PORTRAIT DE PHOTOGRAPHE : PASCALE LIMAROLA

L’attente entre le sujet et le photographe est l’un des aspects les plus complexes de la photographie et encore plus lorsqu’il s’agit de photo de concert. En fonction de ce que l’artiste veut exprimer sur scène et ce que veut faire ressortir le photographe il doit adopter une attitude qui reflètera l’énergie, l’âme et l’attitude de son sujet. La photographe Pascale Limarola l’a bien compris, et elle arrive à mettre en exergue cette personnalité essentielle, cash et sans faux effets esthétiques, en un fragment de seconde avec une qualité d’image bluffante. Elle pointe également l’objectif de son appareil sur des visages du cercle intime pour des portraits qui devient le prétexte à fixer l’émotion et le sens caché qu’elle chérie. Rigoureuse, autant dans la technique que dans l’approche elle travaille pourtant dans le plaisir premier d’un art toujours savoureux. Nous lui avons posé des questions sur l’origine de sa passion, ses techniques, et plein d’autres choses. Alors pour la découvrir en plein jour c’est par ici…


Comment et à quel âge est venue la passion de la photographie ?
Un peu par hasard bien que j’ai toujours été attirée par la représentation des gens et des choses. Mon grand-père était peintre. Je suis donc « tombée dans l’image » très tôt. Il réalisait des portraits qui me fascinaient. Au lycée, j’ai eu la chance de faire de l’argentique et du développement avec une bande de fous-fous qui m’a beaucoup appris. Nous nous tirions le portrait mutuellement et nous sommes beaucoup amusés. Je n’étais pas attirée par le paysage et ça n’a pas changé même si j’aime ce genre photographique chez certains, Ansel Adams par exemple.

Je suis vraiment arrivée à la photo à l’âge adulte, par la musique. J’ai eu envie d’offrir aux artistes un souvenir de leur concert et de m’en faire le cadeau par la même occasion. Pensée très ambitieuse à mes débuts… je m’en suis vite rendue compte ! C’est un domaine très formateur au plan technique et je pense, l’école la plus dure, particulièrement lorsque la salle est petite et mal éclairée. J’ai souffert mille maux et jeté pas mal de photos… Le grand bénéfice, c’est que ça m’a poussée à apprendre encore et encore. J’ai passé des heures dans les livres et tutos vidéos avant d’être à peu près satisfaite de mes photos et je me suis « ruinée » en achats de places de concert avant de me sentir prête à demander un pass photo. J’aurais aimé bénéficier d’un œil bienveillant et aguerri sur mon travail mais je ne connaissais pas les photographes d’événementiels rennais. Je suis un électron libre et je pense qu’il est difficile de se faufiler dans ce milieu lorsque l’on voit le nombre de talents photographiques rennais qui tiennent le haut du pavé dans le domaine. J’ai beaucoup regardé et admiré leur travail. Cela a été un bon moteur et une belle source d’apprentissage. J’aime beaucoup, par exemple, les photos de Bruno Bamdé, de Gaëlle Evenin, de Titouan Massé, et de Gwendal Le Flem, avec qui j’ai eu le plaisir d’échanger sur un concert, pour ne citer qu’eux. J’apprécie particulièrement le travail de Yann Cabello, un photographe de concerts auvergnat dont j’ai découvert les photos il y a quelques années.

Qui étaient tes références à l’époque (si tu en avais déjà) ?
Mes références de 16 à 18 ans étaient « les grands incontournables de la photographie » : Cartier-Bresson, Doisneau, Lartigue, Helmut Newton, Willy Ronis et le portraitiste, Jean-Marie Perrier. J’étais bien incapable de me lancer dans la photo de rue à cette période, ce que j’ai fait plus tard. Je trouvais confortable de ne pas prendre de risque et de m’en tenir au noir et blanc. Ma retenue et mon manque de confiance en moi constituaient un frein à cet âge. Il m’a fallu beaucoup de temps pour oser aborder les gens dans leur quotidien et leur proposer de les photographier. Ca n’est d’ailleurs pas totalement encore gagné, même lorsque j’ai l’occasion de photographier des artistes. Hugh Coltman est, par exemple, quelqu’un de très abordable mais je n’ai pas été capable de lui demander de poser pour moi alors que nous avons fait un brin de causette après le concert !

Et avec quel « Matos » as tu commencé ?
Celui de mon père, un bas de gamme argentique et mono-objectif dont j’ai totalement oublié la marque.

Est-ce ton activité principale ?
Non. Je n’ai pas dit pour autant mon dernier mot là-dessus car la « double activité » me paraît maintenant être une bonne idée. J’y réfléchis donc. La photographie de mariage ne me tentant pas, je préfère m’orienter vers la photographie de famille « lifestyle » et le portrait. J’aime beaucoup pratiquer la nature morte « fine art ». J’ai vraiment découvert durant le 1er confinement que mettre en scène des objets en ayant construit sa propre lumière était plus intéressant que je ne l’aurais cru. J’ai reçu des encouragement à vendre ces photos alors pourquoi pas. Je fais également beaucoup de photos de personnes handicapées mentales car c’est le domaine dans lequel je travaille. Cela m’amène à être un peu créative dans le choix de mes prises de vue car on ne photographie pas une personne autiste, par exemple, dans les mêmes conditions qu’une autre.

