Blackout et printemps du cinéma en Bretagne. La très belle salle numéro 4 du Vauban est plongée dans un noir absolu et le film commence. Ecran mat. A l’instar de l’ouverture de « Lawrence d’Arabie« , aucune image ne transpire. Seul le son d’une masse percutant un mur nous parvient depuis les enceintes latérales. Puis, subrepticement, des stries de lumières dessinent une curieuse configuration géométrique. D’immenses pierres sont délogées pour, enfin, laisser place à deux silhouettes dominant une arrière salle mystérieuse. Ainsi se dévoile « Le secret de Khéops« . Ainsi débute le premier long-métrage truculent de Barbara Schulz, n’en déplaise à la critique globalement assassine. Une enquête archéologique trépidante loin des pyramides et au cœur de Paris ? Il faut oser. Reprendre le flambeau du film d’aventure là où l’avait laissé Philippe de Broca et son « Homme de Rio« , voici un projet des plus casse-gueule. Enfin, fantasmer un Fabrice Luchini en « Benjamin Gates » frenchy but chic, flânant vers les quais de Seine, écharpe au vent…Et pourtant !
Cet hommage gonflé à Hergé est des plus savoureux.
N’attendez pas de Barbara Schulz une maîtrise technique hors pair et des travelling insensés, des bourre-pif en pagaille et des cascades virevoltantes. Non, la grande (et unique) prétention de cette comédie familiale est d’ancrer le merveilleux dans un quotidien un tantinet désuet, quitte à emballer le tout dans un format standard et un scénario convenu. Le canevas est connu mais intrigue. Ainsi, le butin de Khéops se terrerait donc dans les tréfonds de la capitale et nul n’en aurait connaissance ? C’était sans compter sur Christian Robinson, homme fantasque, égyptologue renommé mais peu doué avec les affres de la paternité. Ajoutez à cela une fille rancunière, un gendre jaloux, un petit-fils nonchalant, des contrebandiers peu scrupuleux talonnés par le service des fraudes et vous obtiendrez un divertissement de qualité, bien loin des comédies graveleuses qui pullulent dans notre cher hexagone.
« Grand Budapest Hôtel« -« Le secret de Khéops« , même combat ? Oui, et même effort concernant un casting de premier choix.
Car l’interprète de « La discrète » y est pour beaucoup dans cette douce folie qui parcourt cet Escape-Game à ciel ouvert.
Dès les premiers plans, c’est un festival de joutes verbales, de bons mots et l’on songe à la marge de manœuvre démesurée qu’a dû imposer le trublion télévisuel à sa réalisatrice. Jeu en roue libre ? Non. Rodéo savamment orchestré. Victor Hugo, Johnny Hallyday, cris exaltés et réparties cinglantes, c’est un best-of Luchini non -stop. En très grande forme !
Il y a du Jack Lemmon et de la Commedia dell’arte dans cette maîtrise de jeu teintée d’élucubration. De l’élégance aussi. De la malice. Surtout.
Épaulé solidement par Christophe Turpin (dialoguiste et scénariste de « Jean Philippe » pour Laurent Tuel- film dont le concept de base fut plagié en 2019 par Danny Boyle et son paresseux « Yesterday« , je dis cela comme cela…), l’un de nos plus grands acteurs septuagénaires en activité donne tout. Ici, Mr Robinson tour à tour charme, séduit, agace, explose jusqu’ à un épilogue de toute beauté où, le visage enfin apaisé et bienveillant, Tournesol s’attarde enfin sur sa progéniture. Pour incarner cette dernière, et face au monstre sacré, Julia Piaton opte pour un jeu tout en réserve. Équilibre des forces, le duo, ainsi, pétarade et rappelle étrangement les grandes heures du binôme Philippe Noiret-Annie Girardot. So disco. So 70’s.
Le reste de la distribution (Camille Japy, Johann Dionnet, Jackie Berroyer, etc.…), elle, se cale à l’unisson face au maelstrom Luchini. Une fine équipe qui tutoie les quiproquos et s’ébroue dans un joyeux bordel sur fond de trafics patrimoniaux sans jamais nous lasser ? La prouesse est à souligner.
Enfin, quelle joie de retrouver sur grand écran le physique mutant de Sam Louwyck, acteur, danseur et chorégraphe belge, découvert en 1996 aux côtés de dEUS puis en 2003 dans le premier film de Tom Barman : « Any way the wind blows« !
Pour toutes ces raisons et plus encore (la B.O. d’Olivier Coursier -du groupe AaRON– est somptueuse), ne passez pas à côté de cette excellente surprise. Et si vous doutiez encore de la présence d’ »Indiana Jones » dans cette déclaration d’amour au « film de genre », sachez que celui-ci est nommé (« Ton père, un peu aventurier, toujours sexy »), cité (« sa place est dans un musée ») et évoqué (la blague sur la barre chocolatée « Raiders » !) trois fois. Rien que ça !
Tintinophiles ! Spielbergophiles ! Cinéphiles ! Amateurs de papys résistants à l’usure et de momies enfouies dans la sciure, hâtez-vous !
Cette friandise surannée risque de passer aux oubliettes, faute d’audience.
Optez pour le vintage, Nom de Zeus !
Et si vos pas vous mènent non loin de la Cinémathèque de Bercy, prenez un ticket pour la très belle exposition consacrée à Wes Anderson.
Paris. Texas.
L’aventure, c’est l’aventure.
John Book.