Les deux punks version 2025 de Baasta ! était à Evreux vendredi 2 mai dernier. Rencontre à la terrasse de Chez Chriss, le dernier bar rock de la ville avant un concert de feu.
La terrasse était bien remplie vendredi 2 mai dernier Chez Chriss en cette fin d’après-midi sous un radieux soleil normand. Le duo, enfin trio si on compte Georges, le soundblaster, est en tournée pour présenter Crash, un 3eme album dans la lignée de deux précédents, c’est-à-dire rugueux et sans concession. FX, le chanteur, et Yo, le bassiste au jeu si particulier, viennent de finir leur balance. Tout s’annonce pour le mieux. Le groupe est venu en Clio d’Arras, son port d’attache. Et même si le combo s’est produit par deux fois au Main Square, le grand festival de la ville, il tourne beaucoup dans les petits lieux et enquille les kilomètres, avec toujours une folle envie d’en découdre en musique.
Votre troisième album est aussi violent et politique que les deux premiers ?
FX : c’est ce que je sais écrire. Après, j’ai essayé d’alléger un peu dans les textes, faire moins de pavés. J’ai enlevé les longs textes, de laisser plus d’air mais on garde les punchlines, surtout dans les refrains, avec une phrase qui se répète plusieurs fois.
La voix est parfois un peu noyée dans la musique, on a parfois du mal à saisir les subtilités. Sur Iceberg, par exemple, c’est la partie immergée ou énervé de l’iceberg ?
FX : c’est toujours la partie énervée.
Yo : on devrait mettre les paroles dans le disque.
FX : oui mais cela coûte beaucoup plus cher. Elles sont, et on paye pour cela, sur les sites de streaming.
C’est dur à écrire des paroles comme celles que tu écris, avec un vrai message tout en restant mélodique. L’album s’appelle Crash, il aurait pu s’appeler Clash ?
FX : c’est vrai mais je ne trouve pas dur d’écrire mes textes. Les situations m’inspirent une phrase, puis une phrase en amène une autre. Cela donne parfois de petites phrases de compilation jusqu’à ce que je trouve un sens à une chanson. Parfois, je commence une phrase et ça part jusqu’au bout, il n’y a pas de règle.

« Je ne pensais jamais écrire un truc sur la mode un jour »
Un titre comme Fashion Week est à la fois très tendance et très dénonciateur ?
FX : ce milieu de la mode m’a toujours fasciné. Une fois, j’avais bossé sur une installation un peu géante pour une assurance. C’était lorsque je commençais à faire ce genre de chose (Ndr : lorsqu’il ne chante pas, FX est intermittent du spectacle, Yo travaille dans le milieu du graphisme), un technicien m’a raconté comment il montait parfois des scènes gigantesque pour 15 minutes de défilé. En termes d’écologie, on met des moyens de fou pour 15 minutes. J’ai ensuite appris que 80% des fringues portées lors des défilés, ne sont en fait jamais remises, ni vendues. Après, il parait que cela ramène énormément d’argent à la France. Mais il y a aussi les petites mains. Elles bossent sans être payées des milles et de cents non plus tout en faisant des heures ouf sous la pression. Une des phrases de la chanson, c’est des petites mains pour une grosse manne. Je ne pensais jamais écrire un truc sur la mode un jour mais il y avait des choses à creuser.
Yo, comment participes-tu aux paroles ?
Yo : souvent, ce qu’écrit FX me plait. Je n’ai jamais dit, ça non. Jamais. Parfois, juste sur un mot, je propose un changement mais 95% du temps, rien ne change. Sur On n’a pas essayé, je suis venu chez FX, il avait fait tout le texte la veille. Je n’ai pas changé une virgule.
FX : on l’a sorti pile avant le deuxième tour après la dissolution.
Vous êtes un groupe politique, vous adhérez à un parti ?
FX : pas du tout. Je me vois plus comme un journaliste d’opinion avec une objectivité implacable. Mais, je ne suis pas certain que cela puisse vraiment exister. C’est pour cela qu’il faut parfois affirmer certaines choses, sans être un espèce de porte-étendard de quoi que ce soit. Si nous le devenions, ce serait à notre insu, d’une façon involontaire.
Avec Pour te plaire, vous changez de registre. C’est une histoire d’amour ?
FX : pas du tout même si beaucoup le pense. C’est plutôt la culture d’être le meilleur tout le temps, sans que cela soit dans le but de séduire quelqu’un. Sur les réseaux sociaux, il faut bien se faire voir. Mettre ses meilleures photos, sous son meilleur profil. Être le gars le plus sympa, serrer les bonnes paluches, être courtois. Comme je le susurres entre les phrases, « hooligan, hooooo ».
« Pas hooligan, ultra, ce n’est pas pareil »
Tu es un peu hooligan, lorsque tu vas voir le RC Lens ?
FX : pas hooligan, ultra, ce n’est pas pareil. Et c’est sûr que nous sommes un peu malheureux en ce moment vu l’état du RC Lens mais le football, c’est ça, ça va, ça vient. On supporte quoiqu’il arrive, dans le malheur et la gloire.
Le stade ne chante pas encore vos chansons ?
