Avec Eco da Baía, son premier album solo sous ce nouveau nom, Tiago Caetano poursuit une démarche déjà amorcée avec Niteroy, mais dans une forme plus libre, plus directe et surtout plus intime. Mêlant sonorités pop, textures électroniques, échos de rock psyché et rythmes aux parfums brésiliens, sa musique flotte dans un espace suspendu, entre rêve éveillé et mélancolie douce. On y perçoit autant les influences de la MPB (Gilberto Gil, Caetano Veloso) que celles d’une scène française sensible à l’onirisme dansant. Tiago y pose ses doutes, ses souvenirs, ses racines, dans une écriture élégante et un pudique voyage musical entre Rio et Rennes. Une belle promesse d’avenir et déjà la confirmation d’un artiste envoûtant plein de talent.
Rencontre avec Tiago lors du Festival Mythos pour en découvrir plus sur son parcours
Peux-tu nous retracer un peu ton parcours artistique ?
Oui, tout à fait. Je suis né et j’ai grandi dans la région rennaise. J’ai commencé la musique au lycée, avec un premier groupe. C’est là que j’ai fait mes premières expériences.
Puis, à la fac, à Rennes 2, j’ai rencontré Lucas Benmahammed. Ensemble, on a créé Born Idiot, un groupe de pop indé qui a un peu tourné en France. Ça a duré dix ans. Je ne suis plus dans le projet aujourd’hui, mais le groupe continue sans moi.
En 2019, j’ai lancé un projet en portugais-brésilien, qui s’appelait Niteroy, en hommage à mes origines : ma mère est brésilienne, mon père portugais. J’ai sorti deux EPs avec ce projet, j’ai eu la chance de jouer aux Trans Musicales et d’être accompagné par leur structure. Le projet s’est terminé il y a environ deux ans, après la sortie du deuxième EP.
Ensuite, j’ai lancé un nouveau projet solo, Tiago Caetano, avec un premier album Eco da Baía sorti en novembre dernier, chez Yotanka, mon label actuel.
Revenir à un projet solo après l’expérience d’un groupe, ça change quoi ?
Ça m’a apporté beaucoup de responsabilités. Quand on est en groupe, on partage tout de manière assez uniforme. En solo, les musiciens se greffent à ton projet, donc il faut être à l’écoute, les respecter, tenir compte de leurs avis.
Il y a aussi toute une part administrative que je gère avec mon agent. Et puis l’image : dans un groupe, tu es un parmi cinq ; en solo, il faut apprendre à poser, à exister sur scène, sur une photo et à incarner ton projet. Ce n’est pas forcément naturel pour moi, qui suis là avant tout pour faire de la musique. Mais si tu veux vraiment vivre de ce métier, il faut s’adapter.
Tu parlais d’un apprentissage progressif, presque d’un « travail de toute une vie »…
Oui, exactement. Il faut du temps pour se sentir prêt à être pleinement sur le devant de la scène. Aujourd’hui, je me sens plus ancré dans ce métier.
Je dirais que je me suis « professionnalisé » autour de 2019, avec mon statut d’intermittent. Mais avec le Covid, on a tous été un peu coupés dans notre élan. En réalité, ça ne fait que trois ans que j’ai vraiment une activité continue. Et là, je recommence, avec un nouveau souffle.
Dans ta musique, on sent un mélange entre pop, rock et des sonorités plus latines. C’est lié à tes racines ?
Oui, clairement. Je suis né en France, mais avec un père portugais, une mère brésilienne… et je suis breton, donc on pourrait dire que j’ai quatre nationalités ! (rire)
Mes parents écoutaient beaucoup de musique brésilienne quand j’étais enfant — Gilberto Gil, Gaetano Veloso, Maria Bethânia… Ça m’a imprégné. À 18 ans, j’ai commencé à vraiment m’y intéresser, à écouter avec passion et à vouloir en faire moi-même.
Ces influences ont forgé mon identité musicale. Elles m’ont permis de poser des contraintes, de me donner un cadre, de développer une esthétique et même une réflexion sur moi-même.