Pourrais tu me dire ta séance photos la plus insolite ?
Je la cherche encore. Je crois que je vais devoir la provoquer et j’ai quelques idées là-dessus.

La séance photos la plus chaotique ?
Au Mondo Bizarro, lors d’un concert de death metal. J’ai pu faire 3 photos dans ma soirée vu que les agités du bocal formant le public étaient vraiment peu cool. Parvenir à déclencher sans avoir le crâne d’un gars du public dans mon viseur a viré à « mission impossible ». Inutile d’imaginer bouger un orteil dans la salle ce soir-là. J’ai réussi à faire un portrait intéressant malgré tout, le visage de ce musicien étant la seule zone que j’avais à portée d’objectif à ce moment-là ! J’en rigole maintenant mais je suis sortie de la salle assez frustrée.

Ta plus grande fierté ?
Je ne sais pas si fierté est le mot. Je dirais plutôt enthousiasme et sentiment d’utilité. Il y a eu différents moments où j’ai ressenti ça, en faisant le portrait de mes fils ou encore lorsque j’ai vu l’émotion et le plaisir dans les yeux de parents âgés regardant une photo de leur « enfant » profondément handicapé (enfant devenu adulte). Il avait un petit air de vainqueur en fixant mon objectif et c’était, une expression qu’ils n’avaient pas l’habitude de lire sur son visage. Il semblait avoir trouvé l’apaisement alors même qu’il était en proie à beaucoup de douleurs physiques et à une vie psychique compliquée à ce moment de sa vie.

Grand moment aussi lorsque les larmes sont venues aux yeux d’un jeune d’Institut Médico Educatif qui se trouvait beau sur sa photo et qui m’en a remercié mille fois. Ce cliché était destinée à être diffusé au public et il était très touché de représenter son établissement à cette occasion. Il a pensé à la fierté que ses parents éprouveraient et ça l’a mis en joie (moi aussi !). Il se baladait partout dans l’établissement en la montrant aux copains.

Un autre moment de grand plaisir a été de voir mes photos choisies par un jeune groupe rennais pour illustrer leur premier EP. La suite a été plus épique… il y a eu une erreur de crédit photo au moment de l’impression du livret et c’est le nom d’un autre photographe qui figure en bonne place sous chacun de mes clichés ! Assez surprenant et déstabilisant.

Ton plus grand rêve serait de photographier qui ?
Pas sûre d’avoir de réponse précise à cette question parce qu’il y a beaucoup de gens que j’aimerais photographier. Si on m’en donnait la possibilité, je crois que ça m’amuserait de photographier des gens connus dans des situations « à contre-emploi» de ce qu’on connaît d’eux. Explorer une forme de taquinerie photographique avec eux me plairait bien. Robert de Niro épluchant des patates dans une cuisine en formica ? (laissez-moi fantasmer…). Ca doit être l’influence d’ Eliott Erwit, dont j’aime énormément le travail, modèle de générosité en matière d’humour dans ses photos.

En règle générale, j’aime les « gueules » chez les hommes. Je les trouve bien plus intéressantes à photographier que la beauté lisse sur laquelle tout le monde s’accorde. L’occasion m’a été donnée de photographier un « vieil » acteur rennais qui voulait actualiser son book. Il a un visage qu’on ne croise pas tous les jours, buriné à souhait alors question contrastes, j’étais servie.

Qu’est-ce qui te plaît dans cet Art ?
L’émotion et l’enthousiasme qu’il me procure, le travail qu’il me demande pour progresser (je suis une éternelle apprentie), les rencontres qu’il me permet de faire (encore pas assez à mon goût d’ailleurs) et m’avoir donné l’opportunité de développer mon sens de l’observation. J’aime aussi les challenges techniques auxquels je suis confrontée en concert, et ceux que je me créé en studio. J’aime sortir d’un concert chargée d’énergie et impatiente de passer au développement de mes photos. Ça n’a d’ailleurs pas que des avantages quand tu travailles le lendemain… je suis incapable de laisser les photos sur la carte mémoire sans les avoir transférées sur mon logiciel pour les trier avant d’aller me coucher. Ayant une préférence marquée pour les concerts où ça bouge, ça implique plus de photos que là où ça ne remue pas beaucoup.

Qui sont les photographes contemporains dont tu apprécies le travail ?
F. C. Gundlach, Irvin Pen, Richard Averdon, George Hoyningen Huene, Thomas Laisne, Erb Ritts, Albert Watson, Julia Hetta, Charlotte Abramow, Justine Tjallinks, Maarten Schröder, Norman Jean Roy et bien d’autres.


Ton actualité du moment, et tes projets ?
La reprise des concerts me mobilise pas mal. Je mature un projet de portrait « studio » avec décors pour lequel je me disperse un peu. L’excès d’idées me fait partir dans plusieurs directions et j’ai du mal à me fixer. Le projet risque se conjuguer au pluriel…

Portfolio de Pascale : https://pascaleenaparte0059.myportfolio.com/
Flickr de Pascale : https://www.flickr.com/photos/189222010@N08/albums