« Paris Blues » de Martin Ritt. Paris, tu m’as pris dans tes bras.

Y’aura t-il de la neige à Noël ? Aucun flocon à l’horizon et aucune projection. Perdu, face à une salle de cinéma close, ce sont les mains levées vers le ciel et les lèvres frémissantes que mes prières s’élèvent. Souhaits cinéphiliques à l’adresse de Santa Claus: Y’aura t’il de bons films programmés en cette fin d’Année ? Devrons-nous encore longtemps patienter avant de découvrir le dernier Wes Anderson? Quelle date définitive de sortie pour « Top Gun Maverick« ?  Face à ces interrogations légitimes, une seule solution : la redécouverte de classiques méconnus, calé dans son canapé et une tasse de café à proximité. Je n’attendais rien de ce « Paris Blues« , adapté d’un roman d’Harold Flender,  si ce n’est le plaisir de retrouver deux grands acteurs Américains dans une cité fantasmée et dont le charme suranné (l’action se déroulant en 1961 à Montmartre) emportera fatalement mon adhésion. Imaginez plutôt : Paul Newman et Sydney Poitier dans le rôle de deux amis jazzmen échoués sur Paris! Deux monstres sacrés fatalement amenés à se rencontrer, l’un et l’autre œuvrant de longue date et en privé pour la défense des droits civiques américains. A la réalisation ? Martin Ritt, cinéaste partageant avec ses deux protagonistes le même engagement politique, les mêmes valeurs et futur détenteur d’Oscars. La trame ? Deux Américaines, l’une noire l’autre blanche, font escale à la Gare Saint-Lazare et s’adonnent à une passion dévorante dans les bras d’un tromboniste et d’un saxophoniste. Ram Bowen- chien fou dans l’attente d’un contrat avec un label- ne peut se résigner à rejoindre les USA auprès de la pétillante Lillian et Eddie Cook, amoureux fou de la superbe Collie, refuse de retrouver sa vie outre-Atlantique où la couleur de sa peau posera toujours problème.

Ici, Paris est montré comme un havre de Paix et de tolérance où la pigmentation importe moins que le talent. Où il est bon de se promener sur les Quais sans la moindre réprobation, le moindre racisme. En ce sens, le film précède « Rue des Cascades » de Maurice Delbez sorti en 1964 (et adapté d’un roman de Robert Sabatier) de par ses vertus humanistes. Même tolérance et même tendresse prononcée pour ses personnages. Même combat sous-jacent. Même ode à la différence et au rapprochement des cultures.

Deux films précurseurs et novateurs qui ne connaitront malheureusement pas un succès similaire.
Mais revenons à Martin Ritt. C’est avec élégance et clairvoyance que le futur réalisateur de « Norma Rae » dépeint les hauts quartiers de peine de la cité. Chez Ritt (de passage), les années 60 ne sont pas synonymes de ferveur yé-yé ou de toile de fond pastel mais d’addiction à la drogue et à la chair. La vie de Bohème se décline dans des appartements où les corps se frôlent et la musique tutoie les abimes. Le personnage de Michel Duvigne, joué à la perfection par Serge Reggiani, en est la parfaite incarnation. Dans le 18ème arrondissement, romance rime avec déchéance.

« Paris Blues », film documentaire ?
Pas loin.
Une liberté de jeu étonnante traverse ce long-métrage et l’on sent constamment les legs de La Nouvelle Vague.
Nous partageons l’intimité de cette clique sans aucun filtre. Sans aucune distance.

Ça gueule. Ça fume. Ça boit. Ça se chicane sous les Gitanes.
Ici, la rigueur le dispute à l’improvisation. La Classe Américaine fricote avec l’indolence européenne.
Paul Newman, rebelle aux yeux azurés, illumine l’écran dans ce rôle d’écorché vif en lutte contre lui-même. Joanne Woodwars (son épouse à la ville) lui donne le change avec beaucoup d’aisance et leur couple offre une liberté de ton fort réjouissante. A contrario, le couple Sydney Poitier-Diahann Carroll semble corseté. Et pour cause. Eperdument « in love » lors de ce tournage, nos deux tourtereaux ont dû (dis) simuler leur attraction (désastre) et composer avec le contrat de mariage du principal intéressé. Leur partition n’en est que plus déchirante.

Enfin, Louis Armstrong joue les avatars et mentors avec espièglerie, s’offre un « bœuf » d’anthologie avec nos anti-héros et concentre dans un seul souffle toutes leurs joies et leurs peines. Communion des corps et des esprits. Duels cosmiques et orgasmiques. Lorsque Satchmo, ange exalté, exhale, les corps exultent.
Certains reprocheront à « Paris Blues » d’esquisser un peu trop légèrement la ségrégation et l’exil de nos deux apatrides volontaires. D’autres y verront une image d’Épinal- tournée dans les studios de Boulogne- au service d’un scénario « déjà-vu ».
« Luke la main froide » dans la chaleur de la Nuit » ? « Paris Blues » film tiède ?
Pour ma part, je fus absolument séduit et charmé par la complémentarité de ces deux interprètes inscrits dans mon Panthéon (il faut revoir de toute urgence « Les Sentiers de la Perdition » de Sam Mendes ou « Devine qui vient dîner ? » de Stanley Kramer pour s’en convaincre une fois de plus)… quitte à perdre parfois en objectivité!
En cette période confinée et glaciaire, ce long-métrage s’avère, donc, salutaire.
Léger et fougueux comme un baiser volé, cette déclaration d’Amour à notre capitale vous fera fondre.
Assurément.
On parie ?

John Book.