Et cette connexion aux racines, tu la ressens aussi avec ton public ?
Oui, surtout en live. Je vois les regards, je reçois des messages, notamment de personnes issues de l’immigration brésilienne, des enfants d’immigrés comme moi.
Beaucoup me disent qu’ils trouvent ma démarche touchante. Ça me touche énormément, parce que redécouvrir les racines de ma mère a vraiment été un tournant dans ma vie.
Depuis que j’ai lancé ce projet, j’ai fait plusieurs voyages au Brésil. Je commence même à envisager d’y tourner. Ça prend une dimension que je n’aurais jamais imaginée.
Tu n’as pas encore joué là-bas ?
Non, pas encore. Mais c’est clairement dans mes projets. Je ne peux pas en dire plus, mais c’est dans les tuyaux.
Parlons écriture : tes textes sont très intimes, mélancoliques, presque oniriques. Comment trouves-tu cet équilibre entre te livrer et rester dans une certaine retenue ?
J’aime les tensions, les émotions profondes. Même si j’adore la musique solaire, j’ai un attrait pour des choses plus introspectives.
Sur ce disque, j’ai voulu aller plus loin dans cette direction. Je parle de mes histoires, de mes questionnements. Je le fais à ma manière, sans révolutionner quoi que ce soit, mais en essayant d’être sincère.
C’est aussi un travail de mise à nu, tout en gardant une certaine pudeur.
Te reconnais tu dans ta génération, avec ton style inspiré de la MPB 60-70 et ce mélange pour en faire une musique d’aujourd’hui ?
Oui et non. Il y a à la fois de la retenue et un grand lâcher-prise. Mais je trouve que la musique est moins politique qu’avant, notamment par rapport aux années 90.
Personnellement, je suis très sensible à la politique, à ce qui se passe au Brésil et en France. Mais ma priorité, c’est d’offrir une forme d’évasion aux gens. Dans un climat aussi anxiogène, c’est aussi une démarche politique, d’une certaine manière…
Ce soir, tu joues sur la nouvelle scène du festival Mythos. Comment tu l’abordes ?
J’ai hâte ! Je n’ai pas encore vu la scène, mais c’est un festival que je connais bien. J’ai grandi à Rennes, donc forcément, c’est un moment spécial.
Je n’avais jamais joué à Mythos avec mes anciens projets, donc c’est une belle première. Le festival est magnifique, l’accueil est top. Je suis très heureux d’être là.
J’ai le sentiment que tu fais un peu partie des nouveaux visages de la scène rennaise plutôt bien soutenue.
Oui, j’ai eu la chance de jouer dans beaucoup de festivals du coin, avec mes différents projets. C’est rassurant de voir que les programmateurs jouent vraiment leur rôle de défricheurs, qu’ils soutiennent la scène émergente. C’est une vraie chance.
Tu es chez Yotanka, un label indépendant. Qu’est-ce que ça t’apporte ?
C’est hyper précieux d’avoir un entourage sain et bienveillant. Quand tout le monde regarde dans la même direction, c’est plus fluide.
J’ai vraiment conscience de ma chance. J’échange avec des artistes de tous horizons, et je sais que c’est rare d’avoir un bon label derrière soi, surtout quand on fait une musique un peu de niche comme la mienne. Et pouvoir en vivre, c’est énorme.
Pour finir : tu parlais d’une tournée au Brésil. Et après ? Quels rêves voudrais-tu accomplir ?Franchement, la tournée au Brésil, c’est déjà un rêve. Depuis que j’ai commencé la musique, je me suis toujours dit que si un jour je jouais là-bas, la boucle serait bouclée.
Mais ensuite, ce serait continuer les tournées, les concerts, peut-être sortir un deuxième album… J’avance à mon rythme. Je ne suis pas du genre à exploser du jour au lendemain. Je me construis petit à petit, en essayant d’être convainquant dans les lives.
L’objectif, c’est de continuer à jouer dans de belles salles, de beaux festivals, en France, en Europe… et de partager cette musique le plus longtemps possible.
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Photo de couv. Evan Lunven