» NO DANCING ! «

1998. Année de rupture et saut dans l’inconnu new yorkais. Une ville qui va permettre à Gilles Le Guen de se remettre en mouvement et de multiplier les rencontres qui lui ouvriront des portes et guideront son parcours personnel. Car dans la vie, rien n’est fixé, le destin n’existe pas. Il devient DJ à l’orée d’un nouveau siècle, un peu par méprise. ‘’Je n’étais surtout pas venu à New York pour faire de la musique. Je ne voyais simplement pas comment je pourrais être pertinent, là, dans cette ville-musique ! Mais j’ai été rattrapé par ma passion musicale et me suis retrouvé DJ à NYC au bout d’un mois…  Pas par fascination pour les fumigènes et pour faire danser les filles’’.

‘’Trois semaines après mon arrivée à New York, je n’avais plus une thune en poche. Il m’a donc fallu trouver un job en dépit de mon niveau d’anglais… catastrophique !’’

‘’On me recommande de passer voir un nouveau lieu pour bosser dans la restauration comme serveur, Lot 61, situé dans West Chelsea (au 550 W. 21st St., entre la 10th et 11th avenue près de West Side Highway), un ancien garage poids lourds transformé en restaurant / lounge / club / lieu événementiel, incorporant des œuvres d’art de grands artistes tels que comme Damien Hirst et Rudolph Stingel dans un décor intérieur futuro-glam’’.

La rencontre avec la patronne du lieu, un ancien mannequin, Amy Sacco (NDLR : qui deviendra plus tard la reine de la nuit à New York) est assez savoureuse pour être conté ici :

‘’Elle me demande ce que je faisais en France ?’’

‘’J’étais animateur de radio’’.

‘’Ah !? Tu es DJ ?

‘’Non ! Je passais des disques dans une radio, je parlais au micro’’.

‘’C’est pareil ! Tu es DJ ! J’ai besoin de quelqu’un pour animer le warm-up des soirées, entre 18 et 21h. Reviens demain après-midi pour un essai, tu vas mixer pour le staff pendant le set-up !’’.

‘’On était en pleine période musique électronique techno/house/drum’n’bass à ce moment-là, avec le cliché du DJ, looké, vêtements colorés et lunettes de soleil à 3 heures du mat’, qui scratchaient… Inutile de dire que je n’étais pas vraiment dans ce trip-là !’’

‘’J’ai pris la vingtaine de cds venus avec moi de France. Du Massive Attack, Everything But The Girl, Mono, Kirk Degiorgio, de l’electronica downtempo, Motorbass, de la French Touch, du label SourcelabEt je retire mes presque 100 derniers dollars pour investir dans des compils pour avoir plus d’artistes, comme Café del Mar Music du début, de l’electronica afro-brazilian, les Blue Break Beats, rééditions du légendaire label Blue Note Records, compils de titres originaux des géants du jazz funky, dont Herbie Hancock, Donald Byrd, Lou Donaldson, Grant Green et Gene Harris, samplés et remixés par Kanye West, Eminem, Public Enemy, Beastie Boys, A Tribe Called Quest, Common, Pete Rock, Gang Starr, Ice-T, The Chemical Brothers, Wu-Tang Clan, Tricky, Bloodhound Gang, The Pharcyde, De La Soul, Madlib, Guru et… Madonna !’’

‘’Je mixe cette fin de journée-là devant le staff et le management. Amy Sacco est enthousiasmée. Elle ne cesse de dire quand elle passe près de ma cabine : ‘’Nice, nice… ’’.. Je passais un Talking Heads, elle lâchait un ‘’ I loooove David ! ’’. Puis un définitif : ‘’ Reviens demain. On parlera d’argent ! ’’. Je m’étais renseigné entretemps sur les tarifs pour ce genre de DJ set, auprès de mon roommate, un wanabee DJ, qui m’avait dit qu’à 100$ le set, c’était génial. Le lendemain, Amy me dit : ‘’Tu travailles du mercredi au samedi. 150$ par soirée, est ce que c’est ok ? J’ai fait celui qui hésitait un instant et… j’ai accepté ! Pas grand-chose mais mon loyer était payé en moins d’une semaine, quatre soirs, douze heures. Au contraire, j’avais trop de temps pour dépenser mon argent et acheter des vinyles ! C’était un problème!!?!’’.

‘’Pas mal de people venaient là. Naomi CampbellJack Nicholson (il était partout, lui !)… La finance manhattanienne … J’y ai mixé pour des grosses soirées de la Chase Bank, Japan Airlines… Vu un soir hyper-busy le designer Helmut Lang obligé de partager le lieu avec Depeche Mode qui fêtait le final de trois soirs à Madison Square Garden. Et surtout mixé pour le 49ème anniversaire de Anna Wintour, la rédactrice en chef de Vogue US. C’était surréel. J’arrivais de Trebeurden où je faisais suer tout le monde avec ma musique. Et là, on m’accueille et on me paye pour la passer !!?! Il ne fallait juste surtout pas faire danser les gens. Ces lounges n’ont pas la « license to dance ». La Ville de NYC ne blague pas avec ça. « NO DANCING ! » me rappelait Amy régulièrement. Je faisais donc de belles bandes-son … des tapisseries sonores… J’avais compris ça. Lounge Music avait tout son sens à New York !’’.

‘’Pour mon loisir personnel, j’allais déjà voir pas mal de concerts : LTJ Bukem, un des pionniers du drum and bass, ou Smith & Mighty et 4 Hero que j’adorais. Le soir d’Halloween 98, Tom Tom Club jouait Midtown, au club Tramps. Un très bon moment. Approcher le mythe Talking Heads dans un petit club new yorkais ! Un nuit folle le soir de Halloween à NYC. En rentrant à pied à mon appart dans East Village, je tombe au détour de la 2nd avenue & 13th street, sur des gars avec des instruments, qui jouent dans la rue !!! Ils sortaient du Nightingale Lounge, un dive-bar réputé. Je ré-entre avec eux. Et là, derrière le bar, je vois une affiche ‘’The Fleshtones’’. Plus tard, Keith Streng, le guitariste, qui faisait des petits boulots de « Man+Van », m’aidera à déménager deux fois dans Brooklyn !!! On causera de Rennes, de la salle de la Cité, de Jean-Louis Brossard et de l’époisses …  Sa passion : le fromage français !?! Dans son van sur le Brooklyn Queens Express !’’.

‘’Après le Lot 61, j’ai vendu pas mal de bandes musicales pour des restaurants et boutiques du Meat Packing District (non loin de Chelsea), qui changeait de vocation … de quartier de prostitution masculine et clubs interlopes (j’ai mixé au mythique Mother !) à boutiques de mode. Puis le filon s’est épuisé. Je suis donc parti travailler dans la restauration comme serveur Upper East Side et bartender dans East Village, sur avenue A, face à Tompkins Square’’.

Alechinsky.