MARQUIS DE SADE, FLAMBOYANT ET STELLAIRE

Après un silence de 36 longues années et un dernier concert à Maubeuge en juin 1981, le groupe rennais Marquis de Sade est revenu sur la scène du Liberté à Rennes le 16 septembre pour un concert unique. Un set d’1h45, flamboyant et magnétique.

Le Phénix était un fabuleux oiseau légendaire, au plumage splendide et aux couleurs éclatantes, rattaché au culte du Soleil. Vénéré dans l’ancienne Egypte, il était doué d’une grande longévité et capable de renaître après s’être consumé dans les flammes.

L’analogie est peut-être osée mais elle s’applique en tous points au groupe Marquis de Sade, dont la courte carrière, de 1977 à 1981, aura façonné sa légende et son mythe, ne laissant aux moins de 60 ans ne les ayant jamais vu sur scène, que des images d’archives et deux albums réussis, ‘’Dantzig Twist’’ (‘’Dantzig to East ?’’) (1979), essence même de ce qu’était Marquis de Sade dans cette période post-punk, et ‘’Rue de Siam’’ (1981), plus léché et moins hermétique.

Marquis de Sade se sera consumé dès 1980, au moment de l’enregistrement de ‘’Rue de Siam’’, suite aux divergences de choix artistiques entre les deux frontmen Philippe Pascal et Frank Darcel, le premier souhaitant travailler avec Martin Hannett (producteur de Joy Division) alors que le second avait un tropisme pour Steve Nye (Brian Ferry, XTC, Japan).

Mais permettez-moi ici avant de poursuivre, de répondre aux tristes Baverez du rock, déclinologues patentés, sur deux points entendus dans les travées qui m’agacent fortement, et sur un troisième en forme de mise au point :

  1. Sur les egos de Philippe Pascal et Frank Darcel : imaginez-vous entraîneur d’une équipe de football… Vous avez l’alternative d’un duo Neymar-Cavani, pourvoyeurs de passes décisives et scoreurs à chaque match ou d’un piètre duo aux pieds carrés dont les tirs sont au moins aussi approximatifs qu’un tir de missiles de Kim Jong-il ? Quel serait votre choix ?
  2. Le son de la salle de La Liberté n’est pas au top ? A moins d’être un ingé son ou un amateur éclairé féru d’acoustique, la remarque est bien insignifiante au regard du moment de grâce offert pour un soir par les ‘’(sept) européens en costumes électriques’’… Mon conseil : concentrez-vous sur le visuel ou le kinesthésique (il vous suffit de regarder Philippe Pascal). En cas de désagrément auditif insupportable et récidivant, contactez la mairie de Rennes.
  3. Non, Marquis de Sade n’a jamais été le ‘’Joy Division’’ français, Pascal et Darcel n’ayant écouté les Mancuniens que bien après la parution de ‘’Dantzig Twist’’… Quand on pense que cette comparaison est dûe au grand Phil Man

Sujets évacués.

En ce samedi 16 septembre 2017, les membres du groupe, éblouissants et solaires dans leurs costumes sombres, se sont régénérés devant la ‘’fosse aux cheveux gris’’, toute acquise à leur cause, qui ne balancera pas de cannettes de bière ce soir comme ce fut le cas lors d’un concert à la salle de la Cité le 14 janvier 1978 dans le cadre du festival de la Scène Ouverte …

Les lumières s’éteignent lorsque retentit ‘’Lamentatio’’, la première partie de l’oratorio Dies iræ (‘’Jour de colère’’) de Krzysztof Penderecki, avec des images de méduses filaires sur l’écran géant en fond de scène.

Médusés… c’est aussi ce que nous serons bientôt nous-mêmes.

Puis le ‘’noyau dur’’, présent sur les deux albums, apparaît soudainement dans la pénombre : Philippe Pascal au chant, Frank Darcel à la guitare, Thierry Alexandre à la basse et Eric Morinière à la batterie. Xavier ‘’Tox’’ Geronimi (guitare) et Paul Dechaume (clavier, Les Vilars) les accompagnent.

Dès les premières notes de ‘’Set in Motion’’, l’évidence me saute aux yeux.

Marquis de Sade tient en son sein deux personnalités fortes, singulières et sûrement complexes, qui ont façonné le son rennais, expression plus significative à mon sens que l’évasive ‘’new-wave à la française’’.

Marquis de Sade, c’est la voix de Philippe Pascal qui se mesure à l’aune des compositions de Frank Darcel. Comme d’autres duos parfaits : David Bowie et Mick Ronson à l’ère du glam-rock, Morrissey et Johnny Marr au sein des Smiths. A l’aune mais jamais tout seuls.

