[Interview] Jeanne BONJOUR – Interview 44e Trans Musicales

Avec sa voix douce et forte presque androgyne et ses chansons pleines de sentiments chancelants, la jeune rennaise, Jeanne Bonjour, dévoilait il y a quelque mois un premier EP intitulé « 13 ans ». Oscillant entre chanson pop et rap, elle nous prend par la main et nous entraîne dans un univers bien à elle. Et autant dire que son univers est vaste, ses références et ses influences balayant un large spectre étincelant, alternant réalisme, romantisme et mélancolie. Toujours dans une sincérité prégnante, les morceaux chantés sont des petits bijoux d’émotions où Jeanne prouve qu’elle est une des artistes programmés au 44e Trans Musicales qu’il faut suivre de prêt. Et sur scène je n’ai pas été déçu. La jeune chanteuse déploie une vitalité généreuse aussi impressionnante que convaincante qu’elle nous chante une reprise ou bien un de ses morceaux les plus intimes. Une très belle découverte …
Celle qui a déjà ouvert pour Benjamin Biolay, nous a donné rendez-vous quelques heures après son concert à l’étage, à l’espace presse des Trans Musicales pour notre dernière interview du festival. Avec une simplicité et une bonne humeur contagieuse, je découvre une artiste à la tête froide et aux idées bouillonnantes où elle revient sur ses premières réalisations, ses projets, son univers et n’oublie pas de parler des passions qui l’anime.

Comment définirais-tu l’ADN de ta musique ?
C’est une grande inspiration de chansons. Le grand leitmotiv de mes chansons c’est le texte, les mots. Et après, comment les mettre en musique dans des sonorités pop ou électro. Mais surtout mettre en valeur le texte, l’histoire, car il y a un côté théâtral.

Quand on écoute tes textes, on sent qu’il y a des sources d’inspiration assez fortes, notamment sur le romantisme et une certaine forme de mélancolie aussi. Où vas-tu chercher ces sources ?
Comme j’ai fait du théâtre, on m’a toujours poussée à m’instruire, à aller voir plein de spectacles, plein de concerts, etc. Donc mes inspirations sont vraiment multiples, et justement pas que musicales, c’est ça qui m’aide aussi. Du coup plein de formes différentes de parler d’un même sujet. Là, mes derniers morceaux tournent beaucoup autour de l’amour, avant c’était sur un traumatisme. Je marche beaucoup par chapitres, donc au final c’est comme un livre.
Il y a plein d’inspirations différentes : je peux parler d’un sujet avec légèreté, donc ça va plutôt être de la satire, de l’auto-dérision, d’autres fois ça va être dans l’intime…

Comment procèdes-tu pour trouver le fil conducteur qui te mène de l’écriture à la musique, tout en gardant cette spontanéité qui te caractérise ?
Je sais que la musique, c’est là où je me plais le plus, c’est très spontané, c’est devenu limite logique pour moi! Dès que j’ai envie de me confier, de parler de quelque chose, je passe par la musique. J’ai vraiment commencé par l’écriture avec le rap comme source d’inspiration, je pense que c’est une forme très moderne de la poésie.  J’étais à fond dedans au collège, j’écrivais 6 pages recto-verso et j’essayais de les caler sur un morceau. C’était pas simple… Ensuite j’ai commencé progressivement à réduire, en me disant que l’exercice de la chanson était aussi très intéressant et inspirant !
Je procède toujours de la même façon, j’écris en premier et ensuite je me mets au piano. C’est assez intime à chaque fois. Par exemple, le dernier morceau que je joue sur scène « Série B », qui était assez kitsch au départ, je l’ai écrit comme un slow, c’était tout doux. Même si parfois j’en rigole, ça part toujours d’un truc très important à mes yeux.  « Série B » au départ, c’était horrible et quand je l’ai réécouté, je me suis dit que c’était hyper kitsch, ça faisait VRAIMENT série B, c’est pour ça qu’au final il y a une sorte d’auto-dérision, une prise de recul.



Tu as fait aussi du théâtre, ça peut aller de soi, mais il y a de la sincérité aussi dans ton interprétation, qui se transmet beaucoup au public.
Alors ça, oui c’est hyper important pour moi ! J’ai parfois d’énormes doutes là-dessus. Je m’entraîne à faire plus des chansons : avant c’étaient plus des poèmes mis sur des instrus, et à un moment j’ai eu des doutes, je me suis dit que ça faisait peut-être trop « chanson populaire », pas assez sincère. Car pour moi c’est le leitmotiv : il faut que ce soit un vrai moment de partage. Si je sens que le public ne reçoit rien, et que moi je ne donne rien, c’est la pire des choses ! Je préfère qu’il y ait mille erreurs plutôt que rien, je préfère qu’on se plante, que ce soit la catastrophe, mais qu’il se soit passé quelque chose.
Aujourd’hui, on a tellement répété que ça a filé droit, mais en même temps j’étais vraiment contente de voir le public, il y avait un échange. Il y a des morceaux où j’ai envie de rire avec le public, mais il y a aussi des morceaux où j’ai envie de me confier. Il y a vraiment cette sincérité que j’essaye de mettre en avant, et j’espère que ça se ressent.