FX : non, mais j’aimerais bien écrire un hymne mais même si j’en faisais un super , je ne suis pas sûr qu’il puisse arriver à l’oreille d’autant de personnes. Comme en concert on met toujours l’écharpe du RC Lens, des mecs comprennent le truc et après quand ils reviennent, ils mettent un short du RC Lens, un tee-shirt. Moi, je suis abonné dans la tribune Marek, dans le kop, et il y a deux ou trois personnes que je connais que j’ai déjà vu en concert.
Cela représente quoi le RC Lens pour vous ?
FX : le fait d’y aller, c’est une soupape incroyable car lorsque tu es là-bas, tu débranche ton cerveau pendant trois heures. Il n’y a plus que l’équipe qui compte. Il y a de moins en moins d’espace pour avoir ce genre de trucs. Et surtout pour pouvoir chanter, quand tu es dans le kop comme moi. Quand en plus ça gagne, c’est beau mais même si on perd, cela reste une joie car nous ne sommes pas des spectateurs mais des supporters. Peu importe le joueur, peu importe le coach, nous, c’est le RC Lens. Ce club correspond à un tissu social, c’est une fierté. J’ai grandi à Liévin, à quelques kilomètres du stade et je n’allais pas tant au foot que cela, mais j’étais toujours content quand ils gagnaient. Il y a 38 000 places dans le stade et 35 000 habitants à Lens. C’est blindé depuis qu’ils sont remontés, à guichets fermés à chaque fois. Il y a un vrai truc populaire, avec des prix abordable. Ce n’est pas le PSG !

« FX s’est découvert des talents de showman »
Musicalement, quoi de neuf ?
Yo : sur cet album, FX ne fait plus de guitares.
FX : on en entend, des soundscapes, des guitares qui font des nappes, des bruits chelous, mais il n’y a plus d’accords.
Yo : et FX ne joue plus de guitare non plus scène.
FX : c’était l’idée de départ de cet album, faire un truc radical. Un clavier basse, un clavier mélodie qui remplace parfois ce que je faisais à la guitare et une basse très présente.
Yo : du coup FX s’est découvert des talents de showman.
FX : je voulais incarner plus les textes, et aussi m’amuser plus. Avec chacun un instrument et un pied de micro, tu ne peux pas faire ça. J’ai décidé de ne plus jouer de guitare.
Vous pensez déjà à la suite ?
FX : on en a juste parlé. On se dit que l’on ne va plus forcément faire d’albums de ce format, aussi long. Celui-là existe en CD et en vinyle. Et en numérique évidemment. On le commande sur Bandcamp. Celui-là n’est pas distribué contrairement au précédent où nous avons eu la chance qu’il soit partout en France. Cela nous a permis notamment de jouer à Marseille car un disquaire avait adoré. On essaie de revenir régulièrement, c’est très loin de chez nous, cela coûte un peu d’argent.
Yo : on essaye d’être toujours opération zéro.
FX : on a toujours réussi à avoir un peu d’argent pour refaire celui d’après.
Vous n’êtes pas un peu trop punk, trop dénonciateur, pour pouvoir espérer passer mainstream ?
FX : ce n’est pas la volonté. On fera peut-être un jour notre Je danse le Mia … et cela emmènera le reste derrière.
Yo : de toutes façons, en étant mainstream, tu deviens un produit. Et tu restes un an maxi.
La vidéo devient de plus en plus importante pour un groupe ?
FX : non. Car il faut mettre de l’argent pour être vu.
Yo : Si tu veux que ton clip soit diffusé, il faut que tu payes, et il faut être présent sur les réseaux.
FX : et nous on fait juste le stricte minimum. La propagande pour les concerts et les nouveautés.
Yo : On n’a pas essayé, on l’a fait très vite. Comme c’est quand même Antifaf, nous avons eu pas mal de haters. Cela nous a permis de faire 40 000 vues, car des fafs sont venus ! Aujourd’hui, lorsqu’un artiste démarre, la prod mets de l’argent et il a 50 000 vues du jour au lendemain. C’est pour cela que l’on arrête de faire des vidéos.
Quelques minutes plus tard, le duo est sur scène avec un set tout neuf. FX se démène au chant, Yo a garder son jeu de basse particulièrement accrocheur, Georges est drapé par l’écharpe du RC Lens. Le public, curieux, profite du concert en terrasse avant de d’apprécier le show en live. FX multiplie les bons mots et, comme son habitude, les punchlines à l’image de ce magnifique : « Sea Shepherd, c est Greenpeace avec une paire de couilles » en ouverture de Tora, Tora, Tora, un extrait du premier album. Cela en dit long sur les idées du groupe, des points de vue visiblement partagés avec le public : le set d’une heure a donné, chose rare avec eux, lieu à un rappel, le très bon Gardons l’élégance. Fin des hostilités : il vaut toujours mieux jouer une heure à donf que faire plusieurs sets lors d’un concert. De toutes façons, le duo doit se ménager : le prochain gig est prévu le lendemain à Capbreton, à l’autre de l’hexagone !
Une soirée réussie Chez Kriss dans le petit bar de l’avenue Franklin Roosevelt à Evreux et surtout un très bon concert de Baasta ! Preuve en est l’affluence après le show au merchandising. Cd, vinyles, casquettes à l’effigie du groupe, c’est aussi, surtout, ce qui permet à celui-ci de continuer d’exister et de voyager.
Textes et photos : Patrick Auffret
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Site du groupe (avec écoute du dernier album) : https://www.yabaasta.com/
Bandcamp : https://baasta.bandcamp.com/