Philippe Pascal, faciès émacié, dégage l’indéfinissable et le rare, entre magnétisme et animalité. Sa gestuelle saccadée de pantin désarticulé, tant de fois visionnée sur des images d’archives, n’appartient qu’à lui, façonnée par l’iconographie expressionniste. Il capte la lumière sur son costume noir.

Acteur, il aurait été l’immense Laurent Terzieff, au visage acéré, taillé et tendu. Modèle, il aurait été celui d’Egon Schiele. Il a été celui de Tonio Marinescu dont le trait est d’une justesse infinie.

Frank Darcel, plus en retrait et moins expressif, dégage néanmoins une sérénité permanente. Concentré, il est la force tranquille à l’unisson de son comparse.

Le répertoire n’a pas été joué pendant 35 ans mais les titres, qu’ils ont dû se réapproprier, n’ont pas vieilli. ‘’C’est sur scène que Marquis de Sade agissait et s’engageait, c’était notre raison d’être’’ rappelait récemment Pascal dans une interview. On le mesure pleinement ce soir.

L’image froide, sérieuse, sinistre et torturée de Marquis de Sade à la fin des 70’s n’a plus cours en cet instant. Philippe Pascal sourit, on le sent heureux d’être là, on sent son plaisir à chaque instant. Le jeune homme autrefois en colère, écorché vif, dont les textes traduisaient une vraie rage, s’est adouci. Il vient au-devant de la scène, applaudit le public. Il fait sienne la phrase d’André Breton, en sa Cité de Saint-Cirq-Lapopie : ‘’Quand je suis ici, je ne me désire pas ailleurs’’.

Daniel Paboeuf, ‘’l’invité permanent’’, arrive à la fin de la ballade ‘’Boys-Boys’’ pour un solo de sax tenor de 2’30’’. Un sax qui n’a rien d’inepte. Instant lyrique. On est suspendu à l’immense performance de ‘’Monsieur’’ Paboeuf, qui se prolongera tout au long de la soirée. Dominique A (présent ce soir mais si discret que rares sont ceux à l’avoir croisé) a dit un jour : ‘’Le son de Daniel Paboeuf est pour moi aussi emblématique de Rennes que les voix de Philippe Pascal ou d’Étienne Daho. Le son, toujours ce son. Cette voix, unique’’. Nul besoin d’en rajouter.

Xavier ‘’Tox’’ Géronimi, guitariste aux multiples collaborations artistiques – Daho, Bashung, Daniel Darc, Indochine, Françoise Hardy, Bill Pritchard, Alan Stivell, Denez Prigent, les frères Guichen… – apporte une caution rock bienvenue dans cette configuration live.

Thierry Alexandre et Eric Morinière, plus en retrait sur la scène, sont des indispensables et les claviers de Paul Dechaume (habituellement inexistants sur les albums de Marquis de Sade), sont une belle et heureuse idée.

Les ‘’anciens’’ – Sergeï Papail (Fracture), Pierre Thomas (Marc Seberg) et Christian ‘’Rocky’’Dargelos (Les Nus), tous deux co-fondateurs de Marquis de Sade avec Frank Darcel, sont conviés sur le cover ‘’White Light White Heat’’ du Velvet Underground. Les regards de tous se croisent, complices. Tous ceux-là n’ont rien perdu de leur énergie, l’âge n’y pouvant rien. Ils sont rock, définitivement.

‘’Walls’’ et le superbe ‘’Conrad Veidt’’ (Daniel Paboeuf revient pour le H bomb twist) sont donnés pour le premier rappel.

Le groupe revient pour un deuxième et dernier rappel avec ‘’Henry’’ et une magistrale reprise de ‘’Hero’’ du groupe de krautrock Neu ! qui clôt définitivement le set, avant que Philippe Pascal nous donne rendez-vous ‘’dans 40 ans’’.

Je termine de lire la mythologie du Phénix… Oiseau de feu, animal noble et sacré, dont la perfection est telle, qu’il n’en existe qu’un seul. Il n’a aucun congénère, ni descendant. Il est très indépendant et ne se laissera jamais apprivoiser. Dans tous les cas et toutes les contrées, cette créature est le symbole de la résurrection et de l’immortalité…

En tous points vous disais-je, en tous points…

Alechinsky.

Crédit photos N&B : ©Karine Baudot. Journaliste et photographe à Rennes. Le noir et blanc est son univers. Son travail porte sur le contraste, la lumière et le reflet. Elle a su plus que tout autre capter le moment et l’émotion du concert. Ici, nous sommes heureux de mettre en avant son formidable travail. Contact : https://www.facebook.com/karine.baudot. Avec l’aimable autorisation de l’Imprimerie Nocturne, webzine culturel rennais.http://imprimerienocturne.com/