Tu as déjà joué sur de belles scènes, comme lorsque tu as fait la première partie de Benjamin Biolay : tu retrouves un équilibre dans l’énergie que tu donnes au public, comme aujourd’hui ?
Je me dis souvent que je suis contente, que je me retrouve bien dans le style que je fais. J’aime bien qu’il y ait des palettes de couleurs différentes et que les gens puissent voir plein d’ extraits de nous en fait ! De moi, de mes musiciens, de tous les regards qu’il y ait pu avoir sur les morceaux. Et du coup, oui, je le ressens vachement, et c’est quand je ne le ressens pas que c’est un peu dur, mais ce n’est quasiment jamais arrivé car je me bats pour ça ! Donc il y a toujours un retour, parfois il n’est pas toujours très bon mais ce n’est pas grave. Aujourd’hui, ça s’est plutôt bien passé !

Tu as déjà vécu des concerts où tu sentais que le « feeling » ne passait pas ?
C’était plutôt des moments où je n’étais pas d’accord avec ce que je faisais sur un instant T. C’est  arrivé rarement, mais à chaque fois il y avait quand même quelque chose. Par exemple, au Printemps de Bourges, c’ était assez mélancolique, même sur des morceaux assez joyeux, je voyais la fin de quelque chose, je disais au revoir à des anciens morceaux, mais ce n’était pas forcément quelque chose de négatif. C’était beau et intense aussi.  Je sais que je suis jeune, mais j’évolue vite et j’ai besoin de changement pour garder une stabilité. Il y a des gens autour de moi qui disent que je me cherche, mais en réalité, je pense que j’adore « switcher » et fonctionner par chapitres. Dans la musique c’est pas forcément simple de changer, c’est même parfois un peu violent, mais je vois ça comme des actes de pièces de théâtre, des esthétiques qui grandissent.



Justement il y a une vraie recherche esthétique dans ce que tu fais, notamment dans tes clips, mais aussi sur scène dans ta prestance. Est-ce quelque chose d’important pour toi ?
Oui, pour moi c’est hyper important. Je me considère sur scène comme une comédienne. Je suis aussi tres attachée aux costumes, j’en suis dingue ! (rire). Je suis même limite superstitieuse sur les bords… Par exemple aujourd’hui il avait un peu de vert dans mon costume de scène, et j’ai demandé à ma mangeuse si ce n’était pas grave (rire)…
Plus tard, j’aimerais bien être plus dans des expériences artistiques pluridisciplinaires:  jouer dans des films, j’ai déjà fait 6 ans de théâtre !

Même si ta carrière musicale est importante, si je comprends bien, tu ne veux pas te consacrer qu’à ça ?
Non, d’ailleurs j’ai des petits projets en cours. Je vais jouer dans des courts métrages, des films, etc… La musique et les images, je trouve ça hyper complémentaire. Il y a des morceaux que je n’envisage pas sans clip. Ce n’est pas juste pour accompagner une musique, c’est une sorte de suite : ça part de ma chambre et ça finit par un clip, et ça j’adore !

Mettre en image une chanson, la mettre en scène, dans une expression corporelle. Tu sens que ça va permettre d’augmenter la sensation de la chanson ?
Oui, plus il y a de regards sur un morceau, plus il vit. Des réalisateurs vont donner un regard auquel je n’aurais pas forcément pensé de prime abord, et c’est ça qui est intéressant.
Après il faut toujours rester fidèle à ce que l’on fait. Là j’ai fait un gros dossier de 6 pages sur un morceau, parce que je voulais pas partir sur mes intentions de base et analyser plus les choses. C’est très important de savoir ce que l’on veut dire. Par exemple, pour les Trans, je ne me sentais pas assez connectée aux textes, donc j’ai tout fait a cappella, dans ma chambre pour me ré imprégner des émotions de chaque chanson!

