez cela juste à un rapport haine/love ?
Rébecca : dans le clip de L’amour et la bagarre, au-delà du choc des images, tu te rends compte que c’est un clip sur le consentement et le pouvoir de se réapproprier la violence. Le personnage féminin initie énormément cette violence et s’en régale aussi. C’est un clip sur ce que nous apprend le consentement. C’est une sorte de Fight-club, pour externaliser la violence subie de toutes parts, pour retrouver un safe-space, pour pouvoir se mettre sur la tronche entre amis, voire amoureux, car nous avons éclaté la frontière entre amour et amitié. Et si tu reparles des féminicides, tu ne dis jamais qu’une femme s’est bagarré, car là, tu ne subis pas la bagarre, tu communiques dans une dialectique violente. Le clip a en plus une vision profondément empathique. Il montre à chaque fois le visage de la personne qui reçoit les coups et à quel point elle jouit de cette violence profondément consentie. C’est à la limite du SM, une forme d’expression sexuelle qui met le consentement au centre de tout.
Les crédits montrent qu’Émilie Mazoyer, une animatrice de Radio France, a participé à l’écriture des paroles de cette chanson ?
Rébecca : elle n’a pas participé à l’écriture du morceau, mais nous a beaucoup accompagnés et promu. Elle a trouvé une bonne punch line et notre producteur a trouvé cool de la créditer. C’est une partenaire, elle nous suit depuis le début.
Max : c’est elle qui a dit en premier que Lulu Van Trapp, c’était à la fois L’amour et la bagarre.
On attendait beaucoup de cet album, et finalement, il n’a pas, je trouve, eu le retentissement qu’il aurait dû avoir…
Manu : on est d’accord. La musique, aujourd’hui, marche avec des partenaires et si tu n’as pas un tube ou un truc comme ça, c’est compliqué d’exister aux yeux du monde et des médias.
Il vous a manqué quoi ?
Nico : de la promotion.
Rébecca : il n’y a pas de formules magiques et nous avons une image de groupe très indé. Cet album nous a apporté beaucoup, il nous a fait exister plus, nous a permis de continuer, mais nous ne sommes pas sur l’autoroute, plutôt sur les nationales. Il y a des circonvolutions, des arrêts. Nous avons mis tout notre cœur et notre énergie dans cet album. Après, il y a des paramètres qui ne dépendent pas de nous. Il est aussi arrivé à un moment où l’industrie voulait peut-être mettre en avant des choses plus légères et moins clivantes. Nous avons essayé de faire exister cet album dans un circuit qui ne lui était peut-être pas destiné. Nous aurions décidé de prendre un virage beaucoup plus indépendant, nous aurions sans doute eu beaucoup plus d’impact. Ce disque très pop, nous avons essayé de le faire exister dans une partie du business plus mainstream et il s’est heurté au fait qu’il n’est pas mainstream du tout. Dans cet entre-deux, il n’y a, en France, pas beaucoup de trajectoires possibles. Pourtant, nous avions un gros tourneur, W Spectacle, mais nous avons cette acceptation qu’une carrière, ce n’est pas tout droit. Et puis l’industrie est en déconnexion totale avec ce que veut le public, la réalité des personnes qui font l’art et celles et ceux qui la reçoivent.

Vous voulez dire quoi à travers le titre Pornbooth ? Dénoncer les sites genre Only fans ?
Rébecca : c’est plutôt pour les mettre à l’honneur ! Cette chanson est très légère, c’est un dialogue entre un gars derrière son écran et une meuf de Only fans. Il a développé une espèce de romanisation de sa relation avec elle, comme si c’était un peu son seul espoir dans ce monde. Il est obsédé par elle alors qu’elle ne sait même pas qui il est. Elle parle de son combat à elle, de sa relation dans cette vie, lui est dans une chanson d’amour. C’est le clash entre ces deux trucs-là, cette espèce d’impasse entre ces deux trucs.
Il y a parfois un côté Nina Hagen dans ton chant ?
Rébecca : merci. C’est une grosse référence pour moi depuis très jeune.
Max : son côté glam avec ses tenues peut aussi être apparenté au groupe, je pense. Nous n’avons pas de tenues officielles, mais scène, nous avons ce côté spectacle à 300 %.
Deux dates sont calées au point FMR, votre lieu de répétition. Vous espérez encore relancer l’album ou vous commencez déjà à penser à la suite ?
Max : cela aurait pu durer dix ans mais …
Rébecca : c’est vrai, mais un album, c’est bizarre comme rapport temporel à ta musique. Nous avons commencé à travailler sur cet album en 2020, mais il n’est sorti qu’en 2024, soit 4 ans après. Nous sommes déjà dans une autre envie musicale.

Alors, c’est quoi la suite ?
Max : se faire plaisir avant tout. Sur ce deuxième album, on nous a un peu fait oublier la base, que la musique, c’était d’abord un kiff entre nous quatre.
Rébecca : nous avons fait des concessions et il a été fait d’une manière plus douloureuse que le premier.
Manu : on a joué le jeu.
Ce troisième album, vous allez donc le produire vous-même ?
Max : on n’en est pas là. Là, nous composons. Une poignée de chansons sont prête.
Rébecca : je travaille le chant et l’écriture, c’est très libérateur. Pour le moment, comme nous ne nous mettons aucune barrière ni condition, on ne peut pas trop s’avancer pour dire dans quel contexte, comment et avec qui l’album sera fait. Nous sommes actuellement dans un moment de pure création, et c’est cela qui fait que la création est stylée !
Cette création se fait au Point FMR. Pourquoi ce lieu ?
Rébecca : nous sommes ici depuis un an et demi. C’est devenu notre maison. Nous partageons un studio de répet avec un groupe de copains, Ménades, dans lequel Max fait de la guitare aussi.
Max : pour le second album, nous n’avions pas de studio pour répéter. Nous ne jouions jamais tous les quatre ensemble. On nous payait un studio pour répéter six heures et après, on partait en festival. C’est un autre état d’esprit. Là, on joue tout le temps, toutes les semaines. Et quand on ne répète pas, on est en train de créer.

Vous êtes tous intermittents du spectacle ?
Max : oui, cela nous permet de répéter 3 jours par semaine pendant 6 heures.
Changeons radicalement de sujet. Avez-vous une conscience politique, laquelle et vous servez-vous de la musique pour la mettre en avant ?
Rébecca : nous sommes tous très atteints par le monde autour de nous, et politisés. Dans la musique aussi. Nous sommes là dans un truc où tout se réaligne. L’idéal serait d’être dans une zone où il n’y a pas besoin d’être politique afin de rester dans un art sensuel d’expression d’émotions. Car il y a tant de choses qui ne sont pas politiques qui nous traversent, même si tous nos destins sont façonnés par la politique. Nous allons avec ce troisième album à venir réaligner ce geste politique qui existe à l’intérieur des chansons avec la façon de les sortir. C’est se diriger vers une plus grande indépendance, vers des choses plus combatives et défiantes face à une industrie qui finalement n’en a rien à foutre de tout cela.
Manu : le fait d’être passé, entre guillemets, par ces eaux troubles nous a aussi vachement rassemblés. C’est dans l’adversité que tu trouves tes vrais amis. Pour nous quatre, le fait de créer de la musique ensemble est plus important que de passer en radio. Notre singularité est d’être en bloc et de rassembler des gens.
Patrick Auffret

Lulu Van Trapp sera en concert les vendredi 9 et samedi 10 mai prochain au Point Ephémère à Paris.
https://dice.fm/bundles/lulu-van-trapp–friends–adqd
Site du groupe : https://www.luluvantrapp.com/