Une main, traversée de soubresauts arachnéens, se fraye un passage dans un dédale de rues. Muée par une force « fantastique », cette dernière se verra malmenée mais aussi choyée le long d’un chemin de croix qui la mènera jusqu’au corps qui lui appartient. Au prix d’incommensurables efforts, elle tentera de « recoller les morceaux » de sa vie par le biais de flash-backs et se remémorera les causes des blessures affectives et corporelles qui animent sa volonté.Original. C’est le terme qui vous vient à l’esprit pour qualifier le très beau long-métrage d’animation de Jérémy Clapin. Ne sacrifiant rien à l’appel du film « tout public », ce dernier nous propose un road-movie senti-mental terriblement personnel, loin des carcans habituels du « dessin-animé ». Totalement tourné vers un public adulte et/ou adolescent, « J’ai perdu mon corps » se distingue par une intelligence du propos parfaite ( nous sommes « guidés » par une main dans un récit hautement symbolique- fil d’Ariane décousu sous influence freudienne) et une psychologie des personnages fouillée ( les protagonistes et leurs atermoiements tendent vers l’intime et l’universel).
Nous suivrons, donc, l’itinéraire de Naoufel, enfant pas gâté, qui reprendra goût à la vie en la personne de Gabrielle, jeune bibliothécaire, et de son oncle Georges, artisan et mentor. Mais aussi d’une main mortifère et, pourtant, très « vivante », cette vivacité contrebalançant de manière ludique-de par ses aventures multiples et cocasses- le drame qui s’est joué préalablement.
Dans ce film peu commun, deux lignes scénaristiques s’affrontent, donc, et se complètent (la quête surréaliste d’un membre vers son « tronc » originel, sa matrice, ET la quête amoureuse d’un jeune homme en mal d’affection et de reconnaissance), alternant avec une aisance confondante le passé (en noir et blanc) et le présent (coloré sans effets superfétatoires).
Deux errances mélancoliques.Parallèles qui nous interpellent et nous ravissent, par le truchement d’une intrigue digne d’un polar, d’un graphisme particulier mais non dénué de charme, de dialogues ciselés et percutants (sublime scène de l’interphone) et d’une poésie de tous les instants.Enfin, l’émouvante musique de Dan Levy (du groupe The Do) trouve dans cet ovni cinématographique un écrin de choix et traverse cette aventure extra-ordinaire comme une lame de fond.
Proche de « Memento » de Christopher Nolan pour sa construction narrative à rebours et de Bunuel pour son surréalisme décomplexé, ce conte triste nous habite longtemps après la projection. Que demander de plus au Cinéma?
Du point de vue terminologique, animer signifie « donner une âme ».
Pari relevé!
John Book.