Tu t’auto-coaches en réalité ?
Pour les Trans, j’ai un peu trop regardé Star Academy (rires) !
Je m ‘étais fait un planning, j’ai fait du yoga 2 fois par semaine, du chant. En fait, j’ai eu la mononucléose en avril, ça m’a énormément fatiguée, du coup j’avais perdu de l’énergie. J’ai eu envie de m’y remettre à fond pour être bien sur scène. La scène c’est un vrai métier, c’est un truc vraiment physique. Quand j’étais en première partie de Benjamin Biolay, il m’avait dit qu’il fallait vraiment chanter tous les jours : » Ta voix est un instrument, il faut vraiment en jouer tous les jours ». Et depuis, j’essaie de le faire.
Comme je suis autodidacte, j’ai quelques lacunes, donc je m’y mets à fond. Aujourd’hui on a tellement été pressés, que je n’ai pas vraiment eu le temps de m’échauffer, mais grâce au sport, j’ai trouvé l’énergie pour faire le concert. Ça ne s’était jamais produit avant ! J’aurais toussé, j’aurais couru après ma voix !

 



Ton milieu familial t’a amenée aussi à la musique. Cela a été pour toi un moteur, ou cela a été un frein ?
C’est un vrai moteur ! Cela ne me dérange pas du tout de dire que ma mère (Sylvie Jourdan NDLR) est musicienne, parce qu’on n’est pas du tout au « même endroit ». J’ai vu énormément de choses qui m’ont aidée à me trouver. Par exemple, elle a fait énormément de bars, je l’ai beaucoup suivie sur ses tournées, et c’était génial, ça a été un modèle, pour savoir ce que je voulais faire. Je sais que les salles c’est beaucoup plus mon truc, par rapport au théâtre. Après tout est bon à prendre. Mais avec ma mère, on compare beaucoup nos expériences ! Ça m’a bercée, ça m’a donné des valeurs que je n’oublierais pas, une façon de considérer le monde, de ne jamais prendre la grosse tête, c’est con, mais voilà ! Et puis les multiples influences qu’elle m’a donné, ça m’a beaucoup aidée aussi. Même si je fais de la pop, de la chanson, à côté j’écoute plein de styles différents. Aujourd’hui même, sur scène, j’ai fermé les yeux et j’ai pensé « on dirait ma mère » (rires) !

Au vu de ton âge, de ta génération, on te voit assez présente sur les réseaux sociaux. C’est un outil de communication moderne pour pouvoir fédérer des gens et communiquer avec des fans qui te suivent depuis le début ?
Depuis le début j’ai vu Instagram comme un truc assez artistique bizarrement.Il faut savoir se détacher du reste, mais c’est une plateforme pour faire des choses géniales en fait ! Par exemple, on avait fait des trucs de communication avec des clés USB, et ce n’était que du jeu, et une fois qu’on a compris ça, c’est génial ! Et nous, on pense tout en fonction des photos, etc, c’est comme un journal intime qu’on offre aux gens. Bien sûr il ne faut pas trop donner et savoir garder de la distance et du mystère. Mais je n’ai pas trop de mal à ce niveau là. J’ai suivi énormément de choses sur les réseaux sociaux, mais vraiment beaucoup ! Grâce à ça je découvre des artistes émergents. Même si parfois c’est pas simple de sortir les gens de leurs écrans jusqu’aux concerts… Mais ça me plaît bien de pouvoir construire une image et tout ce qui gravite autour de la musique. Dans une autre vie, j’aurais aimé travaillé dans des labels : productrice, agent, directrice artistique ! C’est pour cela que je suis autant control-freak ! J’aime tous ces métiers là !

 



Désolé de parler à nouveau de ton jeune âge, mais tu semble très consciente de tes fragilités et de tes forces, c’est une preuve de maturité.
Je suis pleinement consciente de mon âge. Au début, j’étais très pressée, j’attendais beaucoup des choses. Moins maintenant. Je suis plus en mode « il faut prendre son temps, il faut s’installer, il faut savoir ce que l’on veut, sortir les choses au bon moment ». Parfois il y a des pressions, mais non. Si je sors des morceaux dans 1 an et que je suis sûre de les sortir, ça va être beaucoup plus intéressant. Donc je suis assez consciente de ça. Après je me remets en question assez souvent, mais c’est une bonne chose ! Pour moi, il faut toujours douter, se poser plein de questions.

Le doute mène à des certitudes ?
Oui. Toute ma vie, je serai comme ça. En évolution et en train de me dire « est-ce que c’est le bon morceau que je fais là ? ».

Merci beaucoup Jeanne de ta sincérité. Le mot de la fin ?
Trop bien comme interview pour finir cette belle journée ! Merci.

Entretien Stéphane Perraux – Retranscription Anne-Marie Léraud pour Lust4live.