Mon attention première est captée par l’affiche, par cette association intrigante, l’ombre d’une femme chapeautée au second plan qui semble s’éloigner, comme évanescente, un homme qui patiente briquet en main au premier plan, l’air préoccupé, un flingue posé sur une table, la flamme du briquet comme unique source de lumière, et ce rose profond presque fuchsia. La composition de l’image attise ma curiosité, je la trouve sublime. Puis il y a le titre. Est-ce un lieu, une chanson, que vais-je découvrir ? Un film de flingues avec des oies roses ?
Le générique à peine commencé, je me sens déjà happée par les quelques notes de musique qui accompagnent l’ouverture de l’écran.
Et je plonge.
Les effets sonores tambourinent l’ouïe. On n’est pas là pour rigoler. Le son est d’une puissance à faire péter les enceintes. On entend la frénésie des trombes d’eau qui fracassent l’asphalte à tel point que l’on se croirait dessous, puis arrive un train qui produit lui aussi un boucan d’enfer, le ton est donné, on va en prendre plein les oreilles.
Premières images : une pluie soutenue, des lumières tamisées, brèves, saccadées pour accentuer les déplacements, puis elles se précisent, ouvrent sur un lieu, un homme, ce que l’on doit voir se dessine, une ombre se rapproche, une femme, le décor est planté : des bas-fonds, un sous-sol, un parking…
L’atmosphère est poisseuse, sale comme le temps, elle colle aux semelles, fait vibrer la rétine et gamberger l’intellect. L’ambiance est glauque, elle vous chope par le colbac et n’a pas l’intention de vous lâcher.
Les traits des deux protagonistes sont tendus, les regards graves se dérobent et le suspens s’installe. Les mots sont rares, les sous-entendus de rigueur, et les premiers flash-back arrivent. On retient sa respiration, le découpage du scénario s’affirme et nous voilà entraînés dans une sordide histoire de trafic de motos et de partage de territoires entre bandes rivales. Mais l’affaire tourne mal et un flic se fait froidement abattre par un des chefs de gang. S’ensuit une chasse à l’homme interminable jusqu’à l’épuisement. Il y a des « coups de pute », le mot n’est pas choisi par hasard, il a ici toute sa place, on ne sait plus qui fait équipe avec qui et qui se rebelle contre qui, la course poursuite devient haletante, sans relâche, impitoyable, on se perd dans des dédales de ruelles aussi sinistres les unes que les autres, on court à perdre haleine puis on reprend son souffle.
C’est long, c’est fatigant, la traque infernale n’en finit plus, des têtes explosent, des coups fusent à tout va, il y a du sang, c’est trash, plein de crasse, mais on se prend à ce mauvais jeu de mains, ce jeu de vilains et à l’excellent jeu du chat et de la souris parfaitement orchestré entre la prostituée et le tueur en cavale, et entre tous les protagonistes qui font l’histoire.
Et pour détendre l’atmosphère, on débarque en plein milieu d’un groupe de jeunes bien alignés, chaussés de baskets aux semelles fluorescentes et clignotantes, qui dansent un madison sur l’air de Rasputin de Boney M (oui oui), c’est grotesque, j’ai ri tant le contraste est décalé. Puis tous les danseurs se dispersent, conscients que le fuyard vient de leur passer sous le nez. On ne perçoit plus que les lumières clignotantes des semelles des baskets et c’est tellement drôle…
Bref, c’est un vrai bon polar noir, hyperactif, ça dépote, ça fonce, ça bastonne.
Enfin, la maîtrise des effets sonores est d’une précision incontestable, la lumière est subtilement dosée, la photographie splendide et le jeu des acteurs est excellent.
Conclusion : en un mot comme en cent, courez-y !
Diao YINAN est un scénariste, acteur, réalisateur chinois. On a pu le voir cette année dans le très bon film de Jia Zhangke : Les Éternels. Il a également réalisé l’excellent Black Coal en 2014, entre autres.
Lolo Patchouli.
Pour habiller ce film, j’ai choisi « Born to be wild » de Steppenwolf.