[Interview] Ben Le Jeune – « A Stranger To Your City »

Ben Le Jeune, ex-leader du groupe de rock alternatif anglais « The Creature Comfort », enfants terribles qui ont côtoyé The Stone Roses, Joy Division, Oasis et partagé la scène avec Mudhoney, The Gun Club ou encore Stereolab, revient avec son nouvel album, « A Stranger To Your City ». Artiste singulier dont l’univers musical oscille entre folk mélancolique, indie rock élégant et poésie urbaine, il nous invite à une balade contemplative, portée par des sonorités électriques et des textes ciselés, où chaque morceau sonne comme une introspection romantique déroutante, en constante évolution. Un projet solo à la fois doux et puissant, qui confirme la maturité artistique de cet auteur-compositeur-interprète discret à découvrir absolument. 

Nous avons voulu en savoir plus sur la genèse de cet album, ses inspirations, et le regard que Ben porte aujourd’hui sur sa propre musique. Rencontre…

 

Ton départ de Manchester et de The Creature Comfort marque un vrai tournant dans ton parcours artistique et humain. Qu’est-ce qui t’a poussé à franchir le pas ?
En fait, c’était un concours de circonstances. Après le Covid et le Brexit, j’ai eu le sentiment que les choses devaient changer. Mon ex-femme, qui est française, souhaitait que nous retournions dans son pays natal avec notre enfant. Et moi, cela faisait longtemps que je voulais me rapprocher de mes racines européennes. C’était donc l’occasion idéale. Je savais que ce serait un challenge du point de vue artistique car je perdais tout mon réseau.


Ton premier album solo « A Stranger To Your City » vient de sortir. Qu’est-ce qui a mené l’écriture de cet album ?
C’est un album écrit pendant une période de grandes incertitudes et de bouleversements profonds dans ma vie. Pas seulement au niveau de l’écriture mais également à travers plusieurs expériences personnelles intenses que je vivais à ce moment-là, sans oublier le changement géographique. Ça a été une période globalement instable et cela transparaît dans beaucoup de paroles ; tout comme dans le titre lui-même. Il pose une question : accueillez-vous cet étranger ou le regardez-vous avec méfiance ?


Est-ce qu’il y a dans ton déracinement un besoin d’explorer un nouveau paradigme ?
Bien sûr. Le déracinement fait qu’on se pose beaucoup de questions : d’où l’on vient, où l’on est, où l’on va,… Ça crée une forme d’instabilité existentielle (et c’est un peu ce qu’on vit partout dans le monde en ce moment). J’ai toujours eu une nature philosophique, à chercher une vision dans tout ce flux et l’écriture est, pour moi, un  rocher sur lequel je peux m’accrocher. Pour l’avenir, j’ai hâte de travailler avec des musiciens français. ça va me sortir de ma zone de confort et être challengé est toujours une bonne chose pour un artiste.


Comment ton expérience dans l’univers underground a-t-elle façonné ta manière d’inventer ta propre musique ?
Je dirais que j’ai toujours suivi mon propre chemin et essayé de rester fidèle à ma vision personnelle. J’ai une attitude assez « punk » mais en même temps, je veux écrire des chansons qui ont une large portée « pop » et n’est pas un gros mot ! Mais au niveau des paroles, je vais souvent chercher dans des profondeurs, avec des jeux de mots ou des thèmes qui peuvent être un peu sombres. Musicalement, j’aime créer des choses qui sortent de l’ordinaire. Je pense notamment au son de « Looking For Another Lover » et aussi, bien sûr, au dernier morceau de l’album « Marée Noire » qui a été improvisé après seulement une répétition la veille de l’enregistrement live, sans overdubs. Une sacrée expérience !

 

À l’écoute de l’album, on sent une esthétique assez dépouillée où tu mélanges le français et l’anglais. Tes racines franco-belges sont-elles en cause ?
Je suis sûr que mon enfance un peu mélangée (en termes de pays, de langue et de culture) a joué un rôle. Grandir dans un environnement bilingue, mixer les langues a toujours été naturel pour moi et c’est quelque chose qui ressort dans ma musique et les paroles ; une certaine fluidité. J’ai beaucoup écouté de musique francophone : Brel, Hardy, Gainsbourg, Dutronc, par exemple. Ma musique peut être assez directe (cela reflète mon désir d’honnêteté et de simplicité) et les chansons ont certainement été enregistrées avec cette esthétique punk, en live et sans trop retravailler les idées.
Bien que, par la suite, ces enregistrements ont été enrichis par le producteur lors des phases de mixage.

 

Accompagné de Brad Ingham et Paul Hesketh, comment avez-vous abordé l’arrangement de tes chansons ?
C’était un processus très relax et sympa. Je suis venu vers eux avec des croquis des chansons que j’avais séquencées sur l’ordinateur et à la guitare. Ensuite, ils y apportaient leur propre touche de magie : une connaissance des accords et des mélodies qui dépasse la mienne et qui sort d’eux comme l’eau du robinet. Et c’est grâce à collaboration et en écoutant le résultat que j’ai appris qu’il était préférable de lâcher prise, de laisser la chanson prendre sa propre forme.

Maintenant que tu entames ta carrière solo, comment imagines-tu la suite ?
Je suis encore au début de tout ça, occupé à promouvoir cet album mais déjà, j’ai hâte de travailler sur les prochaines chansons car j’ai une pile d’idées à développer. Et bien sûr, j’ai aussi hâte de partir en tournée pour jouer cet album en live devant un public français. Je suis sûr que les retours m’aideront à évoluer en tant qu’artiste français dans le futur.

 

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